Idées et Sociétés, International, Politique et Social

Billet d’humeur à propos de la mort d’un pape. par Robert Duguet

Vance-la-Camarde au chevet du pape François, venu s’occuper de la succession…

23 avril 2025

Ce n’est pas la première fois dans son histoire que l’Eglise romaine fait une embardée sur sa gauche. Il y avait un parfait abruti, nommé Joseph Staline, lorsque son entourage lui parlait de l’Eglise, il répliquait : « le Vatican, combien de divisions ? » Comme toute institution humaine l’Eglise est un corps vivant et répond aux contradictions qui traversent la vie de millions d’individus qui composent son « corps mystique ». Son message est resté à peu près le même depuis deux millénaires : lorsque le mode de production esclavagiste est entré en décadence, l’empereur Marc Aurèle exprimait dans la philosophie stoïcienne qui était la sienne, son renoncement à sauver une civilisation contre les tribus barbares et exprimait son impuissance à changer le cours de l’histoire. Le vieux stoïcisme de Sénèque passe dans la doctrine de l’apôtre Paul, fondateur doctrinal du Christianisme. Que dit cette vieille rengaine qui berce alors la misère humaine et règnera pendant 18 siècles sur la tête des rois et des empereurs : renonce à changer l’ordre du monde, apprends à modifier tes désirs dans ce monde, tu auras ta récompense dans l’autre et soumets-toi à la volonté des puissants ! Le message des Lumières jusqu’à la Révolution française est l’inverse, Montaigne disait : « les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, levons-nous ! »

Lors de la première secousse révolutionnaire de février 1848, le pape Pie IX enjoint les prêtres catholiques de bénir les arbres de la Liberté. Le Vatican reconnait alors la République. La Deuxième du nom est proclamée le 25 février par Alphonse de Lamartine, cherchant à réconcilier le drapeau rouge avec le tricolore, ceinturé qu’il est par les forces révolutionnaires parisiennes. Un gouvernement provisoire est mis en place, mettant ainsi fin à la monarchie de Juillet. Des républicains radicalisés comme Victor Hugo ou Edgar Quinet se laissent abusés par cette « évolution » de la papauté. Mais lorsque le mouvement prolétarien se radicalise et débouche sur les journées de juin où il est écrasé par la réaction, Pie IX cherchera alors refuge derrière le sabre du bonapartisme. 

De Jean Chrysostome (IVème siècle), écrivant « L’homme riche n’est pas celui qui possède beaucoup, mais celui qui donne beaucoup » à François d’Assise (XIIIème siècle), moine pauvre parmi les déshérités contre les pompes de l’Eglise, on n’en finirait pas d’égrener cette contradiction bimillénaire entre le développement des sociétés et ses représentations religieuses. Dans l’histoire moderne l’Eglise maudit le capitalisme non en raison d’une quelconque lutte pour l’émancipation sociale, mais parce qu’il a produit les ouvriers modernes qui menacent tout l’édifice de la propriété privée, comme l’explique Marx dans le Manifeste Communiste et ses conclusions sur le socialisme chrétien ou féodal. 

Le concile Vatican II, convoqué par le vieux pape Jean XXIII en 1962, prenait une succession difficile, celle de Pie XII, pape compromis avec le fascisme, qui avait refusé de prendre position sur les camps d’extermination nazis, avec une Eglise de France dans le giron de Pétain. Il fallait ouvrir pour survivre.  Les années de la décennie 1968-1980 ont vu se développer dans une Amérique Latine en feu les mouvements inspirés par la Théologie de la Libération. C’est l’intervention d’un prêtre péruvien Gustavo Gutiérrez au congrès Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) en 1968 qui en définit les principes. On dépasse le cadre de la charité du riche à l’égard du pauvre, le mouvement propose aux pauvres d’être les acteurs de leur propre libération. Néanmoins pour son fondateur il ne s’agit pas de remettre en cause les principes définis dans l’Encyclique du pape Léon XIII qui reposent sur le corporatisme chrétien et l’association capital-travail.  Lorsque certaines communautés religieuses poseront la question, qui doit posséder les moyens de production, le Vatican condamnera la Théologie de la Libération sous la houlette d’un pape issu de l’Eglise polonaise et membre de l’Opus Dei (1), Jean Paul II. 

Aujourd’hui l’Eglise romaine est à nouveau prise entre les forces qui résistent à l’oppression et la renaissance de la peste brune. D’un côté le régime de Poutine fermement appuyé sur la « gendarmerie des conscience » qu’est l’Eglise orthodoxe. Le patriarche Kirill bénit les canons et les avions qui tuent les enfants ukrainiens, prêchant la soumission à l’Apocalypse nucléaire à venir. La France des Lumières et de la Révolution Française est particulièrement visée. De l’autre, Trump s’appuie sur un courant d’extrême droite qui se développe dans les Eglises américaines catholiques, presbytériennes, évangéliques épiscopaliennes, y rencontrant d’ailleurs une opposition déterminée. L’insurrection et la prise du Capitole le 6 janvier 2021 s’est appuyée sur ce courant politico-religieux puissant, sous-estimée dans la conscience démocratique aux US. On a vu des banderoles au nom de « Jésus 2020 » et des insurgés pénétrant dans le Sénat sous l’oriflamme du nationalisme chrétien le plantant à côté du drapeau américain. Les prises de position du pape François reconnaissant les droits nationaux de l’Ukraine et refusant l’expulsion massive des migrants par la nouvelle administration américaine sont la cible de Trump et de son vice-président Vance en particulier. Le patriarche de Moscou, par ailleurs officier du FSB, dénonce l’afflux de Migrants et appelle au salut de « la Sainte Russie ». 

Il n’est pas hasardeux que le vice-président J.D.Vance se soit précipité au Vatican le 19 avril, quelques jours avant le décès du pape. Dans l’accélération des contradictions générées par la guerre, même un nouveau schisme est une possibilité. Je penche pour ma part qu’il y aura plutôt une reprise en main de l’appareil clérical, ce dernier se soumet toujours aux possédants. Vance est là pour cela. Rappelons que sur les problèmes qui touchent à la liberté individuelle le pape François, dans l’héritage de ses prédécesseurs a condamné l’IVG, les droits des homosexuels, le mariage pour tous, au nom d’une Eglise qui a été largement éclaboussée en France par le scandale de la pédophilie. 

Dans un pays où les valeurs laïques ont été bafouées depuis 1958 par les gouvernants et présentées comme ringardes, nous sommes pris entre deux feux : dans une Vème République qui n’en finit pas de voir se creuser le gouffre entre les aspirations politiques et l’exécutif, on voit Macron aux côtés de Trump lors de l’inauguration de Notre Dame de Paris faire l’éloge du principe monarchique, d’Henri IV à Charles de Gaulle. Son orientation « réparer le lien abimé entre l’Eglise de France et l’Etat » par la loi de 1905. Quant à entendre des voix de gauche, où sont-elles ? Mélenchon avait rendu un hommage vibrant au pape François lorsque ce dernier était venu à Marseille en 2023, pour reprendre le mot de Voltaire « embrassant ses sacrés pieds ». Il vient d’en remettre une louche ce 21 avril : en déclarant :

« [Le] christianisme a cessé d’être une théorie abstraite à l’usage de la bonne conscience bourgeoise. Il reprenait place parmi les vertus de l’insoumission active face à l’ordre injuste qui détruit les êtres et leur écosystème. Il s’est présenté comme la forme d’un engagement spécifique capable de converger et même d’ajouter à l’action populaire réelle et à ses espérances concrètes. François se chargeait d’incarner lui-même cet engagement ! Et pour le faire, il a pris sa part pour éclairer le chemin commun. » (3)

Voilà Mélenchon toujours en pleine conformité avec la ligne de l’Unité des deux cultures chrétienne et laïque présidant à la constitution du Parti Socialiste d’Epinay en 1971. Lequel parti au pouvoir a aggravé les lois antilaïques dans le sens voulu par la Constitution de 1958. 

Voilà donc le pape au rang des Insoumis ! Gageons que si Mélenchon est élu président de la République en 2027, il fera un excellent chanoine du Latran.(2) Non seulement il aura droit au Chapitre, mais il le dirigera !

Notes :

1)Institut séculier fondé en 1928 par un prêtre qui fut franquiste pendant la guerre civile espagnole et dont la mission consiste à sélectionner des « laïcs » détenant des postes importants pour infiltrer les appareils des Etats. Il a été canonisé par Jean Paul II.

2)Au nom d’un principe remontant à la monarchie de droit divin, la hiérarchie catholique considérait la France comme « la fille ainée de l’Eglise » et décernait au monarque le titre honorifique de chanoine du Latran. A partir de 1957 cette tradition s’est de nouveau exercée à la demande des exécutifs. Georges Pompidou, François Mitterrand et François Hollande ont refusé d’en faire la démarche.

3) https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/jean-luc-melenchon-le-pape-francois-a-pris-sa-part-pour-eclairer-le-chemin-commun-98405.php