Idées et Sociétés, International

La question nationale ukrainienne. Texte 2.

Critique de la position anti-indépendantiste de Lénine face à la question nationale ukrainienne et à celle d’autres nations opprimées de l’Empire russe 

Par Zbigniew Marcin Kowalewski (31 août 2024)

L’Ukraine acquiert son indépendance en août 1991, une date extraordinairement tardive, et cela, même dans les conditions historiques de l’Europe centrale et orientale. Ce fait est d’autant plus paradoxal que, dès sa naissance comme nation précocement moderne, dans le feu de sa première révolution nationale qui éclate en 1648, l’Ukraine se fixe l’indépendance comme tâche historique. Elle se distingue de la « nation féodale polonaise » (1) qui l’opprime du fait que, pour naître, elle doit balayer le féodalisme et affranchir la paysannerie du servage. Cette révolution, contemporaine de celle de l’Angleterre, résulte de la combinaison de deux forces : l’Armée zaporogue, formée de cosaques libres au service des rois polonais, qui s’est rebellée, et les très larges masses rurales et urbaines qui, sur le modèle des soldats de cette armée, se sont autoproclamées cosaques, c’est-à-dire hommes et femmes libres et en armes. 

En s’autoproclamant cosaques, ils accomplissent un acte de libération sociale et se constituent en même temps en nation ukrainienne. L’Armée zaporogue, en se transformant en appareil d’État sur cette base sociale de masse, réalise la formation de l’État national ukrainien. Toutefois, celui-ci ne parvient pas à préserver son indépendance. D’abord vaincu militairement par la Pologne, il s’effondre sur la rive droite du Dniepr. Sur sa rive gauche il tombe sous la dépendance de l’Empire russe. À la fin du XVIIIe siècle, au cours de trois partages successifs de la Pologne entre les puissances voisines, l’écrasante majorité de l’Ukraine est finalement conquise par l’empire tsariste.

En 1917-1920, au cours de la révolution et de la guerre civile, c’est-à-dire lors de la chute de l’Empire russe, l’Ukraine aurait dû retrouver son indépendance en tant qu’Ukraine soviétique ou sous une autre forme. La deuxième révolution nationale ukrainienne est déclenchée en 1917, dans le sillage de la Révolution russe, avec laquelle son destin se mêle. Cette imbrication découle de la colonisation de l’Ukraine par l’Empire tsariste et de la conséquence sociale particulière de cette colonisation : la russification massive et profonde des villes, y compris du prolétariat urbain et du mouvement ouvrier, dans un pays où l’écrasante majorité des habitants vit principalement à la campagne.

Cet enchevêtrement est tel que la Rada centrale ukrainienne qui, face à la menace de l’intervention militaire du Gouvernement provisoire russe, dirige le mouvement national sur la voie de l’indépendance d’une façon très indécise, ne parviendra pas à détacher l’Ukraine de la Russie avant la révolution d’Octobre. Ceci en dépit de la pression indépendantiste des unités militaires ukrainisées de l’armée russe, soit des masses paysannes ukrainiennes en uniforme, qui lui apportent leur plus ferme soutien. Elle n’osera le faire que deux mois et demi après la prise du pouvoir par les bolcheviks à Petrograd. 

Cette décision de la Rada centrale, considérée par les bolcheviks comme contre-révolutionnaire, est pourtant inévitable : aucune nation colonisée ne s’est en effet libérée, quelles que soient les circonstances historiques, quel que soit le régime étatique de la métropole, sans se séparer de la nation dominante. Imaginer que les choses puissent être différentes, parce que le pouvoir soviétique s’instaure et que la révolution socialiste commence en Russie, c’est croire aux miracles. Les bolcheviks russes y ont cru, sans tenir compte du fait qu’une telle conviction de la part de révolutionnaires de la nation dominante pouvait légitimement être suspectée de chauvinisme de grande puissance. À noter que les bolcheviks ukrainiens, qui n’étaient qu’une poignée, ce parti n’étant qu’un parti urbain presque exclusivement russe et juif, ne partageaient pas nécessairement cette assurance.

Dès lors, la Russie bolchevique s’avère organiquement ou structurellement incapable de s’accommoder de la sécession de l’Ukraine. Elle cherche en effet à étendre sa révolution prolétarienne sur le territoire ukrainien en déclarant la guerre au mouvement national ukrainien. Cela la conduit à recourir aux méthodes de la conquête militaire qui n’ont rien à voir – en dépit de l’instauration d’un prétendu pouvoir soviétique – avec celles de la révolution prolétarienne. La Russie soviétique finit ainsi par dominer l’Ukraine en la conquérant à trois reprises – en 1918, en 1919 et en 1920. Face à une nation jusqu’alors colonisée, jusqu’alors opprimée, une telle conquête ne peut que reproduire une relation de domination d’une nation sur l’autre. Le fait que l’Ukraine n’ait pas pu obtenir son indépendance à l’époque jette une ombre sur la Révolution russe et sur les bolcheviks – y compris sur ceux qui étaient actifs en Ukraine. Si le pouvoir réel des conseils devait être socialement émancipateur en Ukraine, il ne pouvait l’être qu’en relation inséparable avec son indépendance nationale.

Les bolcheviks sont un parti russe – le parti du mouvement ouvrier de la nation dominante. En 1923, à une époque où quelque chose de semblable peut encore être publié en URSS, le premier historien bolchevik du mouvement communiste en Ukraine, un ex-bundiste qui comprend donc la question nationale, peut affirmer sans détour, qu’avant 1918, le bolchevisme de ce pays est « le parti communiste russe en Ukraine »(2). 

De façon générale, pour comprendre l’oppression nationale et savoir comment la renverser, il faut apprendre avant tout des marxistes qui la subissent et la combattent. Pourtant, les manuels et anthologies présentant des positions marxistes sur la question nationale font exactement le contraire. On nous fait croire que seuls les marxistes appartenant aux nations dominantes ont réfléchi à cette question et l’ont théorisée – à l’exception de Luxemburg qui la nie. Les acquis théoriques et politiques des marxistes appartenant aux nations opprimées – même leurs noms – sont absents de ces manuels et anthologies, si bien que la pensée, la stratégie et les pratiques socialistes en ont payé le prix fort depuis beaucoup plus d’un siècle.

Quatre thèses sur la question nationale 

Les bolcheviks rejettent résolument quatre thèses fondamentales posées par des marxistes appartenant à des nations opprimées : 

1. Si l’empire n’est pas indivisible, la révolution ne l’est pas non plus 

La première a été formulée par Feliks Perl , militant et penseur politique du socialisme indépendantiste polonais : « De même que la Russie n’est pas “une et indivisible”,(3) la révolution en Russie n’est pas non plus “une et indivisible” » . Pour lui, la multiplicité des révolutions dans un empire – « prison des nations » – est inévitable. Et c’est ainsi que les choses se sont passées, indépendamment de la manière dont les sociaux-démocrates russes, y compris les bolcheviks, voulaient les voir. La révolution de 1905 a confirmé le pronostic de Kazimierz Kelles-Krauz (5), un camarade de Perl et le plus éminent penseur du Parti socialiste polonais (PPS) : « le renversement du tsarisme doit être le synonyme, écrivait-il, de l’éclatement de l’empire et tout ce qui vise l’un de ces objectifs accélère également la réalisation de l’autre » (6). 

Dans le PPS l’idée était ancienne comme ce parti, fondé en 1893, des années avant la social-démocratie russe.

Kelles-Krauz observait, en 1899, que « la lutte pour l’indépendance de la Pologne devient une lutte de classe », celle du prolétariat, parce qu’« un trait caractéristique des courants modernes, transportés dans divers coins de l’État russe par le capitalisme en développement, est l’éveil – en même temps que la conscience démocratique et la conscience de classe – de la conscience nationale. Partout, l’ouvrier, se rendant compte, sous l’emprise du capital, qu’il est un être humain qui souffre aujourd’hui mais qui a certains droits, se rend compte aussi, dans le même processus spirituel, qu’il est un être humain d’une certaine nationalité et qu’il a également certains droits nationaux, et ce d’autant plus qu’une police, une justice et un gouvernement étrangers, envahisseurs brutaux, montent la garde devant le capital exploiteur » (7).

2. Il faut partir de l’expérience historique des mouvements nationaux 

La seconde thèse a été posée par Vassyl Chakhraï (8), un bolchevik ukrainien dissident et fondateur sur le plan théorique du communisme indépendantiste ukrainien (9), un autre nom inconnu des anthologies marxistes classiques sur la question nationale.

« L’expérience historique des mouvements nationaux – voilà où il faut chercher les réponses à toutes les questions liées à la question nationale », déclare-t-il dans une polémique contre Lénine. Il faut partir « des conditions concrètes de la vie et de la tendance du développement des mouvements nationaux en général, à telle ou telle période du développement social, et en particulier d’un mouvement national donné ». Et leur expérience prouve que la tendance de tout mouvement national est de créer son propre État national indépendant. « Cette tendance fondamentale s’est manifestée et continuera à se manifester partout tant qu’il y aura un État.

Il en a été ainsi à l’époque de la lutte et de la victoire du capitalisme sur le féodalisme, il en est ainsi à l’époque actuelle de l’impérialisme, il en sera ainsi dans le socialisme »(10).

3. La séparation étatique des nations opprimées est une condition de leur libération nationale 

La troisième thèse découle directement de la seconde : la tendance affirmée des mouvements nationaux des peuples opprimés incorporés dans l’État d’une nation dominante, est de se séparer. Leur séparation étatique est la condition du renversement de leur oppression nationale. 

« Nous avons établi que le but de notre action commune » avec les sociaux-démocrates russes et autres de l’empire tsariste, explique Kelles-Krauz, « doit être le renversement du tsarisme, mais ce n’est là qu’un but négatif ; qu’est-ce qui doit être substitué au tsarisme actuel ? En d’autres termes, qu’est-ce qui doit résulter de la force des choses, des conditions réelles, après sa chute ? Peut-on songer un instant au maintien de l’unité territoriale de l’immense État russe après le renversement du tsarisme qui seul la maintient par le fer et le sang ? Peut-on s’imaginer la réunion d’un corps représentatif, démocratiquement constitué, unique pour toute cette “sixième partie du monde”, peuplée de nations absolument différentes du point de vue de la langue, de la religion, des traditions et penchants historiques, des besoins et des développements économiques, du degré de civilisation ? » « Il est certain que l’ensemble de la large bande occidentale de l’empire, c’est-à-dire la Finlande, les provinces baltes peuplées [d’Estoniens] et de Lettons, la Lituanie, la Pologne, aussitôt le joug rejeté, se sépareront de la Russie, à laquelle seule la force les rive » (11). 

À la fin du XIXe siècle déjà, Kelles-Krauz ne doutait pas qu’« il fallait s’attendre à une intensification des aspirations séparatistes [de l’Ukraine], à la fois sur la base des caractéristiques générales du développement moderne des nationalités (il y a certainement autant de différences entre les langues [ukrainienne] et russe qu’entre l’italien et le français), que sous l’influence croissante du parti socialiste ruthéno-galicien », c’est-à-dire ukrainien agissant dans la partie autrichienne de la Pologne. « La force des choses a enfin produit et doit renforcer » cette tendance.(12)

4. Les socialistes doivent se battre pour la direction politique des mouvements nationaux 

La quatrième thèse c’est qu’il est du devoir des socialistes de se battre pour la direction politique des mouvements nationaux.  

Kelles-Krauz l’a posée ainsi : la cause du mouvement national de chaque nation opprimée devrait être prise en main par « le parti socialiste, dirigeant la révolution nationale, se plaçant à la tête des forces révolutionnaires » et conduisant cette révolution « aussi loin que possible vers l’idéal socialiste »(13) . « Nous voulons », affirmait-il, « assurer au parti ouvrier ce qui nous paraît tout à fait possible dans l’état de développement de notre pays : l’hégémonie dans la prochaine révolution et le maximum d’influence sur la constitution politique et sociale de la Pologne qui en sortira »(14) .  

Comme nous le verrons, c’était également une thèse centrale de Chakhraï sur la question nationale et son point de divergence nodal avec Lénine. 

Le point aveugle de la position de Lénine 

Lénine a fortement insisté sur « la nécessité d’établir une stricte distinction entre deux époques du capitalisme, lesquelles, à son avis, diffèrent radicalement du point de vue des mouvements nationaux. D’une part, l’époque où s’effondrent le féodalisme et l’absolutisme, où se constituent une société et un État démocratiques bourgeois, où les mouvements nationaux deviennent pour la première fois des mouvements de masse et entraînent d’une façon ou d’une autre toutes les classes de la population dans la vie politique par le truchement de la presse, par la participation aux institutions représentatives, etc. D’autre part, l’époque où les États capitalistes sont pleinement constitués, avec un régime constitutionnel depuis longtemps établi, et où l’antagonisme est fortement développé entre le prolétariat et la bourgeoisie, époque que l’on peut considérer comme la veille de l’effondrement du capitalisme. » 

« Ce qui est typique de la première époque, c’est l’éveil des mouvements nationaux où se trouve entraînée la paysannerie, couche de la population la plus nombreuse et la plus “difficile à mettre en train”, étant donné la lutte pour la liberté politique en général et pour les droits de la nationalité en particulier. Ce qui est typique pour la seconde époque, c’est l’absence de mouvements démocratiques bourgeois de masse, alors que le capitalisme développé, rapprochant et brassant de plus en plus les nations déjà entièrement entraînées dans le circuit commercial, met au premier plan l’antagonisme entre le capital fusionné à l’échelle internationale et le mouvement ouvrier international »(15) .

Alors que, selon Lénine, en Europe occidentale continentale, « l’époque des révolutions démocratiques bourgeoises, (…) celle des mouvements nationaux et de la création d’États nationaux » se situait approximativement entre 1789 et 1871, en Russie, en Europe de l’Est et en Asie en général, cette même époque « n’a fait que commencer en 1905 ».

« Il faut être aveugle pour ne pas voir dans cette chaîne d’événements l’éveil de toute une série de mouvements nationaux démocratiques bourgeois, de tendances à la formation d’États nationaux indépendants et homogènes. C’est parce que la Russie et les pays voisins traversent cette époque, et uniquement pour cela, qu’il nous faut dans notre programme un paragraphe relatif au droit des nations à disposer d’elles-mêmes » (16).

Uniquement pour cela.

Le soutien des partis ouvriers et leur participation aux mouvements nationaux, leur lutte au sein de ces mouvements pour la direction politique, ne sont pas et ne seront jamais mentionnés par Lénine, même lorsqu’il proclame pendant la guerre mondiale, que « la place centrale du programme socialdémocrate doit être occupée », ni plus ni moins que par « la division des nations en oppresseuses et opprimées, qui est l’essence de l’impérialisme »(17) . Pour lui, il ne fait aucun doute que dans une révolution qu’il qualifie de « démocratique bourgeoise » dans l’Empire russe, la social-démocratie, avec le mouvement ouvrier, a le devoir politique absolument indiscutable de lutter pour la direction de cette révolution. Chose étonnante, en revanche, cela ne s’applique pas du tout aux mouvements également « démocratiques bourgeois » mais nationaux. 

Au tournant de 1918-1919 Chakhraï met en évidence l’absence de l’essentiel à ses yeux, dans la caractérisation par Lénine des époques de l’histoire des mouvements nationaux du monde : la nature de classe de leurs forces sociales dirigeantes.  

« Le signe le plus caractéristique de ces deux époques est de savoir qui est à la tête de ces mouvements démocratiques de masse. Avant, c’était la bourgeoisie, maintenant c’est le prolétariat. Il y a accord sur ce point en ce qui concerne les “mouvements démocratiques” en général. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une branche des “mouvements démocratiques” , à savoir les mouvements nationaux démocratiques ou les mouvements de libération nationale, elle est immédiatement chargée [chez Lénine] de platitudes “internationalistes” sur le fait que la classe ouvrière, le prolétariat, est une classe internationale, qu’elle se fixe des tâches internationales, que la question nationale n’est rien pour elle, que le prolétariat devrait l’ignorer, comme d’autres “inventions” de ce genre de la bourgeoisie avec lesquelles elle trompe le prolétariat, etc. 

Toutes ces critiques sont très justes lorsqu’elles sont formulées au bon endroit, et terriblement dommageables lorsqu’elles occultent complètement l’essence de la question de la libération nationale. L’essence de toute question de la libération nationale, d’autre part, réside précisément dans le fait que chaque nation cherche à établir son propre État indépendant. Comment le prolétariat se situe-t-il et doit-il se situer par rapport à cette aspiration à créer un État national ? L’expérience historique montre que le prolétariat participe directement au mouvement de libération nationale et qu’il ne peut pas ne pas y participer. Il est impossible de le mettre à l’écart, en dehors du mouvement national, dans une position “neutre”. Alors on le bombarde immédiatement de platitudes “internationales”, mais la question nationale ne sera pas contournée de cette façon. Ne pas la contourner, mais la résoudre, telle est la tâche du prolétariat. 

La social-démocratie internationale a proposé comme solution à la question nationale le “droit des nations à l’autodétermination”, c’est-à-dire à la formation d’un État indépendant et souverain. Elle a repris à son compte ce que la bourgeoisie faisait lorsqu’elle ruinait le féodalisme et l’absolutisme », car « la solution à la question posée par les mouvements nationaux se résume à une chose : la démocratie pleine et entière. Et qui dit démocratie complète dit organisation d’États nationaux, d’États indépendants. Ce fut le cas à la première époque, celle de la chute du féodalisme et de l’absolutisme et de la naissance des États démocratiques bourgeois. Il en va de même aujourd’hui, à l’époque du capitalisme impérialiste dans laquelle nous vivons – l’époque de la naissance du socialisme. Il en sera ainsi sous le socialisme »(18) .

Sur un point, les positions de Lénine et de Luxemburg sur la question nationale sont donc communes : tous deux sont hostiles à la participation de la classe ouvrière aux mouvements nationaux des peuples opprimés de l’Empire russe, ainsi qu’à la lutte des partis ouvriers pour la direction de ces mouvements. Paradoxe étonnant, car un fossé les sépare sur la question à disposer d’elles-mêmes – la négation de ce droit, écrit-il contre elle, « quels que soient les motifs qui la justifient, signifie en réalité une concession ignominieuse au nationalisme grand-russe »(19) .  

En ce qui concerne « les pays semi-coloniaux comme la Chine, la Perse, la Turquie, et toutes les colonies », y compris l’Irlande européenne – « toutes » ne signifie pas du tout « y compris les colonies russes ». Bien au contraire – Lénine estime que « les socialistes doivent soutenir de la façon la plus résolue les éléments les plus révolutionnaires des mouvements démocratiques bourgeois de libération nationale de ces pays et aider à leur insurrection (ou, le cas échéant, à leur guerre révolutionnaire) contre les puissances impérialistes qui les oppriment » .(20) Il n’appelle pourtant pas la social-démocratie des colonies russes ou celle, russe, agissant dans ces colonies, à faire quoi que ce soit de ce genre. Il dénonce comme ennemis de la cause du prolétariat tous les sociaux-démocrates qui sont prêts à faire dans l’Empire russe ce que Lénine a appelé les socialistes à faire dans les colonies d’autres puissances impérialistes. 

Il estime que « la Russie est actuellement le pays dont le système social est le plus arriéré et le plus réactionnaire par rapport à tous les pays voisins, en commençant – à l’ouest – par l’Autriche où, depuis 1867, les fondements de la liberté politique et du système constitutionnel ont été consolidés, et où le suffrage universel a également été introduit, et en terminant – à l’est – par la Chine républicaine », où la révolution a renversé l’empire en 1911. « Dans toute l’Europe orientale (Autriche et Balkans) et en Asie – c’est-à-dire dans les pays limitrophes de la Russie – la transformation démocratique bourgeoise des États, conduisant dans le monde entier, dans une mesure plus ou moins grande, à la formation d’États nationaux indépendants, soit n’est pas achevée, soit vient à peine de commencer »(21) .  

Il aurait dû être clair pour lui, que ce qui se passe déjà dans les pays limitrophes de la Russie, commencera inévitablement à se produire également en Russie, même lorsque le tsarisme sera renversé : que les nations opprimées de l’Empire russe procéderont également à la formation de leurs propres États nationaux indépendants. 

Mais Lénine refuse obstinément de tirer cette conclusion si évidente. Selon son programme politique, l’empire russe ne doit pas éclater à la suite de la révolution renversant le tsarisme et être remplacé par des États nationaux indépendants et, selon ses propres termes, nationalement homogènes, dont il ne salue la formation qu’au-delà des frontières de la Russie, mais par un nouvel État unitaire aussi grand et nationalement hétérogène que cet empire. « Les avantages des grands États, au point de vue aussi bien du progrès économique que des intérêts de la masse, sont indubitables, et ils augmentent sans cesse avec le développement du capitalisme »(22), affirme-t-il, justifiant sa position selon laquelle la solution de la question nationale en Russie ne doit pas consister en la formation d’États nationaux indépendants et homogènes, tels que ceux qui se forment déjà ou vont bientôt, avec la fin de la guerre mondiale, se former chez ses voisins. Dans ce grand État unitaire, tout à fait multinational, évidemment russe, bien qu’il évite scrupuleusement d’en définir le caractère national, les nations non russes jouiront d’une autonomie régionale (23) et, bien entendu, du droit à l’autodétermination jusqu’à la séparation – selon ses écrits, parce qu’il n’y a ni ne peut y avoir aucune autre garantie de cela que la simple lettre du programme du parti bolchevik. 

Alors, il déclare : « Nous voulons de grands États, un rapprochement et même une fusion des nations, mais sur une base véritablement démocratique, véritablement internationaliste, ce qui est impensable sans la liberté de se séparer ».(24) En effet, « plus le régime démocratique d’un État est proche de l’entière liberté de séparation, plus seront rares et faibles, en pratique, les tendances à la séparation »(25)  Or, dans un tel État, il ne saurait être question de relations démocratiques entre les nations, comme il l’a affirmé lui-même très clairement et lucidement, peut-être sans le vouloir, emporté par le feu de la polémique contre Luxemburg, en disant : « Une nation “autonome” n’est pas l’égale en droit d’une nation “souveraine” »(26) . Bien évidemment.

Les éclairs de lucidité de Lénine

En effet, Lénine a parfois un discours différent de son discours dominant, voire opposé. C’est le cas de sa thèse sur l’inévitable inégalité entre nation étatique et nation autonome. Il écrit alors tout à fait différemment qu’à son habitude : 

« Un changement réformiste est celui qui n’ébranle pas les bases du pouvoir de la classe dominante, dont il n’est qu’une concession, et qui maintient sa domination. Un changement révolutionnaire sape le pouvoir jusque dans ses fondements. Dans le programme national, le réformisme n’abolit pas tous les privilèges de la nation dominante ; il n’établit pas l’égalité complète des droits ; il ne supprime pas toutes les formes d’oppression nationale. Une nation “autonome” n’est pas l’égale en droit d’une nation “étatique” ; les camarades polonais n’auraient pas manqué de s’en rendre compte s’ils ne persistaient (tels nos vieux “économistes”) à méconnaître l’analyse des notions et des catégories politiques. La Norvège autonome jouissait jusqu’en 1905, en tant que partie de la Suède, d’une très large autonomie, mais elle n’était pas l’égale en droit de la Suède. C’est seulement par sa libre séparation qu’elle a manifesté pratiquement et démontré son égalité en droit (soit dit entre parenthèses, c’est justement cette libre séparation qui a créé une base de rapprochement plus étroit et plus démocratique, reposant sur l’égalité des droits). Tant que la Norvège n’était qu’autonome, l’aristocratie suédoise possédait un privilège de plus, et ce privilège n’a pas été “atténué” (l’essence du réformisme est d’atténuer le mal et non pas de le supprimer), mais complètement aboli par la séparation (signe principal du caractère révolutionnaire d’un programme) ».(27)

Répétons : c’est seulement par sa séparation, et non par une quelconque garantie du droit à la séparation, que la nation norvégienne a manifesté et démontré son égalité en droit. Ce ne sont pas KellesKrauz, Perl ou Chakhraï qui l’ont écrit, mais Lénine l’a fait lui-même, entièrement dans leur esprit. Ce qui est révolutionnaire, c’est un programme indépendantiste – et non une « garantie » du droit des nations à l’autodétermination inscrite dans un programme de parti ou dans une constitution, car ce sont deux choses tout à fait différentes.

Cependant, même dans ce passage « dissident », Lénine n’a rien dit du fait capital que le Parti du travail norvégien était tout aussi indépendantiste que le Parti socialiste polonais (PPS), que la revendication norvégienne de l’indépendance nationale était largement soutenue par la social-démocratie suédoise et que, lorsqu’à cause du séparatisme norvégien, la Suède a menacé la Norvège de guerre, les sociaux-démocrates suédois ont puissamment mobilisé le mouvement ouvrier dans leur pays et préparé une grève générale pour empêcher la guerre. 

Par rapport au discours dominant de Lénine, il y a un autre cas où son discours est porteur d’idées « dissidentes ». C’est sa conférence prononcée en mars 1914, à Cracovie, connue grâce aux notes prises par un militant du PPS-Gauche. Lénine y dit des choses qu’il n’a jamais dites ailleurs (elles sont en italique) :

En Russie, affirme-t-il, « les tâches non résolues de la révolution démocratique et l’oppression nationale barbare donnent naissance à des éléments de mouvements de libération nationale. Le parti révolutionnaire du prolétariat doit tenir compte de ces particularités et s’efforcer d’intégrer les mouvements de libération nationale dans le courant principal de la lutte révolutionnaire générale contre le tsarisme sous l’hégémonie de la classe ouvrière. C’est à cette fin que sert le mot d’ordre de l’autodétermination nationale. 

Nous, sociaux-démocrates révolutionnaires, aspirons à la création d’un parti unique, strictement compact et centralisé du prolétariat, et nous nous fixons comme objectif politique, si possible, une grande république démocratique “internationale”. Nous concevons cette république comme un État centralisé, avec une autonomie locale et régionale, avec l’abolition des anciennes divisions administratives et leur adaptation aux conditions nationales spécifiques de vie, avec l’abolition de tous les privilèges (y compris la langue d’État obligatoire) et l’égalité complète de toutes les langues locales, à l’image de la Suisse. Une telle république ne peut cependant pas, sans mettre en péril l’ensemble du système démocratique de l’État, maintenir par la force les régions où se manifesteraient des mouvements de masses de libération nationale, c’est-à-dire des tendances à la création d’États nationaux indépendants. Pour rassembler les peuples, il faut lutter contre l’idée même de réprimer ces mouvements. 

Ainsi, le mot d’ordre de l’autodétermination est inévitablement lié à la lutte pour une république centralisée et véritablement démocratique. En pratique, cela signifie que là où, en raison des particularités de la situation nationale et du mode de vie, les frictions causées par la centralisation du système étatique rendraient impossible (même dans des conditions d’égalité formelle) une démocratisation complète, nous, sociaux-démocrates révolutionnaires, devrions plaider en faveur de la séparation étatique du territoire concerné. Ainsi, par exemple, après la déclaration d’indépendance de la Norvège, il était du devoir des socialistes suédois de soutenir concrètement la décision du peuple norvégien et de s’opposer à l’aspiration à annexer la Norvège par la force. Une telle attitude est une condition nécessaire à la formation d’un parti international du prolétariat, à l’unification de toutes les forces révolutionnaires pour la lutte contre le tsarisme et au rapprochement réel des nations, aujourd’hui divisés par l’oppression nationale, sur la base d’une pleine égalité » (28). 

Beaucoup plus « dissidente » encore est la partie consacrée à la question nationale ukrainienne du discours prononcé par Lénine fin octobre/début novembre 1914 à la Maison du peuple de Zurich, en présence de plusieurs centaines d’émigrés politiques de l’empire russe, et repris dans la presse sociale-démocrate autrichienne et allemande :

« Après avoir décrit le développement du capitalisme en Europe occidentale, qu’il n’a pu atteindre que parce qu’il s’était organisé sous forme d’États nationaux, Lénine souligne qu’en Russie, avec ses différents peuples, dont l’un aussi nombreux que l’Ukrainien, en plus privé de sa langue maternelle, un tel niveau de développement reste inatteignable. La langue est certainement un facteur clé dans les relations commerciales, sans lequel ni le commerce ni l’industrie ne peuvent prospérer. L’Ukraine, privée de ce facteur culturel clé (…) est devenue pour la Russie ce que l’Irlande était pour l’Angleterre : exploitée à l’extrême, elle n’obtient rien en retour. Ainsi, tant les intérêts du prolétariat international en général que ceux du prolétariat russe en particulier exigent que l’Ukraine recouvre son indépendance étatique, car c’est seulement ainsi qu’il sera possible d’assurer le développement culturel indispensable au prolétariat. Malheureusement, poursuit Lénine, certains de nos camarades sont devenus des patriotes impériaux russes. Nous, Moscovites, sommes des esclaves parce que nous nous laissons opprimer, mais surtout parce que, par notre passivité, nous contribuons à l’oppression des autres, ce qui n’est pas du tout dans notre intérêt. La nation russe est assez grande pour construire son propre État national. Cela ne ferait que lui permettre de se développer très rapidement ».

On sait de diverses sources, que dans ce discours ou pendant la discussion, Lénine a déclaré que la Russie devrait perdre Riga, Liepaja, Helsinki, Kyiv, Odessa, Tbilissi (sans parler, bien évidemment, de Varsovie). Il a confirmé qu’il le déclarait « avec un sérieux mortel », en réponse à un militant du Bund qui protestait que la Russie ne pouvait pas perdre les États baltes et l’Ukraine – après tout, elle devrait avoir accès à la Baltique et à la mer Noire, car « ce sont ses poumons ». (29)

Lénine n’a jamais répété tout cela. Sans la presse sociale-démocrate allemande et austro-hongroise, il n’y aurait eu aucune trace de ce discours. Il s’agit d’un changement étonnant, momentané, mais d’une cohérence à toute épreuve, en direction des positions programmatiques du socialisme indépendantiste des peuples opprimés de l’Empire russe, ou plus précisément vers les positions que les socialistes polonais sont alors les seuls, avec une poignée de sociaux-démocrates ukrainiens, à défendre dans cet empire. Il s’agit en même temps d’une rupture temporaire et radicale avec sa propre interprétation du droit des nations à l’autodétermination. 

Il n’y a qu’une seule explication possible à cela. Lénine, s’adressant à l’assemblée des sociaux-démocrates russes, parmi lesquels non seulement la question nationale est ignorée, mais qui plus est, le chauvinisme de grande puissance prévaut, et voulant se dissocier frontalement de tels sentiments, a dû se rendre compte qu’en invoquant le droit susmentionné, il n’obtiendrait pas d’effet. Il ne pouvait le faire qu’en causant un tremblement de terre, le deuxième au cours de ce discours : le premier étant son mot d’ordre de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et en révolution. Le second, sur la question nationale, ne pouvait être que celui de l’éclatement de l’Empire russe en États nationaux indépendants. Ce changement de position de Lénine, même momentané et fugace, est une contribution très importante au débat pour savoir qui avait raison sur la question nationale.

Lénine contre la séparation 

Lénine ne considère pas la séparation de quelque nation opprimée que ce soit de la Russie comme opportune. « La séparation n’est pas notre projet. Nous ne prêchons pas du tout la séparation. Nous sommes généralement contre la séparation ».(30) Tel est son discours dominant. Dans ce discours, il est hors de question pour les bolcheviks de lutter pour la direction d’un mouvement national et même d’y prendre part, et les sociaux-démocrates (comme plus tard les communistes) non russes qui le font sont stigmatisés par lui comme des nationalistes bourgeois (ou, dans le cas des communistes-borotbistes ukrainiens, comme des porteurs de « tendances contre-révolutionnaires et petites-bourgeoises », obligeant les bolcheviks à les « liquider »). La raison en est simple : la question du droit à la séparation « ne doit pas être confondue avec la question de l’opportunité de se séparer en un État distinct ».(31) La question de savoir s’il est opportun, du point de vue des intérêts du prolétariat, qu’une nation non russe donnée se sépare de l’empire russe, doit être tranchée par la direction du parti pan russe, en réalité russe. 

Lénine prévoit la séparation de la Pologne et de la Finlande, (32)tout en traitant les socialistes indépendantistes polonais de nationalistes bourgeois répugnants du fait même qu’ils luttent pour l’indépendance nationale. Mais il le fait parce qu’il a sobrement compris qu’en cas de renversement du tsarisme, leur séparation, à ses yeux « inopportune du point de vue des intérêts du prolétariat », était carrément inévitable. « Il existe en Russie deux nations que toute une série de conditions, liées à l’histoire et au genre de vie, ont rendues plus civilisées et plus individualisées que les autres ; elles pourraient mettre en pratique, de la façon la plus aisée et la plus « naturelle » que soit, leur droit à la séparation. Ce sont la Finlande et la Pologne » . Il en est ainsi, explique Lénine, parce qu’en général, si dans un État « dont le régime politique se distingue par un caractère précapitaliste nettement marqué, il existe une région nationalement délimitée où le capitalisme se développe rapidement, on peut dire que plus ce développement capitaliste est rapide, et plus forte est la contradiction entre celui-ci et le régime politique précapitaliste, plus probable est la séparation de la région avancée d’avec l’ensemble, auquel la rattachent non pas les liens d’un “capitalisme moderne”, mais celui d’un “despotisme asiatique” » .(33)

D’une part, il affirme à juste titre que « les mouvements révolutionnaires sous toutes leurs formes – y compris les mouvements nationaux – sont plus concevables, plus réalisables, plus opiniâtres, plus conscients, plus difficiles à vaincre en Europe que dans les colonies » des puissances capitalistes modernes, parce qu’« en Europe, la plupart des nations dépendantes sont plus développées du point de vue capitaliste (…) que les colonies ». 

Il précise ainsi en juillet 1916, qu’« en Pologne, en Finlande, en Ukraine, en Alsace, le capitalisme développe sans nul doute les forces productives d’une façon plus vigoureuse, plus rapide et plus indépendante qu’en Inde, au Turkestan, en Égypte et dans d’autres régions purement coloniales ». Pour autant, dans le même temps, et même dans le même texte, à peine deux ans avant la reconquête de son indépendance nationale par la Pologne, il prétend que « les sociaux-démocrates polonais ne peuvent actuellement lancer le mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne, car en tant que prolétaires internationalistes, les Polonais ne peuvent rien faire dans ce domaine sans tomber, comme les “fracs” [c’est-à-dire les socialistes indépendantistes polonais] dans une plate servilité à l’égard de l’une des monarchies impérialistes » . (34)

Il affirme que ces socialistes polonais « ne sont pas un parti prolétarien, ni socialiste, mais un parti nationaliste petit-bourgeois », et qu’« il n’a jamais été et il ne pouvait être question d’une unité quelconque des sociaux-démocrates russes avec ce parti » . (35)

Toutefois, l’unité, même au sein du même parti, avec le menchevisme, caractérisé également par lui comme petit-bourgeois, est non seulement possible, mais dure depuis des années, tout comme l’unité avec le Bund, même s’il le caractérise comme un parti de « petits-bourgeois nationalistes » et prétend même, avec une imprudence et une hostilité extrêmes, que « tous les bundistes appartiennent à cette catégorie peu respectable de personnes »(36) . Cependant, ni la fraction menchevique de la social-démocratie russe, ni la social-démocratie juive ne visent à séparer des nations opprimées et à faire éclater l’Empire russe. C’est justement ce qui différencie radicalement l’attitude de Lénine sur la question de l’unité avec eux, même au sein d’un même parti, de celle envers les socialistes indépendantistes polonais avec lesquels il n’est pas question pour lui d’une « unité quelconque ». 

À la suite de telles prises de position par Lénine, les très rares léninistes polonais, ainsi que les luxemburgistes beaucoup plus nombreux, bientôt unis au sein du Parti communiste de Pologne, tournent résolument le dos à la lutte pour l’indépendance nationale et laissent facilement, sans la disputer, la direction du mouvement indépendantiste à Piłsudski, qui remplace le programme socialiste de son ancien parti par un « militarisme national-révolutionnaire », s’engageant dans la voie qu’il décrira lui-même un jour comme celle des « révolutions sans conséquences révolutionnaires ». Ce faisant, les communistes polonais enterreront la cause de la révolution socialiste dans leur pays, car en Pologne, comme dans toutes les colonies, en Europe et ailleurs, le chemin qui y mène passe nécessairement par la lutte pour l’indépendance nationale, par une révolution démocratique, comme dans tout l’empire, mais nationale démocratique dans leur pays. 

Ce qui est valable et juste aux yeux de Lénine au-delà des frontières de la Russie – en Chine, en Perse, dans les empires multinationaux ottoman et austro-hongrois, inexorablement voués à l’éclatement selon des lignes nationales – à savoir la formation d’États nationaux indépendants et homogènes, ne l’est pas du tout dans l’empire russe. Cela justifie sa position farouchement anti-indépendantiste de juillet 1913 à l’égard des nations opprimées de cet empire du fait que « l’ensemble des conditions économiques et politiques de la Russie » – sans jamais préciser à quelles conditions il fait référence – « exige de la social-démocratie qu’elle pratique inconditionnellement la fusion des ouvriers de toutes les nationalités au sein de toutes les organisations prolétariennes sans exception (politiques, syndicales, coopératives, éducatives, etc., etc.) », en combinant l’« unité des prolétaires de toutes les nations dans une localité donnée, avec une propagande et une agitation menées dans toutes les langues du prolétariat du lieu » . (37)

Dans le cas du parti bolchevik, ce n’est le cas que dans les écrits de Lénine. En Ukraine, le parti ne parle que le russe et à l’exception de quelques tracts, il ne publie rien en ukrainien avant décembre 1917. Il ne mène pas de travail politique au sein du prolétariat ukrainien – il ne le fait dans ce pays que dans le prolétariat russe et russifié – et le pourcentage d’Ukrainiens ou ukrainophones parmi ses militants est presque nul.

Lénine stigmatise les sociaux-démocrates ukrainiens en les qualifiant de « nationalistes bourgeois », parce que, dans de telles circonstances, ils ne visent que le travail politique en ukrainien au sein du prolétariat ukrainien – en voulant l’organiser politiquement dans leur propre parti, soutient-il, ils rompent l’unité organisationnelle supranationale du prolétariat en Ukraine. Or, au-delà des déclarations, cette unité ne peut être le fait d’une social-démocratie russe – d’autant plus russe que, depuis 1912, « elle ne regroupe plus les partis des pays occidentaux [les plus développés] incorporés à l’Empire »(38) avec la classe ouvrière la plus nombreuse et la plus concentrée parmi leurs populations, qui ont chacun leur propre parti social-démocrate parlant leur propre langue nationale. Les sociaux-démocrates ukrainiens répondent à Lénine qu’un parti en réalité russe, qui prétend politiquement à l’unité organisationnelle de l’ensemble du prolétariat en Ukraine, est un parti colonial qui rompt l’unité de classe du prolétariat en divisant le prolétariat ukrainien – en séparant le prolétariat urbain russophone du beaucoup plus nombreux prolétariat rural ukrainophone. 

En 1917, Lev Yourkevytch, dirigeant du Parti social-démocrate ouvrier ukrainien (USDRP), adresse le reproche suivant aux sociaux-démocrates russes, mencheviks comme bolcheviks : 

En « suivant la politique gouvernementale d’assimilation et en profitant de ses résultats, ils organisent le prolétariat des villes ukrainiennes comme un prolétariat russe, le séparant ainsi culturellement du prolétariat rural, violant manifestement l’unité du mouvement ouvrier en Ukraine et retardant son développement. Tout au long de leurs activités sur le territoire ukrainien, ils n’ont jamais agi contre l’oppression nationale et ont utilisé les effets de cette oppression comme une opportunité pour étendre leur influence et leur organisation sur une zone de plus en plus étendue, ce qui, bien sûr, a considérablement renforcé leur mouvement » .(39) 

Bien évidemment, Lénine ignore cette critique d’« un bourgeois nationaliste » qui, « sous la bannière du marxisme, prêche la division des travailleurs en fonction de leur nationalité »(40) . Lénine, lui, s’oppose à cette division, tout en sachant que son parti, en Ukraine comme ailleurs sur les marches de la Russie, ignore aussi bien son discours sur le droit des nations à l’autodétermination, le méprisant comme une « phrase creuse », comme celui sur l’unité supranationale « pan russe » du prolétariat, parce qu’il se considère comme un parti nationalement russe. Ce parti – avant tout son appareil – est largement dominé par des éléments éloignés du socialisme international que Trotsky caractérisera, bien des années plus tard, comme des « démocrates nationaux-révolutionnaires »(41)  pour qui « les problèmes de la révolution socialiste semblaient, non seulement en 1905, mais aussi au début de 1917, une musique vague d’un avenir encore lointain » (42). 

C’est là que le bât blesse sur la question nationale. Ensuite, après 1917, la volonté d’organiser politiquement le prolétariat non russe et non russifié au sein d’un parti en fait russe s’est traduite – mais par des voies sinueuses, uniquement en raison de la force de la révolution ukrainienne, contaminant rapidement les bolcheviks eux-mêmes en Ukraine – par une volonté de maintenir les Ukrainiens, comme d’autres nations jusqu’alors opprimées, dans le cadre de État soviétique russe unitaire émergeant. 

L’Ukraine, comme les autres républiques soviétiques, est considérée par les bolcheviks comme l’une des futures « républiques régionales » – entités qui, après la guerre civile, doivent faire partie de la Fédération de Russie et disposer d’une autonomie « régionale » sur la question nationale. Celle-ci doit consister, comme l’explique Staline (alors commissaire du peuple aux nationalités), à ce que « chaque région choisisse la ou les langues correspondant à la composition de la population de la région en question, la pleine égalité des langues des minorités et des majorités étant respectée dans toutes les institutions sociales et politiques » (43). La volonté du pouvoir bolchevik de réduire les subjectivités et les facultés d’action des nations non-russes aux cadres des « autonomies régionales », conformément au programme historique, absolument erroné en la matière, de la social-démocratie russe, ne peut conduire qu’à des insurrections et guerres nationales contre ce pouvoir. 

Cependant, le fédéralisme – que Lénine a auparavant fermement exclu (« les marxistes, bien sûr, adoptent une attitude hostile à l’égard d’une fédération » – 1913  )(44) – s’impose maintenant, de manière inattendue pour les bolcheviks, comme une inévitable solution transitoire entre, pour reprendre les mots de Staline, « l’unitarisme tsariste et l’unitarisme socialiste »(45) , en raison de l’ampleur de la question nationale et de l’opposition, même armée, des mouvements nationaux des nations opprimées, aux cadres oppressifs des « autonomies régionales ». Ce système transitoire devait durer très peu de temps – aussi longtemps qu’une attitude « libérale » à l’égard de la question nationale, imposée par la guerre civile et l’intervention étrangère, comme également, en réalité, par des guerres nationales, s’avérait indispensable. Ainsi fallait-il faire de l’ancien empire une Fédération de Russie. 

Pourtant, la résistance, avant tout en Ukraine, a été si puissante que ce projet s’est effondré tout de suite et que l’Ukraine, comme les autres grandes républiques soviétiques, n’a pas fait partie de la Fédération de Russie, mais d’une fédération de ces républiques avec la république russe, formellement sur un pied d’égalité, en tant qu’États indépendants. Leur indépendance était, bien entendu, fictive, et c’est ce que l’on disait dans le cercle restreint de la direction bolchevique. Dès 1922, Staline a exercé de fortes pressions pour renverser cet arrangement trop « libéral » à ses yeux et intégrer les républiques non russes dans la Russie – non pas une Russie fédérative, elle-même à ses yeux toujours trop « libérale », mais cette fois-ci une Russie unitaire, envisagée par le programme historique du parti bolchevik et défendue historiquement par Lénine lui-même. Il a écrit à Lénine une lettre secrète, très révélatrice à cet effet, qui n’a été déclassifiée que par Gorbatchev, mais qui, malgré son importance, est, jusqu’à aujourd’hui, généralement ignorée dans l’historiographie internationale de la Russie soviétique. Le passage le plus important de cette lettre est le suivant : 

« 3. Pendant les quatre années de la guerre civile, alors que l’intervention [étrangère] nous obligeait à démontrer le libéralisme de Moscou sur la question nationale, nous avons réussi, malgré nous, à générer parmi les communistes de véritables et conséquents sociaux-indépendantistes, exigeant à tous égards une véritable indépendance et considérant l’ingérence du Comité central du Parti communiste russe comme une tromperie et une hypocrisie de la part de Moscou. 

« 4. Nous traversons une période de développement où il est impossible d’ignorer la forme, la loi, la constitution – une période où, dans les zones frontalières, la jeune génération de communistes refuse de comprendre le jeu de l’indépendance comme un jeu, s’obstinant à prendre les mots sur l’indépendance pour de la bonne monnaie et s’obstinant également à exiger que nous mettions en pratique la lettre des constitutions des républiques indépendantes. 

« 5. Si nous n’essayons pas maintenant d’adapter la forme des relations mutuelles entre le centre et les régions frontalières aux relations réelles en vertu desquelles les régions frontalières doivent en principe obéir inconditionnellement au centre en toutes choses, c’est-à-dire si nous ne transformons pas maintenant l’indépendance (fictive) en autonomie formelle (et en même temps réelle), il sera incomparablement plus difficile, dans un an, de défendre l’unité réelle des républiques soviétiques. 

« Aujourd’hui, nous parlons de “comment ne pas offenser” les éléments nationaux ; dans un an, nous nous demanderons probablement comment ne pas provoquer une scission dans le parti pour de telles raisons car, dans les zones frontalières, l’élément “national” ne travaille pas pour l’unité des républiques soviétiques, et leur indépendance formelle est propice à de telles actions » . (46)

Une fois de plus, la résistance, principalement de la part du peuple et des bolcheviks d’Ukraine, a empêché la réalisation de cette idée qui aurait signifié pour les peuples non russes une réincorporation dans l’État russe. Dans ses derniers écrits, Lénine s’oppose cette fois à Staline car cette idée est pour lui prématurée et risque d’enflammer la question nationale. « Nous n’avons pas pris avec assez de soin », écrit-il, « des mesures pour défendre réellement les allogènes contre le typique argousin russe », tout en notant : « encore que nous eussions pu et dû le faire »(47) . Cependant, l’autonomie régionale des nations non russes dans un État russe unitaire n’était qu’une position programmatique du parti bolchevik, qu’il avait lui-même formulée et défendue dans le passé et dont maintenant il ne s’écartait pas non plus, considérant seulement qu’il était trop tôt pour la mettre en œuvre. Staline, lui, prétendait qu’il y avait un dernier moment pour le faire. La divergence tactique entre les deux était énorme, mais la différence programmatique ou stratégique était nulle.

Notes :

1) T. Łepkowski, Polska. Narodziny nowoczesnego narodu [Pologne. La naissance d’une nation moderne], Państwowe Wydawnictwo Naukowe, Varsovie 1967, p. 10.

2)Il prétend même, ce qui est déjà douteux, que c’est « sous une influence considérable » des communistes-borotbistes ukrainiens que le bolchevisme est devenu le « vrai Parti communiste d’Ukraine ». М. Равич-Черкасский, История Коммунистической партии (б-ов) Украины [M. Ravitch-Tcherkassky, Histoire du Parti communiste (b) d’Ukraine], Государственное издательство Украины, Kharkiv 1923, p. 148. La thèse sur la double origine – bolchevique et bo rotbiste – du Parti communiste (bolchevik) d’Ukraine, assez populaire dans ce pays dans les années 1920, a été éliminée de la littérature soviétique au début des années 1930. 

3)Feliks Perl (1871-1927) – militant du Parti social-révolutionnaire polonais « Prolétariat » (dit le « Deuxième Proléta riat »), puis cofondateur en 1892 et dirigeant de premier plan du Parti socialiste polonais (PPS). Avec Kazimierz Kelles Krauz, il est le porte-parole théoriquement le mieux formé du courant marxiste dans ce parti. Il initie la critique de l’« économisme », dont il forge la notion, dans le mouvement ouvrier en inspirant le Lénine de Que faire ? Critique de Rosa Luxemburg sur la question nationale en général et sur la question de l’indépendance de la Pologne en particulier, il révèle le fond théorique « économiste » de sa position. Lénine reprend également ce point de vue de Perl dans sa cri tique de la position de Luxemburg sur la question nationale. Outre leur critique essentiellement commune de l’« écono misme » chez Luxemburg, les points de vue de Perl et de Lénine s’opposent diamétralement sur la question nationale dans l’Empire russe. Après la scission du PPS en 1906, Perl accompagne Józef Piłsudski dans la construction du PPS Fraction révolutionnaire et s’identifie à son choix de la voie armée de la révolution polonaise. Cependant, dans les an nées précédant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il n’hésite pas à s’opposer radicalement au « milita risme national-révolutionnaire » de son (bientôt ex-) camarade et même, pour cette raison, scissionne temporairement le parti. Cf. M. Śliwa, Feliks Perl, Książka i Wiedza, Warszawa 1988 ; A. Uljasz, Myśl polityczna Feliksa Perla [La pen sée politique de Feliks Perl], Lubelskie Towarzystwo Naukowe, Lublin 2005. 

4)Res. [F. Perl], Koordynacya czy utożsamienie ? (Kilka słów o naszym stosunku do rewolucyi rosyjskiej) [Coordination ou identification ? (Quelques mots sur notre attitude à l’égard de la révolution russe)], Życie, Varsovie 1907, pp. 3. Dès 1903, dans sa stratégie, le Parti socialiste polonais suppose que lorsqu’une révolution dite alors « démocratique bourgeoise » éclate dans l’Empire, elle sera en même temps prolétarienne dans la partition russe de la Pologne, puisque sa force directrice dans celle-ci sera la classe ouvrière. À l’exception de David Riazanov, alors marginalisé par Lénine dans la social-démocratie russe, personne au sein de l’Empire n’a encore exprimé une telle idée de la « révolution per manente ». La rédaction de l’organe théorique du PPS la défend sans équivoque et au nom du parti dans une polémique contre Lénine sur le mot d’ordre d’indépendance de la Pologne. « “Iskra” o kwestyi polskiej » [« Iskra » sur la question polonaise], Przedświt, n° 9, 1903, pp. 361-373. Trois ans plus tard, devant la Révolution de 1905, Perl constate : « La quasi-totalité (compte tenu de la faiblesse de notre radicalisme bourgeois) du fardeau de la révolution dans notre pays est, dès le début et sans relâche, portée par le prolétariat. Sans aucun doute, la révolution actuelle n’est pas une révolu tion socialiste, mais c’est une révolution ouvrière – l’empreinte que notre classe ouvrière imprime à la révolution est beaucoup plus importante qu’en Russie ». F. Perl, op. cit., p. 8-9.

5) Kazimierz Kelles-Kraus dit Michał Luśnia (1872-1905) est un militant du Parti socialiste polonais, issu d’une famille noble de Livonie, expropriée par le tsarisme après l’insurrection de janvier 1863. Sociologue, philosophe et juriste, membre de l’Institut international de sociologie, il participe en 1894 à son premier congrès en exposant sa « la loi de la rétrospection révolutionnaire », selon laquelle toutes les révolutions s’inspirent d’idéaux du passé (cf. H. Chmielewska Szlajfer, sous la dir. de, Marxism and Sociology. A Selection of Writings by Kazimierz Kelles-Krauz, Brill, Leyde-Bos ton 2018, pp. 29-57). Il a fait ses études et a ensuite enseigné dans des universités en France, en Belgique et en Au triche. Fervent partisan du marxisme, il est notamment l’auteur d’ouvrages sur la question nationale et la formation des nations modernes (dont de la nationalité juive en Europe de l’Est), sur la tactique du mouvement ouvrier et sur la straté gie de la lutte pour l’indépendance de la Pologne. Aux yeux de Timothy Snyder, « il fut probablement le premier à four nir une explication sociologique convaincante de l’avènement du nationalisme moderne ». Atteint d’une maladie mor telle, il décède pendant la révolution de 1905, lorsque le PPS devient un parti ouvrier de masse et scissionne au même moment, déchiré par des divergences sur la stratégie politique et militaire, nationale et internationale, de la révolution polonaise qui, tout en restant encore une révolution nationale démocratique, devient déjà une révolution ouvrière. Il est le seul médiateur potentiel, doté de l’autorité nécessaire, pour empêcher la scission en offrant au parti une orientation cohérente et juste, ainsi qu’une conception stratégique unificatrice. L’ouvrage fondamental sur lui est celui de T. Sny der, Nationalism, Marxism, and Modern Central Europe. A Biography of Kazimierz Kelles-Krauz, 1872-1905, Oxford University Press, New York 2018. 

6)K. Kelles-Krauz, « Niepodległość Polski w programie socyalistycznym » [Polish Independence in the Socialist Pro gram], Wybór pism politycznych, Nakładem Drukarni Narodowej, Cracovie 1907, p. 138. 

7)Ibid., p. 137.

8) Depuis la révolution de 1917 l’un des principaux dirigeants du bolchevisme en Ukraine et l’un des très rares Ukrainiens parmi eux, Vassyl Chakhraï (1888-1919 ou 1920), a été secrétaire du peuple aux Affaires militaires (et cofondateur des forces armées soviétiques ukrainiennes, dites Cosaques rouges) dans le Secrétariat populaire (premier gouvernement bolchevik) de la République populaire ukrainienne des soviets, délégué de ce gouvernement aux négociations avec les puissances centrales à Brest-Litovsk et auteur du premier livre sur la révolution en Ukraine (1918). Traducteur et éditeur de la première anthologie, parue en ukrainien, des écrits de Lénine sur le droit des nations à l’autodétermination, précédée de sa propre préface, il reste à ce jour l’auteur de la critique marxiste la plus pénétrante et radicale de ces écrits jamais rédigée par un militant et penseur révolutionnaire appartenant à une nation opprimée. Il a été exclu du parti bolchevik en mars 1919, à la suite de la publication d’un livre sur la question nationale ukrainienne, perçu comme explosif dans le milieu bolchevik et écrit avec Serhiï Mazlakh sous la forme d’une lettre ouverte à Lénine. С. Мазлах, В. 

Шах-Рай, До хвилі (Що діється на Вкраїні і з Україною ?) [À propos du moment actuel (Que se passe-t-il en Ukraine et avec l’Ukraine ?], Видання Саратовського Украінського Відділу Народнього Комісаріату Справ Національних, Saratov 1919. En anglais : V. Shakhrai, S. Mazlakh, On the Current Situation in the Ukraine, University of Michigan Press, Ann Arbor 1970. Il a disparu au cours de ses activités clandestines dans le Kouban, majoritairement ukrainien, en Russie, probablement assassiné par les Gardes blancs qui contrôlaient alors la région. Cf. О.П. Юренко, « Василь Шахрай: “Пливти проти течії” » [« Vassyl Chakhraï : “Nager à contre-courant” »], Політологічні читання, n° 3, 1993, pp. 119-178 ; В.Ф. Солдатенко, « Василь Шахрай і його творчість в історіографічному дискурсі » [Vassyl Chakhraï et son œuvre dans le discours historiographique], Гілея, n°s 107, 109, 110, 2016, pp. 11-23, 7-9, 7-9 ; А. Здоров, « Василь Шахрай – єретик більшовизму » [Vassyl Chakhraï – un hérétique du bolchevisme], dans : С.М. Мазлах, В.М. Шахрай, До хвилі (Що діється на Вкраїні і з Україною?), Астропринт, Odessa 2019, pp. 5-63 ; М. Гаухман, « “Відсутня колона” : сучасні видання праць Василя Шахрая та Сергія Мазлаха і значення націонал-комунізму для української історіографії » [“La colonne manquante” : les éditions modernes des œuvres de Vassyl Chakhraï et Serhiï Mazlakh et l’importance du national-communisme pour l’historiographie ukrainienne], Україна модерна, n° 27, 2020, pp.153-171.

9) Sur le communisme indépendantiste ukrainien, au-delà de la réédition de l’ouvrage classique de 1954 de I. Maistrenko, Borot’bism. A Chapter in the History of the Ukrainian Revolution, ibidem-Verlag, Stuttgart, 2019, cf. J.E. Mace, Communism and the Dilemmas of National Liberation. National Communism in Soviet Ukraine, 1918-1933, Cambridge University Press, Cambridge, 1983 ; S. Velychenko, Painting Imperialism and Nationalism Red. The Ukrai nian Marxist Critique of Russian Communist Rule in Ukraine, 1918-1925, University of Toronto Press, Toronto, 2015 ; С. Гірік, Джерела дослідження ідейних засад Української комуністичної партії (боротьбистів) (1918-1920 рр.) [Sources pour l’étude des fondements idéologiques du Parti communiste ukrainien (borotbiste) (1918-1920)] (Disserta tion) Інститут української археографії та джерелознавства ім. М. С. Грушевського НАН України, Kyïv 2015 ; Ch. Ford, Ukapisme – une gauche perdue. Le marxisme anticolonial dans la révolution ukrainienne, ibidem-Verlag, Stutt gart, 2021.

10) В. Шах-Рай, « Передмова » dans Н. Ленін (В. Ільїн), Статі по національному питанні, s.n., [Saratov 1919] [Préface à un recueil d’articles de Lénine sur la question nationale], pp. IV, VIII. En d’autres termes, comme l’a écrit l’historien polonais Marceli Handelsman (1882-1945) à propos des mouvements nationaux, « pour toutes les nations, que ce phénomène se produise explicitement ou implicitement à un moment donné de l’histoire, l’aspiration à leur propre État est le but vers lequel le mouvement se dirige consciemment ou inconsciemment encore ». M. Handelsman, Rozwój narodowości nowoczesnej [Le développement de la nationalité modernę], Państwowe Wydawnictwo Naukowe, Varsovie 1973, p. 35. 

11) E. Esse [K. Kelles-Krauz], Socialistes polonais et russes, Édition de l’Humanité nouvelle, Paris 1899, pp. 14, 16-17. 

12) K. Kelles-Krauz, « Niepodległość Polski w programie socyalistycznym » [L’indépendance de la Pologne dans le pro gramme socialiste], Wybór pism politycznych, Nakładem Drukarni Narodowej, Cracovie, 1907, p. 138.

13) Ibid., p. 142. 

14) E. Esse [K. Kelles-Krauz], op. cit., p. 14.

15) В.И. Ленин, « О праве наций на самоопределение », Полное собрание сочинений, vol. 25, Политиздат, Moscou, 1969, p. 264 [Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, avril-juin 1914 – https://gal lica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566x/f1n116.pdf ]. Pour les écrits de Lénine, je me réfère exclusivement aux Œuvres dites complètes en russe, c’est-à-dire la dernière et la plus complète collection, publiée en 55 volumes en URSS, dans les années 1967-1975, mais en réalité incomplète (censurée) – elle est accessible sur le site http://uaio.ru/vil/vilall.htm – ainsi que le complément publié en Russie en 2000, Les documents inconnus, contenant 422 écrits, discours et autres documents précédemment censurés. 

16) Ibid., p. 269. 

17) В.И. Ленин, « Революционный пролетариат и право наций на самоопределение » Полное собрание сочинений, vol. 27, Политиздат, Moscou, 1969, p. 63. [Lénine, « Le prolétariat révolutionnaire et le droit des nations à l’auto détermination », 16 oct. 1915, Œuvres complètes, tome 21, p. 423 – en ligne en anglais : https://wiki rouge.net/texts/en/The_Revolutionary_Proletariat_and_the_Right_of_Nations_to_Self-Determination ]. 

18) С. Мазлах, В. Шах-Рай, До хвилі (Що діється на Вкраїні і з Україною?), Видання Саратовського Украінського Відділу Народнього Комісаріату Справ Національних, Saratov 1919, pp. 46-47. En anglais : V. Shakhrai, S. Ma zlakh, On the Current Situation in the Ukraine, University of Michigan Press, Ann Arbor 1970 – https://diaspo riana.org.ua/wp-content/uploads/books/19883/file.pdf

19) В.И. Ленин, « О праве наций на самоопределение », p. 308 [Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles mêmes, avril-juin 1914 – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566x/f1n116.pdf ]. 

20) В.И. Ленин, « Социалистическая революция и право наций на самоопределение (Тезисы) », Полное собрание сочинений, vol. 27, p. 261. [Lénine, « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Thèses », janv.-févr. 1916 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm ]. 

21) В.И. Ленин, « Тезисы по национальному вопросу », Полное собрание сочинений, vol. 23, Политиздат, Moscou, 1973, p. 314. [Lénine, « Thèses sur la question nationale », 9 juillet 1913 – https://www.marxists.org/francais/le nin/works/1913/06/vil19130600.htm ].

22 В.И. Ленин, « Социалистическая революция и право наций на самоопределение (Тезисы) », p. 255. [Lénine, « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Thèses », janv.-févr. 1916 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm ]. 

23) Juste avant la Première Guerre mondiale, Lénine élabore un projet de « loi sur l’égalité des nations et la sauvegarde des droits des minorités nationales » de Russie, qui stipule que « toutes les nations de l’État sont inconditionnellement égales en droit, et tous les privilèges de l’une des nations ou l’une des langues sont considérées comme inadmissibles ». Cette égalité, selon son projet, doit être garantie par le fait que « les ensembles de localités se distinguant soit par des conditions géographiques, coutumières ou économiques particulières, soit par une composition nationale particulière de la population auront le droit de former des régions autonomes dotées de diètes régionales autonomes ». В.И. Ленин, « Проект закона о равноправии наций и о защите прав национальных меньшинств », Полное собрание сочинений, vol. 25, pp. 135-136. [Lenin, “Bill on the Equality of Nations and the Safeguarding of the Rights of National Minorities”, 19 March 1914 – https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1914/may/00.htm ].

24) В.И. Ленин, « Революционный пролетариат и право наций на самоопределение », s. 68. [Lénine, « Le proléta riat révolutionnaire et le droit des nations à l’autodétermination », 16 oct. 1915, Œuvres complètes, tome 21, p. 423 – en ligne en anglais : https://wikirouge.net/texts/en/The_Revolutionary_Proletariat_and_the_Right_of_Na tions_to_Self-Determination ]. 

25) В.И. Ленин, « Социалистическая революция и право наций на самоопределение (Тезисы) », p. 255. [Lénine, « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Thèses », janv.-févr. 1916 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm]. 

26) В.И. Ленин, « Итоги дискуссии о самоопределении », Полное собрание сочинений, vol. 30, Политиздат, Mos cou 1973, p. 42. [Lénine, Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, juillet 1916 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/19160700.htm ].

27) Ibid., pp. 41-42.

28) « Рефераты Ленина по национальному вопросу. Июль 1913 г. – февраль 1916 г. », Ленинский сборник, vol. XVII, 1931, pp. 227-229. [Exposés de Lénine sur la question nationale, juillet 1913 – février 1916].

29) „Der Krieg und der russische Sozial-Demokratie. Ein Vortag Lenins”, Arbeiter Zeitung, n° 309, 1914, p. 5; „Lenin über die ukrainische Frage”, Vorwärts, n° 308, 1914, pp. 3-4 ; П. Бензя, « В.І. Ленін і українська справа. Із власних спогадів » [« V.I. Lénine et la cause ukrainienne. D’après mes propres mémoires »], Життя і революція, n° 1, 1926, pp. 80-81 ; П. Кравчук, « Під проводом благородних ідей (6) » [« Guidés par de nobles idées (6) »], Життя і Слово (Toronto), n° 26 (183), 1969, p. 18 ; D. Shub, Lenin. A Biography, Penguin Books, Harmondsworth-Ringwood, 1971, p. 160 ; R. Serbyn, « Lénine et la question ukrainienne en 1914. Le discours “séparatiste” de Zurich », Pluriel-débat, n° 25, 1981, pp. 83-84 ; P. Casciola, « Alcune doverose precisazioni a proposito della datazione del «discorso zu righese» di Lenin », dans : V.I. Lenin, La guerra e la socialdemocrazia (Resconto di un discorso del 27 ottobre 1914), Prospettiva Marxista. Archivio inediti, Rome 2017, pp. 2-5.

30) В.И. Ленин, « С.Г. Шаумяну », Полное собрание сочинений, vol. 48, Политиздат, Moscou 1970, p. 235 [Lénine, « A Letter to S. G. Shahumyan », 6 déc. 1913 – https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1913/nov/23.htm ]. 

31) В.И. Ленин, « Резолюции летнего 1913 года совещания ЦК РСДРП с партийными работниками » [Lénine, « Résolutions de la réunion d’été 1913 du Comité central du RSDLP avec les militants de parti »], Полное собрание сочинений, vol. 24, Политиздат, Moscou 1973, p. 59.

32) В.И. Ленин, « Тезисы по национальному вопросу », p. 315 [Lénine, « Thèses sur la question nationale », 9 juil let 1913 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1913/06/vil19130600.htm ]. 

33) В.И. Ленин, « О праве наций на самоопределение », p. 267. [Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles mêmes, avril-juin 1914 – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566x/f1n116.pdf ] 

34) В.И. Ленин, « Итоги дискуссии о самоопределении », pp. 36, 35, 49. [Lénine, Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, juillet 1916 – https://www.marxists.org/francais/le nin/works/1916/07/19160700.htm ]. 

35) В.И. Ленин, « О праве наций на самоопределение », p. 294. [Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles mêmes, avril-juin 1914 – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566x/f1n116.pdf ].

36) В.И. Ленин, « Критические заметки по национальному вопросу », Полное собрание сочинений, vol. 24, p. 125. [Lénine, « Notes critiques sur la question nationale », 1913 – https://www.marxists.org/francais/le nin/works/1913/10/vil19131000.htm ]. 

37) В.И. Ленин, « Тезисы по национальному вопросу », p. 320. [Lénine, « Thèses sur la question nationale », 9 juillet 1913 – https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1913/06/vil19130600.htm ].

38 W. Najdus, SDKPiL a SDPRR 1908-1918, Ossolineum, Wrocław-Varsovie 1980, p. 187. En 1912, la Social-démo cratie du Royaume polonais et de Lituanie (SDKPiL) et la Social-démocratie du Pays Letton (LRSD), qui font (plus formellement que réellement) partie du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (RSDRP) en tant qu’organisations ré gionales depuis 1908, de même que le Bund juif extraterritorial, se sont retrouvées, encore une fois, en dehors de ce parti.

39 Л. Рыбалка [Л. Юркевич], Русскіе соціалдемократы и національный вопросъ [Les sociaux-démocrates russes et la question nationale], Изданіе редакціи украинской соціалдемократической газеты „Боротьба”, Genève 1917, p. 31. 

40) В.И. Ленин, « И.Ф. Арманд », Полное собрание сочинений, vol. 48, Политиздат, Moscou 1970, p. 277. [Lettre de Lénine à Ines Armand du 1er août 1914].

41) Л. Троцкий, Моя жизнь. Опыт автобиографии, vol. II, Гранит, Berlin 1930, p. 172 [Trotsky, Ma vie – https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv38.htm ] 

42) Л. Троцкий. Перманентная революция, Гранит, Berlin 1930, p. 14 [Trotsky, La révolution permanente – https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp01.html ] (La traduction française de cette citation a été revue par ZMK parce qu’elle est inexacte).

43) И.В. Сталин, « Организация Российской Федеративной Республики : Беседа с сотрудником газеты “Правда” » [Staline, « L’Organisation de la République fédérative de Russie : conversation avec un collaborateur du journal Pravda »], Сочинения, vol. 4, ОГИЗ Госполитиздат, Moscou 1947, p. 70. 

44) В.И. Ленин, « Критические заметки по национальному вопросу », Полное собрание сочинений, vol. 24, p. 143. [Lénine, « Notes critiques sur la question nationale », 1913 – https://www.marxists.org/francais/le nin/works/1913/10/vil19131000.htm ]. 

45) И.В. Сталин, op. cit., p. 73. [Staline, op. cit.].

46 « Из истории образования СССР. Документы и материалы о работе комиссии Оргбюро ЦК РКП(б) по подготовке вопроса “О взаимоотношениях РСФСР и независимых республик” к Пленуму Центрального Комитета партии (6 октября 1922 г.) », Известия ЦК КПСС, n° 9, 1989, p. 199. [« De l’histoire de la formation de l’URSS. Documents et matériaux sur le travail de la commission du bureau d’organisation du comité central du PCR(b) chargée de préparer la question “Sur les relations entre la RSFSR et les républiques indépendantes” pour le plénum du comité central du parti (6 octobre 1922) », Nouvelles du Comité central du PCUS, n° 9, 1989, p. 199.] 47) В.И. Ленин, « К вопросу о национальностях или об “автономизации” », Полное собрание сочинений, vol. 45, Политиздат, Moscou 1970, p. 357. [Lénine, « La question des nationalités ou de l’autonomie », 30-31 déc. 1922 – https://marxists-malta.org/fr