Nous reproduisons l’éditorial d’Esther Solomon, Rédactrice en chef, Haaretz English daté du 20 mars 2025.
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Cette semaine, les Israélien·nes se sont à nouveau réveillé·es en pleine guerre, mais cette fois non pas à cause de l’attaque surprise du Hamas du 7 octobre, mais à cause d’une décision consciente de leur gouvernement de reprendre le combat, contre la volonté de la majorité populaire, qui privilégie systématiquement la fin de la guerre et le retour de tous et toutes les otages. Cette même semaine, le gouvernement Netanyahu a intensifié ses combats sur deux autres fronts : sa guerre contre la démocratie israélienne et sa guerre contre les juifs et les juives de la diaspora.
Le premier ministre Netanyahou expose crûment sa « vision » du caractère de son propre régime et des principes qui régissent le comportement de l’État israélien à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il s’agit d’une vision véritablement révolutionnaire, en ce sens qu’elle déchire et réduit en confettis la plupart des valeurs fondamentales et des contrats sociaux qui lient l’État à ses citoyen·nes, et l’État au peuple juif à l’extérieur de ses frontières.
Avec le soutien de l’administration Trump, mais à la consternation de la majeure partie du reste de la communauté internationale, les frappes aériennes de Tsahal pleuvent à nouveau sur Gaza. Les ministres de Netanyahou utilisent un langage à glacer le sang, dirigé contre toute la population de Gaza, et pas seulement contre le Hamas.
La prémisse déclarée de la rupture du cessez-le-feu – à savoir que la pression militaire extrême forcera le Hamas à capituler et conduira à la libération d’otages vivants – est fausse et illogique. Seize mois de guerre ont montré que seules les négociations permettent de ramener un nombre significatif d’otages vivant·es, que les frappes aériennes les tuent, et que le Hamas, qui a repeuplé ses rangs, n’a aucun scrupule à se battre jusqu’au dernier·e habitant·e de Gaza. Comme l’a dit Einav Zangauker, mère guerrière de l’otage Matan : « Netanyahou a ouvert les portes de l’enfer non pas sur le Hamas, mais sur nos proches ».
La véritable raison de la reprise de la guerre est d’assouvir la soif de guerre annexionniste de l’extrême droite, et de faire gagner au premier ministre plus de temps au pouvoir. Et ces deux raisons entrent en ligne de compte dans la résurgence sur stéroïdes du coup d’État judiciaire du gouvernement, maintenant affiné pour éliminer le chef du Shin Bet et la procureure générale, les dernier·es gardien·nes clé·es de la démocratie et de l’État de droit.
L’appel de Netanyahou à se débarrasser de ces fonctionnaires gênants a un caractère urgent, et il s’appelle Qatargate : le scandale roulant des proches collaborateurs de Netanyahou qui auraient été payés par Doha pour des relations publiques positives pendant la guerre, dans lequel le Shin Bet est un organisme d’enquête de premier plan. Dans le plus pur style trumpiste, et avec un clin d’œil à ses collègues populistes de la Maison-Blanche, Netanyahou s’est emparé des médias sociaux pour accuser « l’État profond gauchiste » de conspirer pour armer le système judiciaire afin de faire tomber le gouvernement de droite.
Cette semaine, des développements spectaculaires ont également eu lieu sur le troisième front : la façon dont le gouvernement comprend sa relation avec les juifs et les juives de la diaspora. Amichai Chikli, le ministre chargé des relations avec la diaspora et tsar de l’antisémitisme en Israël, organise une conférence sur la « lutte contre l’antisémitisme » à laquelle participent des représentants de partis d’extrême droite européens dont les antécédents antisémites, néo-nazis et illibéraux sont soit un fait de leur fondation, soit une caractéristique quotidienne de la rhétorique de leurs militant·es.
Il s’agissait d’une embuscade pour les représentants de haut niveau des communautés juives américaines et européennes également invités à y assister : Montrer leur solidarité avec Israël au prix de leurs propres valeurs et de leur sécurité. L’un après l’autre, ils ont annulé, du grand rabbin du Royaume-Uni au chef de l’ADL : même le président d’Israël a refusé d’accueillir les politicien·nes d’extrême droite. Ce sont des gestes rares et courageux qui pourraient bien être une étape importante dans la rupture des relations entre Israël et la diaspora, un signe de l’exaspération des juifs et des juives de la diaspora et de l’arrogance, du cynisme et du fanatisme du gouvernement israélien.
Les guerres de Netanyahou ont un coût humain terrible, mais elles sont aussi conçues pour remodeler le langage et l’espace de dissidence. Pour relancer le cessez-le-feu, faites la guerre. Pour sauver les otages, bombarde-les. Pour sauver la démocratie, instaurez l’autocratie. Pour faire face à l’antisémitisme, accueillez les antisémites.
Malgré leur profonde lassitude, la plupart des Israélien·nes n’y croient pas. Quarante mille d’entre elleux ont manifesté à Tel-Aviv mardi et des milliers d’autres à Jérusalem le lendemain. Mais Netanyahou dispose d’armes redoutables, et aucun cessez-le-feu n’est en vue pour les guerres à l’extérieur et à l’intérieur des frontières d’Israël.
Esther Solomon,
Rédactrice en chef, Haaretz English
Communiqué par ML, traduction légèrement revue
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