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« Nous ne les laisserons pas saboter cet accord »  Les familles d’otages se battent pour la poursuite du cessez-le-feu

par Oren Ziv*

Craignant que Netanyahou ne torpille l’accord, les familles d’otages intensifient leurs protestations, allant jusqu’à demander à la Cour pénale internationale d’intervenir.

Dans l’après-midi du vendredi 24 janvier, alors que l’autoroute Ayalon à Tel Aviv était remplie d’Israélien·nes rentrant précipitamment chez elles et chez eux pour le shabbat, un groupe de membres de familles d’otages a installé une table au milieu de la route. Complétée d’une nappe blanche, de hallah [pain traditionnel – NdT], de vin et de bougies, la table de Shabbat a ensuite été incendiée par les activistes – membres du groupe de protestation « Sha’ar Begin », nommé d’après le site situé à l’extérieur du quartier général de l’armée israélienne dans le centre de Tel Aviv où ils ont régulièrement manifesté en faveur d’un accord sur les otages. Les membres des familles, ainsi que quelques dizaines de sympathisant·es, ont bloqué la circulation en tenant des photos de leurs proches qui se trouvent à Gaza depuis près de 500 jours.

La manifestation a été délibérément programmée pour se dérouler un jour avant la libération prévue de quatre observatrices de l’armée israélienne, dans le cadre de la première phase de l’accord de cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas. Les familles des otages qui devraient être libérés lors des phases ultérieures de l’accord ont pris la tête de la manifestation, craignant que M. Netanyahou ne torpille l’accord pour assurer sa survie politique.

Parmi les manifestant·es de vendredi se trouvait Yifat Kalderon, dont le cousin Ofer Kalderon et ses deux enfants ont été enlevés à Nir Oz le 7 octobre. Alors que les enfants d’Ofer ont été libérés dans le cadre de l’accord précédent en novembre 2023, il reste en captivité. « Le problème n’est pas seulement de savoir qui sera libéré au cours de la deuxième phase, mais aussi de savoir si la première phase sera même achevée », a déclaré Ofer Kalderon à +972.

Les craintes de M. Kalderon font écho à celles de nombreuses autres familles, alimentées par les informations diffusées par les médias selon lesquelles il est peu probable que l’accord soit pleinement mis en œuvre. La trêve de novembre 2023 s’est effondrée après qu’Israël a rejeté la proposition du Hamas de libérer sept otages – quatre femmes et enfants, ainsi que les corps de trois autres – au lieu des dix otages vivant·es initialement convenus. Aujourd’hui, anticipant un scénario similaire, les familles intensifient leurs efforts pour faire pression sur le gouvernement israélien en descendant dans la rue, voire en faisant appel aux instances internationales.

« La tension et la peur sont constantes et terribles. Je ne peux pas respirer tant que je ne l’ai pas vu, en supposant qu’il soit vivant, parce que je ne sais vraiment pas », a ajouté Mme Kalderon. « Tant que je ne le verrai pas serrer ses quatre enfants dans ses bras, je ne dormirai pas. Et même alors, je continuerai à me battre jusqu’à ce que tout le monde revienne. »

C’est l’image de notre victoire
Fin 2024, les familles de Sha’ar Begin se sont séparées du « Forum des familles d’otages et de disparu·es », la principale organisation représentant les familles d’otages, connue pour ses veillées hebdomadaires discrètes sur la place des Otages à Tel-Aviv. Frustré·es par ce qu’elles et ils considèrent comme une obstruction délibérée aux négociations de la part de M. Netanyahou et de ses alliés de droite, les membres du nouveau groupe ont adopté des tactiques plus conflictuelles. Leurs manifestations se caractérisent souvent par des critiques acerbes de la guerre, des demandes inébranlables d’un accord immédiat à tout prix et, parfois, des discussions sur les crimes de guerre israéliens à Gaza – un point de vue qui reste exceptionnellement rare et controversé dans le discours public israélien.

Le lendemain de la manifestation du shabbat, des membres du groupe se sont rassemblé·es devant le quartier général de l’armée à Tel Aviv, où un grand écran diffusait des informations sur l’arrivée des quatre femmes soldates dans les hôpitaux israéliens avant leur réunion émotionnelle avec leurs familles.

Einav Zangauker, dont le fils Matan a été enlevé à Kfar Aza, est l’une des voix les plus importantes parmi les familles militantes. S’adressant à une foule de plusieurs milliers de personnes, elle a déclaré : « En tant que mère d’un·e otage, voir des parents embrasser leurs filles qui reviennent de captivité, c’est l’image de notre victoire ».

« Le gouvernement les a abandonné·es et le premier ministre doit encore s’engager publiquement à respecter l’accord », a-t-elle fait remarquer. « Nous ne laisserons personne saboter cet accord. Nous ne laisserons personne s’interposer entre nous et nos proches. Matan, maman est en route pour toi ».

Itzik Horn, dont les deux fils sont toujours détenus à Gaza, est un autre habitué des manifestations hebdomadaires du groupe. « Yair et Eitan sont détenus depuis 15 mois maintenant. [Yair est sur la liste de ceux qui seront libérés dans la première phase de l’accord, mais Eitan n’en fait pas partie », a-t-il déclaré à +972. « Ma guerre est contre le Hamas, mais malheureusement, elle est aussi contre le gouvernement israélien : il y a des factions au sein du gouvernement – pas seulement le parti du sionisme religieux [de Bezalel Smotrich], mais aussi [le ministre de la sécurité nationale Itamar] Ben Gvir et des extrémistes du Likoud – qui sont incroyablement dangereuses et qui pourraient saboter l’accord de l’intérieur ».

« Nous sommes arrivé·es à un point où nous dépendons du président des États-Unis », a-t-il ajouté. « J’espère vraiment qu’il continuera à faire pression sur Netanyahou pour qu’il fasse libérer tous les otages. »

Tout en reconnaissant la résistance du public israélien à la libération des prisonnier·es palestinien·nes qui ont commis des attaques violentes, M. Horn a adressé un message très clair aux législateurs et aux législatrices. « J’ai une suggestion très simple pour les membres de la Knesset et les ministres [qui s’opposent à l’accord] : envoyez vos enfants à Gaza [pour] faire sortir nos enfants, et ensuite nous verrons si vous vous opposez à l’accord. »

« Nous maintiendrons la pression sur Netanyahou partout ».

Yehuda Cohen, dont le fils Nimrod a été fait prisonnier par des militants palestiniens dans un char en flammes près de la frontière de Gaza, est devenu l’un des critiques les plus virulents du gouvernement et de la guerre parmi les familles d’otages. Selon lui, la structure complexe et en plusieurs phases de l’accord de cessez-le-feu actuel est une caractéristique plutôt qu’un problème. « La raison pour laquelle il est alambiqué et comporte des points de sortie est que s’il était simple, le gouvernement ne serait pas en mesure de le faire traîner en longueur tout en le sabotant en cours de route », a-t-il déclaré à +972. « En novembre, tout s’est déroulé trop facilement. »

Mais le week-end dernier, M. Cohen n’a pas participé aux manifestations à Tel-Aviv avec ses collègues activistes. Au lieu de cela, il les a observées depuis La Haye, où il a rencontré Karim Khan, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) – un personnage vilipendé par les médias et les politiciens israéliens pour avoir réussi à lancer des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre à Gaza.

« Netanyahou ne commet pas seulement des crimes de guerre contre les Palestiniens de Gaza, il commet aussi des crimes contre les soldat·es israélien·nes », a déclaré M. Cohen devant la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset avant de partir pour la réunion avec M. Khan. En réponse, le député du Likoud Eliyahu Revivo a hurlé contre Cohen, l’accusant d’agir de manière à ce que « son fils pourrisse encore de nombreuses années dans les cachots du Hamas ».

« L’importance de la réunion [avec Khan] réside dans sa publicité », a expliqué M. Cohen. « Je lui ai dit que, tout d’abord, je soutenais l’enquête, non seulement sur les crimes de guerre commis par les Palestiniens, mais aussi par les [responsables] israéliens. Prolonger la guerre inutilement, causer la mort de centaines de soldat·es, des milliers de blessé·es, le meurtre et la souffrance d’otages – cela justifie une enquête ».

M. Cohen, dont les opinions sont rarement entendues dans le discours israélien dominant, en particulier de la part d’un père d’un soldat capturé, a déclaré que le 7 octobre a prouvé qu’il est nécessaire de conclure un « accord à tout prix » pour libérer les otages. « Le gouvernement et ses systèmes ont échoué [avant et le 7 octobre], et ils doivent en payer le prix. Si cela implique la libération de prisonnier·nes [palestinien·nes], c’est à eux de régler ce problème. En ce qui me concerne, M. Netanyahou devrait se rendre à Gaza pour conclure l’accord.

Les gens [du mouvement des familles d’otages] disent : « Il y a déjà un accord. Pourquoi aller devant la CPI ? Laissons Netanyahou travailler tranquillement ; nous devrions l’encourager », a déclaré M. Cohen. « Mais Netanyahou n’agit pas pour des raisons positives, c’est une question de survie. La décision de conclure ou non l’accord dépend entièrement de ce qui, à ce moment-là, pourrait prolonger son mandat. »

Les expériences passées, explique M. Cohen, ont prouvé que l’on ne peut pas faire confiance à M.  Netanyahou lorsqu’il s’agit de respecter les accords de cessez-le-feu. « Ben Gvir lui-même a admis que Netanyahou avait fait échouer un accord dans le passé. Nous le savons depuis le début. Nous devons veiller à ce qu’il ne puisse pas s’orienter vers Ben Gvir ou Smotrich. Nous maintiendrons la pression sur Netanyahou partout, que ce soit par l’intermédiaire de Trump ou de la CPI ».

M. Cohen, qui considère naturellement le retour de son fils Nimrod comme son objectif principal, a souligné que « dans le sens le plus étroit, je veux le retour de tous les otages. Mais si vous élargissez cela, il s’agit de mettre fin à la guerre. Et dans un sens encore plus large, [il s’agit de] parvenir à une solution plus stable et permanente [avec les Palestinien·nes]. Nous devons regarder l’autre côté. Il ne faut pas qu’une partie prospère pendant que l’autre souffre.

L’effondrement de l’accord a été une condamnation à mort
Les proches des otages israélien·nes encore en vie ne sont pas les seul·es à s’inquiéter du sort de l’accord avec le Hamas. Shachar Mor, le neveu d’Avraham Munder – dont le corps a été extrait d’un tunnel dans le sud de la bande de Gaza en août, avec ceux de cinq autres otages – et un parent de Roy Munder, qui a été assassiné le   octobre, participe également activement aux manifestations hebdomadaires.

« La seule personne au Moyen-Orient – peut-être dans le monde – qui a intérêt à faire traîner l’accord est Netanyahou », a déclaré M. Mor à +972, la voix rauque après avoir scandé des slogans pendant des jours lors de manifestations. « Même le Hamas a fait savoir qu’il pourrait accélérer le processus. »

« L’astuce de Netanyahou est toujours de retarder, de gagner une semaine ou deux et d’espérer que les choses changent. Pendant ce temps, ses alliés extrémistes [au sein du gouvernement] exploitent la situation en Cisjordanie », a-t-il ajouté. « Ce n’est pas une coïncidence si [le ministre des affaires étrangères Israël] Katz a libéré des détenus administratifs juifs pour qu’ils puissent recommencer à perpétrer des pogroms. Ils déplacent leur attention sur ce terrain. Tout cela pour saboter l’accord ».

Selon Mor, le non-respect des accords précédents a coûté la vie à Avraham Munder et à d’autres otages. « Lorsque ma tante [Ruti Munder] est revenue lors du premier accord [en novembre], ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a appris qu’Avraham, son mari, était toujours en vie. Elle était persuadée qu’il était mort. Comment a-t-il pu arriver jusqu’à Gaza ? Il pouvait à peine aller aux toilettes sans aide. »

« Il a survécu 132 jours en captivité – un homme de 79 ans qui pouvait à peine bouger, marchant avec une canne – jusqu’à ce qu’un pilote israélien, aux commandes d’un avion américain, largue une bombe américaine. Il est mort soit de la bombe elle-même, soit des gardes, qui ont paniqué et l’ont abattu. Il est probable que ce soit la première option, mais nous ne le saurons jamais », a déclaré M. Mor.

« L’effondrement de l’accord l’année dernière a été une condamnation à mort pour mon oncle et d’autres personnes. Nous l’avons appris a posteriori. Ils ont fait exploser l’accord – qu’il s’agisse du Hamas ou d’Israël n’a pas d’importance. Cela a coûté la vie à mon oncle. »

*Oren Ziv
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
https://www.972mag.com/israeli-hostage-families-ceasefire-netanyahu/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)