International

Quand des adolescentes résistent

Dans des situations extrêmes, la résistance surgit là où l’attend le moins, dans les pays où la condition des femmes est particulièrement oppressante et le soutien des hommes fait défaut. Et pourtant, un bon nombre d’adolescentes en Afghanistan et en RDC ont trouvé des façons de lutter, certes à une échelle modeste, mais significative.

S’il fallait cartographier l’enfer, deux de ses pôles se trouveraient en Afghanistan et en République démocratique du Congo (RDC) respectivement et occuperaient la place centrale de la Géhenne réservée aux êtres humains nés de sexe féminin.

A prime abord, les deux pays, montagnes et désert d’un côté, tropiques et forêt vierge de l’autre, n’ont rien en commun. Si ce n’est l’extrême pauvreté des populations gouvernées de part et d’autre par une kleptocratie corrompue, les uns au nom d’une religion dévoyée, les autres, derrière un simulacre de démocratie. Et, à l’est de la RDC et en Afghanistan entier, on retrouve la plus abjecte chosification des femmes.

Dans cette partie du Congo qui regorge des minéraux les plus précieux, le viol sert à la captation des richesses, au pillage organisé des villages et des mines. Le corps des femmes est le champ de bataille suprême où s’affrontent toutes les convoitises- peu importe l’âge, du bébé de quelques mois à l’aïeule, pourvu qu’il y ait un vagin à déchirer, à taillader, à brûler. Comme si le principe de la féminité physique était à anéantir.

Les commanditaires rwandais de ces massacres à échelle gigantesque ont donné carte blanche à ces miliciens les M.23 abrutis par le sang, ivres de violence. C’est à partir de Kigali que tout s’organise avec la connivence cachée d’alliés à Kinshasa, sans la moindre entrave, sans la moindre réaction de la part des instances internationales pourtant habilitées à juger les crimes contre l’humanité. Et cela pour deux raisons principales. Les mines congolaises fournissent la planète en matières premières nécessaires pour notre technologie au quotidien, ordinateurs, téléphones dits intelligents- mais totalement dépourvus de réflexion morale. Repenser la technologie en fonction des conséquences humaines ? Impensable, d’autant que les victimes ne sont, majoritairement «que» des femmes.

Idem pour l’Afghanistan où s’est mis en place un apartheid de genre unique au monde : la moitié de la population, celle née de sexe féminin, est interdite de toute forme d’éducation au-delà d’un niveau primaire rudimentaire, interdite d’accéder à des services de santé, quitte à accoucher dans la rue devant une maternité où on leur refuse l’entrée si elles ne sont pas accompagnées d’un mahram, un proche parent masculin.

Certes quelques groupes occidentaux , s’en émeuvent ça et là, signent des pétitions, font montre de leur indignation. Ce sont souvent des soixantehuitardes plutôt que des jeunes militantes encartées qui se murent dans un silence politiquement correct, comme si mettre en cause le plus féroce des régimes islamistes (et tous les autres qui s’en inspirent) pouvait être taxé d’islamophobie. Et les gouvernements occidentaux (Russie comprise) Turquie et leurs sympathisants européens, eux, se montrent de plus en plus prêts à négocier avec les Talibans, comme si la montée partout des droites extrêmes et de la religion politisée suscitait une sorte de fatalisme qui acquiescerait le pire.

Mais en dépit du silence assourdissant de l’Occident, les adolescentes de l’Afghanistan et de la RDC se rebiffent. Voici deux exemples des plus parlants. A Bukavu dans un quartier pauvre, tous les samedis quand il n’y a pas école, depuis plus de dix ans, on range les tables et les bancs d’une salle de classe pour des cours de self-défense hebdomadaires destinés à des filles scolarisées de 6 à 18 ans. Quand les M23 sont venus occuper la ville en février dernier, les habitants étaient terrorisés par les agressions, les batailles en pleine rue, les vols à main armée. Mais au bout de 10 jours, ces petites guerrières en herbe, Pépé Macumu, leur vénérable prof et karateka chevronné, sans oublier l’infatigable Semy [1] qui les encadre ont décidé vaillamment de reprendre les cours – même si des cadavres jonchent les rues.

Bien entendu, leurs efforts peuvent paraître dérisoires en face de la brutalité des miliciens armés jusqu’aux dents, mais ces très jeunes filles auront toujours la dignité pour elles, le sentiment de leur propre valeur en tant que femmes. Dans ce microcosme urbain, la priorité a été donnée à la volonté de résister, de dire ‘non’. C’est le « no pasarán » des adolescentes congolaises.

Leur exemple inspire, puisque le Dr Mukwege , prix Nobel de la Paix a voulu que de pareils cours aient lieu dans sa clinique, la fameuse clinique Panzi située également à Bukavu, où sont opérées les victimes de viols les plus brutaux.

A des milliers de kilomètres, en Afghanistan, leurs contemporaines résistent d’une autre façon: en étudiantEmmurées chez elles par les Talibans, interdites de sortir, de chanter, de parler tout haut, elles ont été gommées, comme leurs aînées, de l’espace public, de la rue, des transports, en bref de la vie. Un pays sans femmes visibles où la moitié de la population est réduite à sa faculté domestique comme du bétail, labeur et reproduction.

Il existe des zones tribales pachtounes où les propriétaires tatouaient de la même façon « leurs » femmes et leurs vaches. La différence, c’est que cette pratique a été élevée au stade de dogme religieux par le régime taliban et s’exerce non pas directement sur le corps, mais par l’abolition de toute forme de droit et d’autonomie. Le corps féminin, voilé, entravé, naît marqué.

Mais ces jeunes filles se rebiffent. Des écoles secrètes se sont ouvertes partout dans le pays, gérées le plus souvent par des étudiantes qui avaient été en fin de cursus universitaire avant que toutes les facultés ne leur soient fermées. L’offre est variable, ce sont souvent des cours de tout genre, en fonction de que les enseignantes peuvent offrir. Pour celles qui peuvent se le permettre, des cours en ligne, parfois donnés à partir de l’étranger : encore faut-il pouvoir s’assurer d’une connexion internet et des moyens pour la payer, ainsi qu’une tablette et un téléphone.

Plus rarement, à l’instar de la scolarité mise en place par deux associations en France [2] qui travaillent ensemble, le programme scolaire entier, collège et lycée est proposé. Ici des adolescentes se rendent dans des classes secrètes, prenant des risques inouïs, pour apprendre, pour étudier, pour imaginer un avenir qui leur appartiendrait. Leurs jeunes enseignantes partagent ces risques dans une lutte certes inégale, contre le monolithe islamiste bien armé, bardé de technologie de surveillance. Mais ce que les Talibans ignorent, c’est que c’est ici que se forme la génération des femmes instruites qui les remplacera un jour si elles reçoivent le soutien qu’elles méritent

Au Congo, en Afghanistan, ces adolescentes luttent pour demeurer le sujet de leur propre histoire et non l’objet de celles de volontés (masculines hélas) arbitraires. Sans même se rendre compte de leur héroïsme,  elles font partie des rarissimes résistantes de notre époque. A nous qui observons aussi mollement la montée de régimes autoritaires, voire totalitaires d’en tirer une leçon.

Pour tout renseignement sur le self-défense en RDC ou la scolarité secrète en Afghanistan, contacter : info@femaid.org

[1] Femaid (www.femaid.org) et Nayestane (www.nayestane.org)
[2] Association Afia-Fev, Bukavu

Carol Mann
Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de ‘FemAid’et ‘Women in War’.
https://blogs.mediapart.fr/carol-mann/blog/210425/quand-des-adolescentes-resistent-0