Politique et Social

Laïcité en danger. Après « Excellence Ruralités » voici « Espérance Banlieues ».

L’apparition de réseaux et de nouvelles écoles liées pédagogiquement à l’extrême droite et financées par le plus grands milliardaires catho-réactionnaires est un danger de plus en plus réel contre l’Ecole publique. C’est aussi un développement évident de l’idéologie fasciste dans des milieux qui , jusque là, lui étaient éloignées. Il serait temps d’en prendre conscience et d’organiser avec les syndicats enseignants une riposte unitaire.

Un article de StreetPress sur les détournements d’argent public pour financer des écoles d' »Espérance Banlieues ». ML

Laurent Wauquiez et la région Auvergne-Rhône-Alpes ont contourné la loi pour offrir 870.000 euros à des écoles privées hors-contrat

Par Théo Mouraby

Depuis 2017, la région de Laurent Wauquiez a versé 870.000 euros aux écoles hors-contrat controversées Espérance banlieues, proche de la droite très conservatrice. Un « contournement de l’interdiction » de financement de ce type d’établissement.

« Mais où est-ce que je suis tombé ? », se rappelle avoir pensé Chloé (1). Au printemps 2017, la jeune femme, alors étudiante dans les métiers de l’enseignement, est en stage dans une école un peu particulière. Elle raconte une scène, lors des premiers jours, où elle se retrouve autour de l’imprimante avec le directeur : « Il y avait un bouton en forme de lune sur la photocopieuse. Il l’a pointé du doigt en plaisantant : “L’envahisseur est partout”. » Une allusion au croissant, symbole de l’Islam

Bienvenue dans l’une des écoles du réseau Espérance banlieues. Leur mission : « Enseigner, éduquer et développer le sentiment d’appartenance à la France » dans les quartiers populaires selon le projet pédagogique. Chloé raconte d’autres remarques, entre adultes, sur l’origine des élèves, à 80% musulmans. « Les profs étaient majoritairement catholiques. Certains n’avaient pas peur de me dire qu’ils étaient là pour sauver ces jeunes des banlieues, pour les évangéliser », se rappelle la jeune femme, également chrétienne qui précise que « ce n’était pas l’objectif de l’école ». Le réseau « EB », qui possède 17 établissements et encadre 1.000 élèves, mise son succès sur deux arguments principaux : une alternative au système scolaire public avec un encadrement strict – uniforme, montée de drapeau, classes de 15 enfants maximum – et un coût modeste pour les parents (environ 75 euros par mois, soit 15% du coût de la formation). Pour cela, il est largement financé par des grandes entreprises et des mécènes privés comme le patriarche d’Auchan et troisième fortune française, Gérard Mulliez, Bouygues, Axa, Vinci ou la fondation Bettencourt… Mais au rang de ses bienfaiteurs, elle compte aussi des partenaires publics

Depuis 2017, la région Auvergne-Rhône-Alpes présidée par Laurent Wauquiez – remplacé par Fabrice Pannekoucke depuis septembre 2024 – a versé au moins 870.000 euros aux deux écoles Espérance banlieues présentes sur son territoire. Le soutien avait déjà fait polémique après deux ans de subventions. Celles-ci continuent d’affluer depuis huit ans pour les établissements de Saint-Étienne et Pierre-Bénite, au sud de Lyon (69). Des largesses pourtant illégales selon plusieurs spécialistes contactés par StreetPress : 

« Ce sont des subventions indirectes à des écoles privées hors-contrat, ce qui est interdit. (2) » 

« Détournement de l’argent public » ou contournement ?

Ces centaines de milliers d’euros sont qualifiés de « détournement de l’argent public » par les opposants de gauche au conseil régional. Depuis des lois de 1886 et 1959, le Conseil d’État a un principe clair : une école privée hors-contrat ne peut pas obtenir de subvention d’une collectivité publique. « Une collectivité territoriale qui souhaite subventionner l’enseignement privé hors-contrat est toujours à la limite de la légalité. Mais très astucieusement la région peut financer des choses à côté, comme le périscolaire, pour contourner l’interdiction », lance Gilles J. Guglielmi, professeur spécialiste en droit des collectivités territoriales à l’université Paris-Panthéon-Assas. 

C’est d’ailleurs l’argument qu’avance l’institution dirigée par le parti Les Républicains (LR) : les subventions seraient limitées aux activités périscolaires depuis 2020 et donc pas directement au fonctionnement de l’école, c’est-à-dire pour payer le personnel ou les locaux. Selon elle, l’interdiction de financement des écoles hors-contrat « n’interdit pas d’apporter une aide à une association gérant un établissement hors contrat, pourvu que cela soit restreint aux activités autorisées ». « La subvention a un périmètre limité, et n’est payée que sur justificatifs. Ce ne sont donc pas des “subventions indirectes” aux écoles, mais bien des subventions directes pour ces activités », estime le cabinet du président de la région. Il n’a en revanche pas donné de détails pour l’ensemble des subventions pré-2020 (3) qui n’étaient, à l’époque, pas encore affectées aux activités périscolaires. Au moins deux d’entre-elles sont « illégales » pour Gilles J. Guglielmi

Ancien directeur général de l’enseignement scolaire et juriste spécialiste de l’enseignement privé, Bernard Toulemonde (4) assure pour sa part qu’en cas de recours juridique – possible dans les deux mois après le vote de la subvention –, « le juge administratif n’est pas dupe » : 

« Il voit bien que c’est une manière détournée de subventionner une école privée hors-contrat. » 

Une enquête ouverte dans une autre région

L’affaire ne serait pas une première. Plusieurs financements, accordés par la région des Pays de la Loire à des écoles Espérance banlieues du coin, ont été jugées « non conformes » par les services de l’État en 2022. Là aussi, l’institution est présidée par une LR jusqu’en 2022 : Christelle Morançais, depuis passée chez Édouard Philippe. Selon Ouest-France, une enquête a même été ouverte par le parquet de Nantes fin novembre 2024 après un signalement de l’association Anticor pour une possible « existence d’une infraction de détournement de fonds publics ». De son côté, la préfecture du Rhône, chargée du contrôle de légalité des subventions, a déclaré que celles votées par la région de Laurent Wauquiez « n’ont pas fait l’objet d’observations au titre du contrôle de légalité ». 

Les 870.000 euros donnés exaspèrent le directeur d’une école publique de Saint-Étienne, voisine d’Espérance banlieues, sous couvert d’anonymat : 

« Quand on essaye de mettre en place des projets innovants pour nos élèves, la région nous répond que l’on est une école primaire et que ce n’est pas son domaine. Alors que de l’autre côté, elle finance Espérance banlieues. »

« Vieille école »

D’autant que le modèle « EB » est controversé. En 2023, Mediapart révélait qu’une enquête pour « violences » visait certains établissements du réseau. Ce dernier est né en 2012 sous l’impulsion d’Éric Mestrallet, entrepreneur issu du milieu catho-tradi et ancien attaché parlementaire du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe De Villiers. Depuis, ses opposants accusent Espérance banlieues de séduire les caciques de la droite et de remettre au goût du jour « la vieille école », teintée de néo-colonialisme, dans les banlieues. Au Cours la Passerelle, l’école de Pierre-Bénite dans le Rhône, lors d’un café de présentation ouvert aux visiteurs en 2022 après la montée du drapeau et avoir entonné La Marseillaise, un cadre avait présenté le projet à un journaliste de Presse quotidienne régionale : 

« L’idée n’est pas de faire un ghetto dans le ghetto. On tient à avoir une mixité entre ces jeunes issus de l’immigration et les Français de souche. » 

« École de droite ou de gauche, qu’est ce que ça veut dire ? Pour moi, une école, ça reste une école. Les gens de droite ont aussi le droit de travailler dans l’éducation », se défend Christophe Limousin, directeur du Cours la Passerelle de 2017 à 2019. En 2012, il était candidat aux législatives pour… le MPF de De Villiers, décidément, et en campagne « contre le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels ». « J’assume totalement mes opinions. Mais si j’avais été, comme on l’a dit, “un fasciste invétéré”, je n’aurais pas travaillé pendant dix ans dans les quartiers et je ne serais pas rentré à Espérance banlieues », poursuit l’ancien directeur, qui explique à StreetPress ne plus vouloir faire de politique. 

À l’école Espérance banlieues de Saint-Étienne, le Cours la Fontaine, « est inspecté tous les ans », répond Florian Méheust (4), directeur jusqu’à la rentrée 2024-2025. « S’il y avait des soucis, je pense que les inspecteurs me le feraient remarquer. » Selon certains rapports d’inspection, datés de 2021, que StreetPress a pu consulter, l’inspectrice juge l’enseignement de l’école « plutôt conforme aux attendus ». Une ancienne parent d’élève confie n’avoir qu’un seul regret : ne pas y avoir laissé son enfant plus longtemps. « Certains enseignants avaient une pédagogie très classique, presque des années 50. Le travail était très cadré, presque rigide. Mais cela correspondait bien à ce dont mon fils, atteint de troubles de l’attention, avait besoin », témoigne-t-elle par téléphone sous couvert d’anonymat. 

Le programme pour l’école de Marine Le Pen

Premiers opposants à la région depuis 2016, les Écologistes dénoncent une adhésion idéologique de Laurent Wauquiez au modèle proposé par Espérance banlieues. À la rentrée 2022, l’une des directives de sa nouvelle politique culturelle régionale dans les lycées, racontée par Médiacités Lyon, était de « renforcer le sentiment d’appartenance des jeunes à la nation ». Des mots que l’on retrouve presque à l’identique dans le projet pédagogique d’Espérance banlieues. Aujourd’hui devenu « conseiller spécial » de la collectivité, celui qui est en lice pour la présidence du parti Les Républicains n’a pas vraiment lâché les rênes de la région comme l’a noté Le Monde. Et les deniers publics continuent d’affluer vers les caisses du réseau d’écoles : le 10 octobre dernier, une nouvelle subvention de 50.000 euros a été signée par son successeur à la tête de l’institution, Fabrice Pannekoucke.

« L’image que l’on voit de l’école sur leur site internet : la levée du drapeau, la Marseillaise main sur le cœur, l’uniforme… C’est assez cohérent avec ce que défend la région et Laurent Wauquiez en termes de politique éducative sur les lycées », estime Bénédicte Pasiecznik, conseillère écologiste. À StreetPress, la collectivité de droite répond que « subvention ne signifie pas “adhésion idéologique” » mais assume quand-même très fortement son soutien au modèle d’Espérance banlieues : 

« Cette école représente un projet pédagogique innovant au sein de quartiers déshérités, qui lutte contre le décrochage scolaire par la transmission d’un savoir, d’une éducation et de valeurs fondamentales, et qui s’inscrit de fait, dans les priorités fixées par la région. » 

La majorité LR locale peut en revanche compter sur le soutien du Rassemblement national (RN) sur ce dossier. « Apprendre à dire “notre pays la France” et porter une tenue uniforme fait partie du programme pour l’école de Marine Le Pen », acquiesce Benoît Auguste, conseiller régional RN, favorable au développement de ces établissements. 

(1) Le prénom a été modifié.

(2) Une école hors-contrat n’est pas tenue de suivre le programme de l’Éducation nationale mais est inspectée.

(3) À propos d’une subvention de 2017, concernant les travaux d’un bâtiment qui sert de réfectoire et de salle polyvalente à l’école, la région a indiqué que ce serait « une salle ouverte sur le quartier pour tous les habitants » et que les 350.000 euros investis ne serviraient pas qu’à l’école. La région n’a cependant apporté aucun élément pour prouver ce fait.

(4) Ces déclarations ont été récoltées entre novembre 2022 et juin 2023, au début de cette enquête.

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