Idées et Sociétés, International

La question nationale (texte 4). La question des Rohingyas.

La crise des Rohingyas et la question nationale : une perspective marxiste

Il s’agit d’une contribution importante à la compréhension de l’oppression des Rohingyas et de la question nationale d’un point de vue marxiste rédigée par Noor Sadeque Nur (la première du genre écrite par un Rohingya à ma connaissance). Un article plus substantiel sur le sujet sera bientôt publié. – Robert Narai

La situation critique du peuple rohingya compte aujourd’hui parmi les crises humanitaires les plus aiguës. En tant que minorité ethnique et religieuse du Myanmar, les Rohingyas sont confrontés à une discrimination systématique, à la violence de l’État et aux déplacements forcés. Notre statut d’apatrides est le fruit du processus d’édification de la nation fondé sur l’exclusion au Myanmar, qui trouve ses racines dans l’héritage colonial et les luttes pour le pouvoir qui ont suivi l’indépendance. D’un point de vue marxiste, il est utile, pour analyser la crise des Rohingyas, de se référer aux travaux de Lénine sur « la question nationale ». Nous pouvons ainsi examiner comment les nationalités et les groupes ethniques opprimés s’inscrivent dans le cadre plus large de la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

Le contexte historique qui a conduit à l’oppression des Rohingyas
Les Rohingyas sont un groupe ethnique majoritairement musulman originaire de l’État de Rakhine, au Myanmar. Malgré des données historiques confirmant notre présence dans la région depuis des siècles, le gouvernement du Myanmar refuse de nous reconnaître comme citoyen.ne.s. La loi sur la citoyenneté de 1982 a institutionnalisé notre exclusion en nous refusant la reconnaissance juridique, en faisant de nous des apatrides et en nous privant de droits fondamentaux tels que la liberté de circulation, le droit à l’éducation et le droit au travail.

Cette exclusion est profondément liée au processus de construction nationale post-colonial du Myanmar. Depuis que le pays s’est affranchi de la Grande-Bretagne en 1948, les élites militaires et politiques birmanes, dominées par la majorité ethnique bamar, ont promu une identité nationale figée fondée sur le nationalisme bouddhiste. Ce cadre a placé les Rohingyas dans la catégorie des « différents de l’intérieur » et a favorisé leur persécution systématique. Les violences de masse se sont intensifiées en 2017, lorsqu’une répression militaire brutale, présentée comme une réponse à de prétendues attaques d’insurgés, a contraint plus de 700 000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh.

La question nationale et le statut d’apatride des Rohingyas
Dans la réflexion marxiste, « la question nationale » renvoie à la relation entre les nationalités opprimées et la lutte plus large contre le capitalisme et l’impérialisme. Lénine affirmait que l’autodétermination nationale était fondamentale pour les mouvements socialistes, mais mettait en garde contre l’utilisation du nationalisme pour diviser la classe ouvrière.

La crise des Rohingyas illustre cette dynamique, où l’identité ethnique est manipulée pour servir les intérêts de la classe dirigeante du Myanmar.

i. L’exclusion ethnique comme outil de pouvoir pour l’élite
L’exclusion des Rohingyas sert la classe dirigeante du Myanmar en détournant la lutte des classes vers des divisions ethniques. La junte militaire et les élites nationalistes utilisent le sentiment anti-Rohingya pour consolider leur pouvoir, détournant l’attention des injustices économiques plus générales et des luttes de la classe ouvrière. En présentant les Rohingyas comme une « menace étrangère », l’État favorise l’unité au sein de la majorité Bamar tout en réprimant la dissidence plus large.

ii. Le rôle du capitalisme mondial et de l’impérialisme
La crise des Rohingyas n’est pas seulement une question nationale, elle est étroitement liée aux intérêts capitalistes mondiaux. Malgré les condamnations internationales, l’armée birmane bénéficie de contrats d’armement et d’investissements économiques de la part de puissances régionales et mondiales. La Chine et l’Inde, par exemple, entretiennent des partenariats économiques avec le gouvernement birman, motivés par leurs intérêts stratégiques pour les ressources naturelles et les routes commerciales.

De même, le Bangladesh, qui accueille près d’un million de réfugiés rohingyas à Cox’s Bazar, est confronté à des pressions économiques et politiques dont les puissances mondiales tirent profit. L’afflux de réfugié·e·s met à rude épreuve les ressources du Bangladesh, créant une dépendance à l’égard de l’aide internationale. Des organisations telles que le HCR et la Banque mondiale fournissent une aide humanitaire, mais cette aide s’inscrit souvent dans le cadre d’intérêts géopolitiques plus larges, consolidant la position du Bangladesh dans la hiérarchie économique mondiale.

Les réfugié·e·s rohingyas à Cox’s Bazar : une crise dans la crise
Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugié·e·s au monde, abrite près d’un million de réfugié·e·s rohingyas dans des camps surpeuplés et sous-équipés. Alors que le Bangladesh a initialement assuré leur accueil, les conditions se sont détériorées en raison de la pénurie de ressources, des tensions politiques et de la désaffection internationale.

• Conditions de vie précaires : Les réfugié·e·s rohingyas sont confronté·e·s à des pénuries alimentaires, à des soins de santé inadéquats et à un accès limité à l’emploi (remarque : l’absence de mesures de sécurité incendie et de sensibilisation à la sécurité en cas de catastrophe naturelle a entraîné plusieurs incendies).

• Problèmes de sécurité : des groupes armés et des trafiquants d’êtres humains profitent de la situation désespérée dans les camps. Les menaces contre les jeunes se multiplient, la violence contre les Rohingyas dans les camps s’intensifie et il arrive même que des Rohingyas soient assassinés.

• Pressions politiques et économiques : le gouvernement bangladais, confronté à une opposition interne, restreint de plus en plus la mobilité des Rohingyas et leur accès à l’éducation. Il a même interdit aux véhicules d’entrer dans le camp, entravant ainsi l’intégration à long terme.

La situation de crise à Cox’s Bazar illustre comment les réfugié·e·s finissent par être les pions des politiques capitalistes au Bangladesh, tout autant que ceux des politiques capitalistes mondiales. Les nations riches refusent la réinstallation d’un nombre significatif de Rohingyas, tandis que les puissances régionales comme la Chine et l’Inde se concentrent sur leurs propres intérêts stratégiques plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de la crise.

Un appel à la solidarité et à la résistance
D’un point de vue marxiste, la crise rohingya n’est pas seulement une question ethnique ou humanitaire, elle est profondément liée à l’oppression étatique, au capitalisme et à l’impérialisme. Les élites dirigeantes du Myanmar exploitent le nationalisme ethnique pour se maintenir au pouvoir, tandis que les forces capitalistes mondiales se nourrissent de l’instabilité et des politiques d’aide.

Pour résoudre la crise, les solutions doivent aller au-delà de l’aide humanitaire et s’attaquer aux facteurs structurels qui conduisent à l’exclusion des Rohingyas. Il s’agit notamment de :

• Remettre en question l’emprise de l’armée birmane sur le pouvoir et dénoncer ses liens avec le capitalisme mondial.

• Défendre l’autodétermination des Rohingyas, en faisant en sorte que nous soyons reconnus comme des membres à part entière de la société. En défendant l’autodétermination des Rohingyas, le mouvement ouvrier birman peut remettre en cause le nationalisme bouddhiste au sein de la classe ouvrière.

• Renforcer la solidarité entre les groupes opprimés au Myanmar, au Bangladesh et au-delà, et relier la lutte des Rohingyas à des mouvements anticapitalistes plus larges.

En fin de compte, la crise des Rohingyas nous rappelle de manière brutale que l’oppression ethnique est indissociable de la lutte des classes. Une solution juste nécessite le démantèlement des structures du nationalisme ethnique, de l’oppression étatique et de l’exploitation capitaliste mondiale qui entretiennent leur marginalisation.

Noor Sadeque Nur
Tiré de Facebook
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73638