SUIVI PAR UN COMPLEMENT SUR LE POSITIONNEMENT EN FRANCE DE JEAN-LUC MELENCHON par R.Duguet.
» La gauche a pratiqué la « fuite en avant » sans s’occuper des comptes jamais réglés du passé ». Nadia Valavani.
Il n’y a pas de doute que le texte de Nadia Valavani, que nous publions ci-dessous, constitue une surprise à la fois inattendue et extrêmement bien venue. Les raisons en sont multiples. Tout d’abord, il se distingue parce qu’il fait exactement ce qu’aucun des protagonistes de l’aventure du premier gouvernement grec de gauche, le gouvernement Tsipras, n’a fait : un bilan critique de ses actes et de leurs conséquences. Et ce, dans un texte presque laconique mais en même temps exhaustif, qui n’a rien à voir avec les logorrhées traditionnelles et d’habitude vides de sens de la gauche grecque.
Ensuite, il se distingue par le fait que ce bilan critique est fait en référence aux deux caractéristiques fondatrices, mais – malheureusement – complètement abandonnées et oubliées aujourd’hui, de la gauche : l’internationalisme et la lutte des classes. Et c’est précisément pour cette raison que le bilan critique de Nadia Valavani parvient à identifier dès le départ les causes profondes de l’échec patent du premier gouvernement Tsipras dans son refus « d’affronter ouvertement les créanciers » et de s’adresser « non plus aux gouvernements, mais aux peuples d’Europe et du monde » [1].
Et enfin, le texte de Nadia Valavani se distingue et s’avère d’une immense utilité pour le présent et l’avenir du mouvement ouvrier et socialiste, car en choisissant d’identifier les conséquences à long terme de l’échec du premier gouvernement Tsipras, il parvient à déceler les changements catastrophiques qu’il a provoqués – et continue de provoquer – dans les rapports de forces classistes dans notre pays. En d’autres termes, Nadia Valavani explique la crise prolongée et la paralysie de la gauche grecque comme une conséquence directe de la défaite de dimensions historiques subie par le mouvement ouvrier et socialiste grec avec la capitulation de la direction de Syriza en ce funeste mois de juillet 2015 !
Mais, que Mme Valavani nous permette d’ajouter à son bilan une conséquence de plus que nous considérons comme étant peut-être encore plus importante parce que se situant au cœur des malheurs actuels de la gauche grecque et internationale. Le gouvernement Tsipras, et par extension les dirigeants de Syriza, n’ont pas trahi seulement les espoirs des citoyens grecs qui leur avaient fait confiance. Ils ont également trahi les espoirs placés en eux – et accessoirement dans le Podemos espagnol, qui a suivi une trajectoire analogue à celle de Syriza – par des millions de gens de gauche ou même sans parti partout en Europe et même au-delà ! Et c’est précisément parce que ces espoirs qui avaient été placés dans le Syriza grec et le Podemos espagnol ont été trahis à un moment où la crise multiforme s’aggravait, les gauches traditionnelles devenaient de plus en plus paralysées et discréditées, et l’extrême droite était déjà en pleine ascension, que les conséquences internationales de la capitulation du gouvernement Tsipras sont encore plus catastrophiques que les conséquences purement grecques ! Et ceci parce que, en raison de la faillite d’abord de Syriza et ensuite de Podemos, mais aussi en raison de l’incapacité de la gauche à expliquer le pourquoi de cette faillite, il était assez logique de voir tous ces gens qui leur avaient fait confiance et avaient cru en eux comme étant leur ultime bouée de sauvetage, perdre à la fois le moral et la boussole. La suite est bien connue : sur les ruines laissées par cette trahison de tant d’espoirs existentiels de millions de gens ordinaires qui d’ailleurs n’étaient pas tous de gauche, s’est agrandie au point de devenir un monstre gigantesque l’extrême droite dure et ouvertement nostalgique des démons de l’entre-deux-guerres qui menace aujourd’hui l’humanité et la planète d’anéantissement.
Lisez donc avec attention ce texte très important de Nadia Valavani qui, bien que publié il y a déjà un mois, n’a pas suscité la moindre réaction et le moindre commentaire de la part des gens de gauche de toute sensibilité, lesquels préfèrent manifestement l’ignorer ostensiblement…
Note
[1] Dès le lendemain de la formation du premier gouvernement Tsipras, l’auteur de ces lignes avait publié des articles dans lesquels il soulignait que le gouvernement Tsipras n’avait qu’un seul atout et une seule arme contre ses ennemis : la solidarité des millions de citoyens européens qui plaçaient leurs espoirs dans Syriza et son gouvernement. Et c’est pourquoi il exhortait les directions de Syriza et du gouvernement Tsipras à organiser sans perdre de temps cette solidarité internationale en prenant des initiatives concrètes. Voir nos articles :
Quelle réponse de Syriza aux millions de citoyens solidaires de par l’Europe ?
Nos meilleurs alliés, les 300 000 de Puerta del Sol !
* Plusieurs fois emprisonnée durant la dictature des colonels, Nadia Valavani a été vice-ministre des Finances du premier gouvernement Tsipras dont elle a démissionné le 15 juillet, dix jours après le referendum populaire dont le résultat (61,31% des Non au chantage de l’UE, de la BCE et du FMI) n’a pas été respecté par la plupart des dirigeants de ce gouvernement et de Syriza.
Yorgos Mitralias
*-*
Réponse de NADIA VALAVANI à la question de l’enquête du journal «Epohi» 10 ANS APRÈS L’HISTORIQUE 2015
En 2015, le premier gouvernement Syriza, élu en s’engageant devant le peuple à parvenir à » un compromis honorable pour sortir des mémorandums », après avoir commis – nous avons commis – l’erreur de continuer à payer les tranches de la dette jusqu’à ce que les caisses publiques soient complètement épuisées, s’est retrouvé le dos au mur face à trois alternatives:
La première : affronter ouvertement les créanciers, en s’adressant désormais non plus aux gouvernements mais aux peuples d’Europe et du monde, entouré du prestige conféré par le mandat populaire sans équivoque du Référendum de Juillet – le seul processus électoral au monde qui s’est déroulé avec des banques fermées. À l’époque, selon les dires au conseil des ministres du ministre responsable, la Grèce disposait de six mois de médicaments, de neuf mois d’aliments et de douze mois de carburant. Il faut ajouter à cela un mouvement international de soutien et de solidarité en pleine ascension, à la dynamique imprévisible – si on le laissait se développer sans entrave. Sortirions-nous vainqueurs d’une telle confrontation ? Nul ne peut le savoir. Si oui, cela amorcerait inévitablement le détricotage de la camisole de force budgétaire du Pacte de Stabilité. Dans le cas contraire, il ne s’agirait pas d’une défaite : Ce serait la plus honnête des luttes, un héritage de fierté pour l’avenir – une lutte dont on peut dire sans hésiter qu’elle « continue ».
La deuxième option n’a pas la grandeur de la première, mais elle est également honorable. S’il n’y avait pas l’unité nécessaire pour une telle lutte, que le gouvernement démissionne et que le troisième mémorandum soit introduit par ses admirateurs, par ceux qui soutenaient que si les mémorandums (qui ont détruit d’innombrables vies) n’étaient pas de la Troïka, nous aurions dû les inventer « nous ». Cela aurait sans doute été une défaite, mais une défaite tactique : Les forces nécessaires seraient bientôt réunies à nouveau – ensemble avec le mouvement populaire-, plus mûres et plus sages.
A été suivie la troisième option, contre la volonté populaire déjà exprimée, c’est-à-dire un troisième mémorandum avec ce que Samaras n’a pas osé signer et une « sortie » des mémorandums avec une paupérisation tragique du pays et des humains durant 60 ans – une défaite stratégique, destructrice à long terme : Elle a empoisonné le mouvement et le peuple en lutte avec le TINA thatchérien, a démantelé tout ce qui existait de collectif, a plongé toute la gauche (et pas seulement ceux qui ont dit le « grand oui ») dans une crise existentielle. Dix ans plus tard, nous luttons pour garder notre tête hors de ses eaux usées.
À plusieurs reprises, la gauche a pratiqué la « fuite en avant » sans s’occuper des comptes jamais réglés du passé – d’habitude avec des résultats tragiques. Y a-t-il une chance de surmonter la crise actuelle d’absence de tout ce qui a un vrai sens et une vraie valeur pour le peuple et le pays, uniquement en « contournant » 2015 ?
2015 : Jean Luc Mélenchon approuvait la capitulation de Tsipras devant les néo-libéraux
Par Robert Duguet
Le texte de Nadia Valavani revêt une importance qui dépasse de très loin les seules frontières de la Grèce et des questionnements de la gauche de son pays Le ton est d’emblée donné :
[Le gouvernement d’Alexis Tsípras a refusé d’] « affronter ouvertement les créanciers, en s’adressant désormais non plus aux gouvernements mais aux peuples d’Europe et du monde, entouré du prestige conféré par le mandat populaire sans équivoque du Référendum de Juillet – le seul processus électoral au monde qui s’est déroulé avec des banques fermées. »
Elle démissionne alors du gouvernement grec.
Le militant trotskyste grec Yorgos Mitralias ajoute :
« Le texte de Nadia Valavani se distingue et s’avère d’une immense utilité pour le présent et l’avenir du mouvement ouvrier et socialiste, car en choisissant d’identifier les conséquences à long terme de l’échec du premier gouvernement Tsipras, il parvient à déceler les changements catastrophiques qu’il a provoqués – et continue de provoquer – dans les rapports de forces classistes dans notre pays. En d’autres termes, Nadia Valavani explique la crise prolongée et la paralysie de la gauche grecque comme une conséquence directe de la défaite de dimensions historiques subie par le mouvement ouvrier et socialiste grec avec la capitulation de la direction de Syriza en ce funeste mois de juillet 2015 ! » (Inprecor)
Rappelons que le mouvement Syriza est le produit du rassemblement en 2004 de 17 composantes de la gauche radicale grecque contre la politique sociale-libérale du PASOK, moins le KKE parti « communiste » grec qui reste sur la ligne catastrophique de la IIIème période « classe contre classe » de l’Internationale stalinienne. En Europe l’heure est à la constitution des Fronts de Gauche contre l’adaptation au néo-libéralisme.
Jean Luc Mélenchon, de sa position dans les gauches du PS français, regarde vers la Grèce, c’est aussi en mai 2004, qu’il constitue PRS (Pour la République Sociale), instrument qui prépare la scission dans la social-démocratie. Partisan du Non de gauche en 2005, il quitte le PS en novembre 2008 pour fonder le PG, et appelle, sur la base d’un accord avec le PCF, à la « constitution d’un front de forces de gauche pour les élections européennes ». C’est la naissance du FDG français.
La coalition formée par les 17 composantes de Syriza, se transforme en parti en 2013 et le 13 septembre 2014 elle adopte un programme d’urgence sociale dit de Thessalonique, tout en maintenant une rigueur budgétaire. Alors que le PASOK recueille encore 44% des suffrages, il s’effondre à 4% et n’obtient que 12 sièges dans la représentation parlementaire. Tsipras s’engage contre les politiques d’austérité dictées par la troïka (Commission, BCE, FMI) face aux prétendus « plans d’aide » qui ont plongé son pays dans le plus grand désastre connu de son histoire. Face au néo-libéralisme, le programme de son parti n’est pas pour lui négociable.
Le coup de tonnerre de la victoire de Syriza en 2015 tombe sur la tête des dirigeants européens. Elle représente une espérance dans une gauche radicale européenne face aux vieux appareils ouvriers, qui néanmoins se maintiennent électoralement. En France en mai 2012, et malgré le mode de scrutin imposé par la constitution bonapartiste de la Vème République, Mélenchon fait une percée à 12% sur une dynamique gauche radicale, invoquant dans la rue les cendres des communards le 21 mars et se réclamant du droit à l’insurrection des conventionnels de 1793.
Nous sommes d’accord avec Nadia Valavani, il fallait rompre avec la Troika et s’adresser aux peuples européens. Toutefois la ligne de la direction de Syriza n’a pas fait une campagne de front unique en direction de l’électorat communiste, contre la direction du KKE qui explique que Syriza n’est qu’un surgeon de la social-démocratie. Plusieurs députés de Syriza posent la question d’une ouverture en direction du KKE, de mettre ce dernier en face de ses responsabilités et d’imposer l’unité au minimum sur le programme d’urgence sociale de Thessalonique. Ce n’est pas l’orientation qu’a choisi Alexis Tsipras. Devenue la force la plus importante à gauche, Syriza n’est pourtant pas majoritaire pour gouverner le pays. C’est sur un parti nationaliste et libéral, To Potami, représentant 5,69% de l’électorat que Syriza va s’appuyer pour gouverner. Pourtant tout est possible alors, la droite grecque est défaite par cette victoire tandis que les nazis d’Aube dorée sont en 3ème position avec 6,35%. Tsipras choisit de gouverner « avec l’ombre de la bourgeoisie », pour reprendre l’expression de Trotsky. (2)
Mais au compte de qui ?
Le nouveau gouvernement grec est donc devant une alternative redoutable, ou il continue à négocier avec ce qu’exige la troïka, et il perdra l’appui des couches sociales qui l’ont porté au pouvoir, ou il s’appuie sur ces couches et entame le bras de fer avec le néo-libéralisme. Peut-il le faire seul dans les frontières nationales de la Grèce ? Bien évidemment, non ! La question du lien à l’international avec les autres peuples est posée, notamment avec à l’époque la poussée spectaculaire du Podemos espagnol et au-delà avec ceux et celles qui emprunteront le même chemin en France, le Front de Gauche, ou en Irlande… C’est une autre histoire qui s’écrit. Tsipras capitule devant l’offensive acharnée des délégués allemande représentant Merkel et les rentiers allemands.
Même la question de la dette due à la Grèce par l’Allemagne en raison de la sanglante occupation nazie (1941-1944) n’a pas été honorée. (1) Cette dette est estimée, par des personnalités ayant étudié la question, être à hauteur, avec les intérêts, de 160 milliards € environ. Si cette dernière était acceptée par Merkel, elle représenterait une importante proportion de la dette alors exigée par la Troïka. Il fallait punir le peuple grec, ces « buveurs d’ouzo ».
Une autre voix va s’élever en France pour approuver cette capitulation, c’est celle de Jean Luc Mélenchon contre celles qui s’élèvent dans le FDG et dans la gauche radicale.
Dans son blog on va trouver ces passages :
« Maintenant nous entrons dans une bataille de propagande contre la Grèce de Tsipras. Une troupe composite de droitiers écumant de rage, de gauchistes toujours prompts à excommunier qui ne se plie pas à leurs mantras abstraits, et d’ancien gauchistes pour qui l’échec des autres doit justifier leur propre mutation libéralo-libertaire, se coalisent pour chanter sur tous les tons la « capitulation de Tsipras ».
Que dis-je : « la première capitulation » comme titre « Médiapart ». Car bien-sûr, il y en aura d’autres ! C’est acquis d’avance ! Il est temps de se démoraliser promptement ! Il est juste de rentrer à la maison, de ranger les banderoles pour en faire des mouchoirs, d’éteindre les lampions et de se couvrir la tête de cendres froides… »
« …L’idée est d’humilier la Grèce et de présenter son gouvernement comme traître à son peuple. Que le traité d’armistice ne soit pas à notre goût, cela va de soi. Pour autant, faut-il aboyer avec la meute et nous transformer en procureurs ? Faut-il ne tenir pour rien qu’en pleine Europe de l’austérité et dans un pays martyr une liste de « réformes progressistes » soit maintenue ?… »
Autrement dit l’accord avec la Troïka revêt un caractère « progressiste ».
Au sein de Syriza la politique de Tsipras ne passe pas. Le militant gréco-français Stahtis Kouvelakis informait alors que la contestation au sein du groupe parlementaire dépasse de très loin ce que représente la plateforme de gauche, regroupement de deux courants anticapitalistes, DEA et APO. Ce sont quatre ministres qui s’opposent à Tsipras et une trentaine de députés. Le gouvernement ne soumettra pas l’accord au parlement, cela revient à prendre le risque de le faire tomber. Il ne reste alors debout que par le soutien apporté par To Potami, du PASOK et d’une partie des députés de droite de la Nouvelle Démocratie.
C’est Manolis Glezos, vieux résistant qui a connu les geôles et la torture des nazis, qui a passé des années en prison, ex-député du PASOK, et qui sera eurodéputé de Syriza, qui en appelle au peuple :
« Avant qu’il ne soit trop tard, réagissons.
Avant toute chose, par le biais d’assemblées extraordinaires, dans toutes les organisations, quel qu’en soit le niveau, les membres et les amis de SYRIZA doivent décider s’ils acceptent cette situation.
D’aucuns prétendent que, pour obtenir un accord, il faut savoir céder. En tout premier lieu, entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis, tout comme cela est impossible entre l’occupé et l’occupant. La seule solution c’est la liberté…»
Manolis Glezos en appelle à ceux qui ont construit Syriza, au peuple grec pour imposer un autre cours.
Le processus révolutionnaire sur lequel Syrisa surfait est cassé, et Jean Luc Mélenchon soutient la capitulation de Tsipras. En fait depuis un an il a mis en sourdine le Front de Gauche : même sous la forme d’un cartel d’organisations, le FDG était un cadre autorisant une certaine démocratie. Durant l’été 2014 il rédige le livre-manifeste « l’Ere du peuple » qui récuse la centralité de la classe ouvrière dans le processus de construction politique. Lors de la réunion de Montreuil du FDG en septembre il développe la nouvelle ligne et début 2016 il met fin unilatéralement au front et constitue France Insoumise.
La question grecque n’est pas pour rien dans l’évolution droitière de Jean Luc Mélenchon vers le populisme.
Notes :
(1)La résistance grecque sera prise entre l’occupation des nazis et l’armée britannique sous la responsabilité de Churchill : les staliniens du PC grec, qui n’ont pas été avares de répressions à l’encontre des trotskystes, ont néanmoins défendu à la Libération un projet de Constituante signifiant la liquidation de la monarchie. Les troupes de Churchill avaient dans leurs valises le roi Georges II et il était sur la ligne de la restauration monarchique contre la révolution. Staline abandonna le PC grec à la répression.
(2)Cette métaphore est utilisée par Trotsky à propos de la Révolution espagnole (1936). Les partis républicains bourgeois ne représentaient aucune force sur le terrain de la résistance au franquisme. Lorsque le Comité Central des milices ouvrières de Catalogne accepte l’entrée des dits républicains dans le gouvernement, Trotsky parle d’une alliance avec « l’ombre de la bourgeoise ». C’est cette ombre, avec l’aide des staliniens, qui garrotera la révolution.