Idées et Sociétés, Le RESEAU

France Insoumise, le choix de la division

Par Robert Duguet

22 janvier

Rappelons : suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, une brèche s’était ouverte, les travailleurs, la jeunesse se sont engouffrés dedans. La mobilisation a été encadrée par les syndicats, particulièrement par un accord CGT-FSU. Sous la pression sociale un accord intervient entre LFI, PS, PCF et les écologistes, formant le NFP (Nouveau Front Populaire) sur un programme d’urgence sociale, dont l’abrogation de la loi sur les 64 ans. Je me souviens de la pancarte de ce manifestant parisien : « Unissez-vous, ne nous trahissez plus ! » Au lendemain d’un résultat encourageant pour la gauche aux législatives, Sophie Binet, au nom de la CGT, décide que le salariat a besoin de se reposer et sonne la retraite. Les syndicats retirent le tapis, les masses reculent. Les effets se font sentir au niveau des représentations départementales du NFP. La LFI devient une force de blocage du NFP. Les collectifs départementaux se délitent face à la force de blocage de la FI. Personne au sein des collectifs n’a posé la question de la légitimité de Barnier et descendre dans la rue pour imposer un gouvernement d’urgence dirigé par Lucie Castet. 

Une FI d’abord feutrée, puis brutale. Mélenchon accuse aujourd’hui le Parti Socialiste et ses alliés de « forfaiture », en raison du fait que celui-ci a répondu favorablement aux négociations avec le premier ministre, François Bayrou. Le PS est un parti réformiste, c’est-à-dire qu’il négocie avec le pouvoir en place, quelle belle découverte ! D’ailleurs, en son temps, le leader de FI a passé 33 ans à faire du réformisme. Il a fait partie avec la Gauche Socialiste, courant mitterrandolâtre, dont il était fondateur avec Julien Dray et Marie Noëlle Lienneman, de la gauche pro-maastrichienne. Il a dit oui, sous prétexte d’attendre le volet social promis par Jacques Delors, à l’Europe de la « concurrence libre et non faussée », le néo-libéralisme. Il a été secrétaire d’Etat à l’enseignement professionnelle public et ouvert ce dernier aux intérêts patronaux. Pour ne citer que ces deux exemples, ce n’est pas difficile de les multiplier… Mélenchon a même été un mauvais « réformiste ».

Mélenchon attaque, dans la bonne vieille tradition qui était celle de Georges Marchais en 1979-1981, le Parti Socialiste, sur la question des discussions avec Bayrou, alors que 4000 postes d’enseignants entre autres ont été sauvés, produit de la mobilisation syndicale dans la rue du 5 décembre. Les militants de ma génération se souviennent, les attaques acharnées de la direction du PCF pour ruiner la possibilité de constituer un gouvernement PS-PCF chassant Giscard. On se souvient du mot du député André Laigniel en 1979: « Quand il pleut sur la fête de l’Humanité, c’est la faute au Parti socialiste ! »

Au moment où la politique de l’aventurier Macron met en danger au-delà de son propre gouvernement la Vème République, il ramasse dans les fonds de tiroir du personnel de la bourgeoisie, le démocrate-chrétien François Bayrou pour essayer de sauver la barque. Je ne pense pas que quelqu’un ait rappelé dans la presse que ce dernier était ministre de l’Education Nationale en 1994. Il avait essayé d’imposer la loi Bourg-Broc qui permettait d’aller au-delà des limitations d’aide à la construction d’écoles catholiques de la loi Falloux de 1850. Bayrou faisait mieux qu’un célèbre destructeur de la laïcité de l’Etat et de l’école, combattu par Victor Hugo. Bayrou s’était ramassé le 16 janvier 1994 une gigantesque manifestation d’un million de personnes bloquant la capitale. Il avait dû reculer. Cela revient aujourd’hui, l’affaire du lycée Stanislas a mis en lumière que certaines collectivités locales, voir madame Pécresse, commencent à financer les écoles privées au-delà des limitations imposées par la loi Debré de 1959. C’est du Bayrou appliqué!

Le positionnement forcené de Mélenchon sur sa ligne national-populiste qu’il tient avec obstination depuis la campagne de 2017, fait qu’il tourne le dos à tout compromis avec les autres composantes du NFP, fermant la possibilité de la perspective d’un gouvernement d’urgence sociale . La Vème République est en péril, la ligne de FI n’est pas autre chose qu’une ligne de légitimation des institutions bonapartistes. Il veut être, mieux que Marine Le Pen, celui qui sauvera cette Vème République claudiquant. 

La polémique contre le PS s’accompagne de nouvelles attaques contre les militants de son propre mouvement. Je prends un exemple dans mon département des Pyrénées Orientales. Un militant de sensibilité libertaire, a eu le tort de revendiquer le fonctionnement démocratique dans son groupe local de la FI. Il vient de faire l’objet d’un véritable procès stalinien, après saisine par la FI 66 du Comité National de Respect des Principes. Cette instance policière instruit « une exclusion à titre conservatoire » qui est ensuite confirmée par la boucle départementale de la FI 66, en l’absence de l’accusé, exclu définitivement pour « l’ensemble de ses œuvres ». Montesquieu disait : tout Etat qui ne connait pas la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) n’a pas de Constitution. Eh bien à FI, l’accusé ne comparait pas devant une instance statutaire où il peut défendre son point de vue, comme cela se fait dans n’importe quel tribunal ! Tout parti qui se réclame de la démocratie a prévu dans ses statut une instance propre à juger en présence de l’accusé. A LFI, non cela n’existe pas. Imagine-t-on un seul instant ces gens-là au pouvoir avec à leur disposition les institutions actuelles ? 

C’est dans ce contexte général qu’intervient l’élection partielle dans la 1ère circonscription de l’Isère. L’Insoumis Hugo Prevost, élu de justesse en 2024 à la faveur d’une triangulaire, benjamin du groupe parlementaire de la FI, avait été contraint à la démission, du fait d’accusations de violences « sexistes et sexuelles ». Le nouveau candidat de la FI, Lyes Louffok, malgré un soutien de personnalités nationales, n’a pas fait une campagne sur une ligne de rassemblement NFP, ce n’est plus la ligne de son mouvement, mais sur le thème des droits de l’enfant. De plus les composantes du NFP 38, sauf exception notable d’un seul groupe local de la FI, ne sont pas intervenus efficacement dans le soutien à la grève dure des travailleurs de Vencorex. Il s’agissait de faire front contre le rachat d’un fleuron de l’industrie régionale contre le rachat par une antenne du capitalisme chinois, qui proposait de licencier d’emblée 95% du personnel, pour reconstruire l’entreprise sur ses critères de compétitivité ultralibérales. 

La FI 38 s’est donnée tous les moyens de perdre cette élection. On note une très forte abstention pour le 2ème tour. Ce vieux renard de Bayrou a bien vu que « Certaines victoires sont de grande signification ».  Est-ce le début de la décrue de FI dans l’électorat ? La FI nationale déclare :

« Le candidat du Nouveau Front populaire Lyes Louffok n’a pu être élu député. La cause de l’enfance n’aura pas, à l’Assemblée nationale, ce porte-parole efficace et tenace (…). Dans un contexte de forte abstention, une circonscription arrachée à la droite en 2024 par la mobilisation populaire est donc retournée à sa représentation traditionnelle »

Hugo Prevost avait été élu de justesse dans une circonscription traditionnellement à droite, parce que la mobilisation sociale avait permis la réalisation de l’Unité par le NFP. Rideau de fumée que la campagne de Lyes Louffock pour les droits de l’enfant ! C’est une défaite du mouvement insoumis poussant à la division. Son parachutage n’avait d’ailleurs guère été apprécié par les autres partis. Le taux d’abstention populaire confirme le diagnostic : une partie importante de l’électorat de gauche retire sa confiance au mouvement de Jean Luc Mélenchon.

Où mène la ligne de la division, sinon à la montée en puissance des vrais populistes, le parti de Marine Le Pen.