
Nous avons hésité à mettre sur le site le communiqué de Golem concernant la parution dans Contretemps (la revue en ligne) d’une intervention de Houria Bouteldja lors du colloque sur « l’Alliance des tours et des bourgs », non que nous ne partagions pas l’avis de Golem mais parce que nous répugnions toujours à faire référence à certains discours, certaines publications teintées d’un antisémitisme prégnant.
Nous le publions en le rapprochant des propos de Rony Brauman, tenus lors d’un débat de l’UJPF organisé au local du POI ,alignant et comparant Gaza et la Shoah. En le rapprochant aussi d’un tract d’Urgence Palestine signé par plusieurs organisations concernant, entre autre, la participation de l’association de femmes juives formée après le 7 octobre « Nous vivrons » à la manifestation féministe du 8 mars. Tract intitulé » Ni sioniste, ni fasciste ». Il faut préciser que « Nous vivrons » à reçu l’aval des organisatrices de la manifestation et qu’il n’y a aucun point commun avec l’organisation Némésis soutenue par Sarah Knafo.
Nous sommes inquiets de la répétition de ces manifestations d’antisémitisme .Mais inquiets aussi de la participation à ces publications, forums ou tracts de sites, d’ organisations qui se réclament de la gauche révolutionnaire et démocratique. La proximité de ces manifestations avec l’univers gazeux de LFI ne fait que renforcer la confusion alors que la situation nécessite aujourd’hui une clarté absolue contre l’offensive fasciste de Trump, celles de Poutine et de Netanyahou.
ML
L’Alliance des Tours, des Bourgs et des Nazis ?
« Militants de gauche, Houria Bouteldja n’est (toujours) pas une camarade ! »
La revue en ligne Contretemps – revue de critique communiste a cru bon de publier l’intervention d’Houria Bouteldja au colloque de « l’Alliance des Tours et des Bourgs », rassemblant différentes franges de la gauche politique, syndicale et associative le week-end des 11 et 12 janvier dernier1.
Cette intervention développe pourtant un discours antisémite et fasciste. Ce n’est pas tant une surprise puisque, dans son livre Les Beaufs et Les Barbares, Houria Bouteldja se place dans l’héritage de Soral qui serait le premier à avoir « su toucher simultanément les âmes de deux groupes aux intérêts contradictoires et [avoir] envisagé avant tout le monde une politique des beaufs et des barbares »2.
Cette fois-ci, c’est un autre théoricien que Bouteldja met en avant dans son introduction : Otto Strasser, fondateur des SA et l’un des principaux théoriciens et dirigeants du parti nazi dans les années 1920, ayant aidé à l’accession d’Hitler au pouvoir. Son héritage politique et idéologique est revendiqué par une partie de la mouvance néo-nazie et par l’AFD en Allemagne, héritière du NSDAP. Non contente de citer un théoricien nazi, Bouteldja reprend à son compte ses concepts et sa critique du communisme. Elle affirme que, la gauche n’étant bien souvent que matérialiste, elle n’arrive pas à toucher aux affects des masses, à faire rêver.
Mais Houria Bouteldja, elle, sait faire rêver : elle affirme que « le mot patrie est polysémique »… Selon elle, il faudrait en fin de compte réhabiliter le patriotisme à gauche. Patriotisme qui lui mobiliserait réellement les affects de la « France authentique du terroir, de l’identité et des traditions », actuellement opposée à « la France des grandes métropoles, mondialisée et cosmopolite »3.
Houria Bouteldja fait l’apologie de la Révolution nationale et patriotique pour « en finir avec la forme éthérée de « la révolution permanente » qui est une forme abstraitement « cosmopolite » et universaliste »4. Bouteldja ne peut ignorer que Drumont, Barrès et Strasser, théoriciens d’extrême
1 Houria Bouteldja, « Rêver ensemble. Pour un patriotisme internationaliste », ContreTemps, 11 février 2025. 2 Houria Bouteldja, Les Beaufs et Les Barbares, La Fabrique, 2023.
3 Bouteldja, Les Beaufs et Les Barbares, op.cit., p. 139.
4 Bouteldja, « Rêver ensemble », op. cit.
droite racistes et nationalistes, déployaient un discours sensiblement similaire au sien dans la première moitié du XXème siècle. L’extrême droite aujourd’hui leur rend toujours hommage.
Drumont opposait dans La France Juive, le vrai Français, le patriote contre le « Sémite juif », le nomade universaliste, le parasite :
« La patrie, dans le sens que nous attachons à ce mot, n’a aucun sens pour le Sémite. Le Juif – pour employer une expression énergique de L’Alliance israélite – est d’un inexorable universalisme. Je ne vois pas très bien pourquoi on reprocherait aux Juifs de penser ainsi. Que veut dire Patrie ? Terre des pères… On ne s’improvise pas patriote ; on l’est dans le sang, dans les moelles. Le Sémite, perpétuellement nomade, peut-il éprouver des impressions aussi durables ? »5.
Barrès effectuait une légère variation en opposant le « Juif cosmopolite déraciné » au Français nationaliste enraciné dans sa Terre et ses traditions. Les nazis considéraient la « race juive » comme « sournoise et cosmopolite », « ferment de la décomposition sociale ». Mais ce ne sont pas que les mots que Bouteldja reprend, c’est l’idée même, celle du cosmopolite qui déracine les peuples, les coupe de leurs traditions, de leur terre, de leurs origines, de leurs instincts, de leurs émotions singulières pour les universaliser. C’est pourquoi elle préconise que les classes subalternes puissent se « re-nationaliser puis se ré-enraciner pour se rapprocher des instances de pouvoir »6.
En marche vers « le Frexit décolonial », vers la révolution nationale en opposition à la « révolution permanente » et à l’Europe cosmopolite et universaliste qui déracine le peuple. On s’étonne une nouvelle fois que dans une revue trotskiste comme Contretemps, on reprenne les argument utilisés par Staline qui accusait ses opposants trotskistes d’être « cosmopolite sans racine » pour les envoyer au Goulag. Ces derniers se retourneraient dans leur tombe en voyant leurs héritiers reprendre l’argumentaire de leurs bourreaux.
Bouteldja rêve. Grâce à elle, même le nazisme peut devenir décolonial. La frange de la gauche qui a participé à ce colloque devait dormir pendant cette intervention. Et nous, on cauchemarde, bien réveillés.
Collectif Golem 24/02/2025
5 É. Drumont, La France juive devant l’opinion, C. Marpon et Flammarion, 1886, t.1, p. 58. 6 Bouteldja, Les Beaufs et Les Barbares, op. cit., p. 136.