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Vivre au nom des celles et ceux qui ne leur sont pas revenu·es.

La littérature nous dit parfois beaucoup plus que des articles d’informations. Quelques éléments choisis subjectivement dans cet admirable petit livre.

Des femmes et la guerre d’invasion russe en Ukraine. « L’histoire de chacune d’elles ne concerne personne en particulier, et en même temps nous concerne tous ».

La grande crainte de mourir ainsi « sans culotte, nue, les cheveux mouillés et les jambes poilues » puis n’avoir peur de rien. Rester ou partir, l’autre coté de la frontière. La douleur, « elle mettait sa douleur dans son sac à dos et la portait le long de la rivière », les gilets pare-balles…

L’amour et la haine, la couleur du verni à ongles, se souvenir de la vie d’avant, « pour la première fois de sa vie, la femme solitaire s’est réjouie de n’avoir personne », enterrer ses enfants, vivre dans des maisons étrangères, les déracinements, ne plus se retourner…

Se cacher, cacher des militaires blessés, les caves, l’illusion du chez soi, les égarements, « la ville qui n’existait plus la tourmentait comme une maladie incurable, comme les douleurs fantômes de membres perdus », les commères, les crachats de colère, les immeubles effondrés, « la ville qui n’existait plus poussait en elle en métastases », les signes particuliers qui permettent de reconnaître « ses » morts…

Les chats abandonnés, le manque de chauffage, les coupures d’électricité et d’eau, l’hiver infernal, les vidéos de prisonniers, les lieux profanés et ceux qui puaient « le monde russe », les veuves sans tombe, les écoles transformées en abris antiaériens…

Ces objets qui trahissent une conscience nationaliste et donc pour les russes envahisseurs… le terrorisme, « la femme connaissait par cœur une partie de ces livres. Quand bien mêmes ils les brûleraient, les livres se feraient entendre en elle de différentes voix, tant qu’elle-même vivrait », enterrer le drapeau dans un bocal sous le poirier, les vagues pourries de propagande russes voir les ennemis à bout portant, « l’été, la femme vivait de haine et d’espoir. L’automne, la femmes vivait de colère et de foi. / le femme continuait à vivre. / une simple femme, qui du premier jour de la guerre a cru en la Victoire, a juré de la voir »…

Les petits riens, les mondes perdus, parler au nom de celles et ceux qui ne peuvent plus parler, celles et ceux qui n’ont toujours pas de tombe, celles et ceux qui ne sont pas encore identifié·es, « elle écoutait comment craquaient et se brisaient ses racines s’arrachant à a terre », la monstruosité interne et les ténèbres du pays voisin, les territoires libérés, « elle est devenue une partie de la guerre », celles et ceux qui se sont vautré·es dans la trahison avec l’occupant, les éclats de verre et de feu, celle qui traite son fils de fasciste et lui a demandé « quand il comptait venir la tuer »…

Un « besoin viscéral de raconter cette guerre par le biais d’histoires de femmes »…

Yuliia Iliukha : Mes femmes
Des femmes – Antoinette Fouque, Paris 2025, 88 pages, 14 euros
https://www.desfemmes.fr/litterature/mes-femmes/

Didier Epsztajn