Le FBI arrête une juge de Milwaukee . « Une nouvelle descente dans le chaos gouvernemental »
L’escalade de Trump dans la lutte entre les tribunaux et son administration a provoqué une onde de choc à Milwaukee et au-delà.
JOHN NICHOLS publié dans The Nation.
MILWAUKEE — La décision choquante des autorités de l’administration Trump d’ordonner l’arrestation vendredi matin d’une juge chevronnée du Wisconsin dans le tribunal du comté de Milwaukee — au motif qu’elle aurait brièvement aidé un immigrant à échapper à l’arrestation par des agents des services de l’immigration et des douanes américains — est dénoncée par des juristes et des élus du Wisconsin et de tout le pays. Qualifiée d’abus de pouvoir « scandaleux », cette arrestation montre, selon des critiques comme David Crowley, directeur du comté de Milwaukee, que « le FBI de Trump se soucie plus d’utiliser les forces de l’ordre fédérales comme une arme, de punir les gens sans procédure régulière et d’intimider quiconque s’oppose à ces politiques que de rechercher la justice ».
« Ne vous y trompez pas, nous n’avons pas de rois dans ce pays et nous sommes une démocratie régie par des lois que tout le monde doit respecter », a déclaré la sénatrice démocrate du Wisconsin Tammy Baldwin, qui a qualifié l’arrestation de la juge Hannah Dugan de « mesure grave et radicale qui menace de violer la séparation des pouvoirs [définie par la Constitution]. »
« En s’attaquant sans relâche au système judiciaire, en bafouant les décisions de justice et en arrêtant une juge en exercice, ce président met en péril les valeurs démocratiques fondamentales chères aux habitants du Wisconsin », a déclaré Mme Baldwin, qui a ajouté : « Bien que les détails de cette affaire restent minimes, cette action s’inscrit dans le comportement illégal profondément préoccupant de ce président, qui sape les contrôles exercés par les tribunaux et le Congrès sur son pouvoir. »
Alors que la nouvelle de l’arrestation se répandait à Washington, le représentant du Maryland Jamie Raskin, qui a enseigné le droit constitutionnel pendant des décennies et qui occupe aujourd’hui le poste de responsable démocrate au sein de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, a déclaré : « Il est remarquable que l’administration ose commencer à arrêter des juges des tribunaux d’État. C’est une nouvelle descente vers le chaos gouvernemental. »
La représentante Becca Balint, démocrate du Vermont et membre de la commission judiciaire, a déclaré qu’il fallait « absolument » ouvrir une enquête fédérale sur l’arrestation du juge. « À première vue, a-t-elle expliqué, c’est dangereux et scandaleux, et ça vise à intimider notre système judiciaire. »
La juge Dugan, figure emblématique de la communauté juridique du Wisconsin depuis plus de trente ans et juriste depuis 2016, a été inculpée de deux crimes fédéraux (entrave à la justice et dissimulation d’une personne) pour avoir prétendument aidé un immigrant sans papiers à échapper à son arrestation après qu’il ait comparu devant son tribunal.
L’arrestation de la juge a provoqué une onde de choc à Milwaukee, un centre urbain multiracial et multiethnique qui compte plusieurs grandes communautés d’immigrés, et a attiré l’attention internationale sur ce que l’agence de presse AFP a décrit comme l’escalade d’une « lutte croissante entre la Maison Blanche et les tribunaux au sujet des politiques d’expulsion radicales du président Donald Trump ».
Sur le terrain, à Milwaukee, la consternation était grande, surtout après que le directeur du FBI, Kash Patel, ait publié puis supprimé vendredi matin une déclaration sur X affirmant : « À l’instant, le FBI a arrêté la juge Hannah Dugan à Milwaukee, dans le Wisconsin, pour obstruction, après avoir trouvé des preuves que la juge Dugan avait empêché une opération d’arrestation d’immigrants la semaine dernière. Nous pensons que la juge Dugan a intentionnellement détourné les agents fédéraux de la personne qui devait être arrêtée dans son tribunal, Eduardo Flores-Ruiz, permettant ainsi à cette personne, un étranger en situation irrégulière, d’échapper à son arrestation ».
La procureure générale Pam Bondi a ensuite annoncé sur X que « nos agents du FBI viennent d’arrêter Hannah Dugan, une juge du comté de Milwaukee, pour avoir prétendument aidé un étranger en situation irrégulière à échapper à une arrestation par l’ICE ». Bondi a qualifié les juges qui contestent le programme de l’administration Trump de « dérangés » et a promis à ces juristes : « On va vous traquer et vous poursuivre en justice. On vous trouvera. »
La juge Dugan, ancienne directrice exécutive de Catholic Charities of Southeastern Wisconsin et ancienne présidente du barreau de Milwaukee, n’était pas difficile à trouver. Le journal The Milwaukee Journal Sentinel a rapporté que des agents du FBI ont arrêté la juge à son arrivée au tribunal du comté. Vendredi matin, elle a comparu devant un juge fédéral et a été rapidement libérée sous caution. Son avocat, Steven Biskupic, qui a travaillé sous le président républicain George W. Bush, a annoncé que la juge Dugan « se défendrait vigoureusement et comptait être innocentée ».
Le journal de Milwaukee a rapporté que Flores-Ruiz avait comparu devant la juge Dugan le 18 avril pour une audience préliminaire concernant des accusations de voies de fait. Flores-Ruiz, un immigrant mexicain de 30 ans, a été arrêté le même jour et est actuellement détenu par l’ICE dans un centre de détention à Juneau, dans le Wisconsin.
Il semble que l’administration Trump s’inquiète du fait qu’après avoir confronté les agents de l’ICE au sujet de la légitimité de leur mandat, la juge Dugan ait demandé à Flores-Ruiz de quitter sa salle d’audience en empruntant « un couloir privé et en se rendant dans la zone publique au sixième étage » du palais de justice. Les agents de l’ICE l’ont finalement arrêté à l’extérieur.
Le Journal Sentinel a consulté cinq experts juridiques, dont d’anciens procureurs, et a conclu que « personne ne pensait que les actions de Dugan constituaient un crime fédéral ». Le journal a aussi noté que « les cinq juristes ont dit que la présence de l’ICE dans les tribunaux d’État pourrait avoir un impact négatif sur la sécurité publique en dissuadant les gens d’utiliser les tribunaux pour leurs activités normales ».
Un groupe de législateurs de Milwaukee, dont les sénateurs démocrates Chris Larson et Tim Carpenter, a repris ce thème dans une déclaration publiée vendredi : « Le tribunal du comté est un sanctuaire de justice et de paix où les accusés se présentent volontairement dans le cadre d’un processus équitable et impartial. Arrêter des gens dans une salle d’audience conduira à un effondrement de la société civile. Nous ne soutenons pas la présence de l’ICE dans des lieux où elle conduira à l’intimidation des témoins et des victimes de crimes, privant ainsi toutes les personnes concernées de la justice à laquelle elles ont droit ».
Crowley, le directeur du comté de Milwaukee, a résumé le sentiment local en déclarant : « Il est clair que le FBI politise cette situation pour faire, d’elle et d’autres personnes à travers le pays qui s’opposent à leur attaque contre le système judiciaire et les lois sur l’immigration de notre nation, un exemple. »
Crowley a ajouté qu’il était « extrêmement préoccupé par l’intention persistante de l’administration Trump d’instiller la peur et l’hostilité dans notre communauté ».
Le représentant américain Mark Pocan (D-WI) a été plus direct. « L’administration Trump enfreint une fois de plus les normes en matière d’immigration, de système judiciaire et de normalité », a déclaré Pocan. « C’est le genre de choses que j’attends de pays du tiers monde. »
Le chaos et la cruauté de l’administration Trump atteignent chaque semaine de nouveaux sommets.
La « journée de libération » catastrophique de Trump a semé le chaos dans l’économie mondiale et a provoqué une nouvelle crise constitutionnelle aux États-Unis. Des agents en civil continuent d’enlever des étudiants dans la rue. Des « ennemis étrangers » sont déportés vers une méga-prison, contrairement à ce qu’ont ordonné les tribunaux. Et le « Signalgate » promet d’être le premier d’une longue série de scandales révélateurs de l’incompétence et de la violence brutale qui rongent l’empire américain.
John Nichols
John Nichols est correspondant aux affaires nationales pour The Nation. Il a écrit, coécrit ou édité plus d’une douzaine de livres sur des sujets allant de l’histoire du socialisme américain et du Parti démocrate à l’analyse des systèmes médiatiques américains et mondiaux. Son dernier ouvrage, coécrit avec le sénateur Bernie Sanders, est le best-seller du New York Times It’s OK to Be Angry About Capitalism.