International

Les États-Unis disent à la Russie que les crimes qu’elle commet sont acceptables


Ce que la reconnaissance de l’occupation de la Crimée par la Russie 
signifierait pour les Ukrainien·nes et les Tatars de Crimée

Les États-Unis envisageraient de reconnaître officiellement le contrôle russe sur la Crimée occupée dans le cadre d’un éventuel accord de paix – une concession territoriale qui tuerait l’ordre mondial existant et qui est jugée inacceptable par l’Ukraine.

Selon Axios, la proposition finale de l’administration Trump pour mettre fin à la guerre totale de la Russie contre l’Ukraine comprenait la reconnaissance de jure par les États-Unis du contrôle de Moscou sur la Crimée, ainsi que la reconnaissance de facto de son occupation partielle d’autres régions ukrainiennes   Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporizhzhia.

Le 23 avril, le président américain Donald Trump a déclaré que Washington ne forçait pas l’Ukraine à reconnaître la Crimée comme russe. Il a ensuite accusé l’Ukraine de ne pas se battre pour la péninsule que la Russie occupe.

« Personne ne demande (au président Volodymyr) Zelensky de reconnaître la Crimée comme territoire russe, mais s’il veut la Crimée, pourquoi ne se sont-ils pas battus pour elle il y a 11 ans, lorsqu’elle a été remise à la Russie sans qu’un coup de feu ne soit tiré ? » a écrit M. Trump sur Truth Social.

La guerre de la Russie contre l’Ukraine a commencé en Crimée en 2014. Depuis lors, Moscou a activement remodelé la composition ethnique de la péninsule, amenant près d’un million de Russes dans la zone occupée, forçant les Ukrainien·nes et les Tatars de Crimée, peuple autochtone de la péninsule, à partir et persécutant celles et ceux qui sont restés.

La péninsule a été transformée en base militaire et, en 2022, la Russie a utilisé la Crimée occupée comme base de départ pour son invasion totale de l’Ukraine.

L’éventuelle reconnaissance par les États-Unis du contrôle exercé par la Russie sur la péninsule occupée constituerait une mesure sans précédent, qui permettrait à Moscou d’éviter de rendre des comptes et indiquerait que les frontières peuvent être redessinées par la force.

Pour de nombreuses et nombreux Ukrainiens et Tatars de Crimée, cela signifierait qu’elles et ils ne pourraient jamais rentrer chez elles et chez eux.

Le quotidien The Kyiv Independent a demandé à des Ukrainien·nes et à des Tatars de Crimée de raconter leur histoire et de dire ce que cela signifierait pour eux si les États-Unis reconnaissaient et soutenaient l’annexion de leur patrie par la Russie.

Alim Aliev, 36 ans, militant ukrainien des droits des êtres humains, journaliste, fondateur du projet Crimean Fig
Pour moi, la Crimée n’est pas seulement un territoire. Ce n’est pas la mer, les montagnes, les beaux paysages ou la nourriture délicieuse. La Crimée, c’est avant tout ma maison. Et cela fait 11 ans que je ne suis plus chez moi. Toute mon enfance s’est déroulée en Crimée : mes premiers souvenirs, mes premières victoires, mes premières défaites, tout s’est passé là-bas. C’est la Crimée qui m’a façonné.

Cela ne changera pas grand-chose pour moi personnellement. Car pour moi, la Crimée reste clairement sous occupation, où mon peuple – les Tatars de Crimée et les activistes ukrainien·nes – est constamment et systématiquement réprimé. Et c’est un endroit où je ne peux tout simplement pas retourner pour le moment. Les gens comme moi sont qualifiés d’« extrémistes », de « terroristes », etc.

C’est pourquoi, au cours des 11 dernières années, la péninsule a connu et connaît encore une résistance continue. Mais au-delà de cela, de nombreuses et nombreux habitants de Crimée, des Tatars de Crimée, servent dans diverses unités des forces armées ukrainiennes, unis par un seul objectif : rentrer chez eux.

Artiste tatare de Crimée, 32 ans, dont la famille est restée sur la péninsule (Anonyme pour des raisons de sécurité)
Reconnaître l’occupation comme légitime est un tournant.
C’est un précédent où la force l’emporte sur le droit. C’est un accord tacite selon lequel on peut venir prendre ce qui n’est pas à soi.

Un monde où la porte s’ouvre à ceux qui redessinent les frontières par la force, et où les frontières deviennent des accords temporaires. Un monde où le silence est interprété comme un accord.

Il ne s’agit pas seulement de la Crimée. Il s’agit de tout le monde. Légitimer la saisie, c’est légitimer l’anarchie. Et à partir de ce moment, le chaos n’est plus une anomalie, c’est la norme.

Un résident basé en Crimée occupée, 38 ans (Anonyme pour des raisons de sécurité)
Je considère toutes ses déclarations (de Trump) comme du bavardage vide maintenant. Il joue avec les nouvelles et les déclarations bruyantes, c’est tout, alors je ne prends pas du tout ces nouvelles au sérieux.

Lia Gazı, 23 ans, activiste tatare de Crimée en exil
Je suis née en Crimée, et ce n’est que maintenant que je comprends vraiment quel privilège cela a été. Des générations de ma famille se sont battues pour avoir le droit de vivre sur leur terre natale, en endurant l’exil, en survivant au dur retour d’Ouzbékistan (à la suite de la déportation soviétique des Tatars de Crimée), et en reconstruisant leur vie à partir de zéro… tout cela pour que je puisse naître en Crimée.

J’y ai passé les plus belles années de mon enfance. Cette période précieuse s’est brusquement terminée avec l’occupation russe. Pour nous, la Crimée n’est pas seulement un bord de mer ou un lieu de vacances. C’est notre patrie, le seul endroit auquel nous appartenons vraiment, où chaque colline, chaque rue, chaque odeur est un souvenir.

L’un de mes souvenirs les plus chaleureux est celui des jours où nos parents d’Ouzbékistan venaient visiter leur patrie. Nous voyagions souvent, et ce n’est que maintenant que je réalise que je ne verrai peut-être plus jamais le palais du Khan à Bakhchisarai comme je m’en souvenais dans mon enfance, parce que la Russie est en train de le détruire. L’un des symboles les plus importants de l’histoire des Tatars de Crimée est en train d’être effacé sous nos yeux.

En tant que Tatar de Crimée, en tant que personne dont la Crimée est la patrie, dont les ancêtres ont vécu et sont mort·es sur cette terre, l’idée même que les États-Unis reconnaissent l’occupation russe est dévastatrice. Je suis la cinquième génération de ma famille à ne pas avoir pu vivre librement en Crimée. Une telle reconnaissance serait pour moi une trahison personnelle. Elle signifierait que l’espoir que j’ai porté dans mon cœur pendant toutes ces années, l’espoir de rentrer chez moi, s’éteint lentement.

J’ai vécu en exil en croyant qu’un jour, la justice prévaudrait et que la Crimée serait à nouveau libre. Mais aujourd’hui, l’idée que des nations puissantes envisagent même de légitimer cette occupation me remplit d’une profonde déception, d’une grande tristesse et d’un sentiment d’abandon.

Depuis le début, la réponse internationale à l’occupation de la Crimée a été trop faible. Mais jamais je n’aurais imaginé que nous atteindrions un point où la discussion passerait de la libération de la Crimée à la normalisation de son annexion.

Pour les Tatars de Crimée, ce serait plus qu’une simple décision politique, ce serait l’arrêt de mort de notre identité nationale. Elle signifierait au monde que la disparition de notre peuple, de notre langue, de notre culture et de notre histoire est acceptable.

L’acceptation par le monde du contrôle de la Crimée par la Russie signifierait que les Tatars de Crimée, le peuple autochtone de la péninsule, pourraient cesser d’exister en tant que nation distincte.

Étudiant de 21 ans basé à Kiev, dont la famille est restée sur la péninsule (Anonyme pour des raisons de sécurité)
« La Crimée est l’endroit où mon frère et moi avons passé notre enfance. Nous y avons vécu de temps en temps, nous y avons été soignés, puis nous sommes retournés sur le continent. Les souvenirs sont chaleureux: les figues dans notre propre jardin, les amis de la famille karaïte, les randonnées dans les montagnes jusqu’aux vieux cimetières de Krymchak. Tout au long de notre enfance, nous avons été préparés à l’idée d’étudier et de vivre là-bas, et en 2013, nous avons envisagé de nous y installer définitivement.

La légitimation de l’occupation de la Russie par les États-Unis est perçue de la même manière qu’une grande partie de ce que nous entendons de la part de Trump et de son équipe : assez absurde mais aussi effrayante parce que cela pourrait être fait. Si les États-Unis décident de prendre une telle mesure, d’autres pays qui en dépendent politiquement et économiquement pourraient suivre.

Il y a en effet des résident·es pro-ukrainiens en Crimée qui croient au retour de l’Ukraine.

Tamila Tasheva, 39 ans, législatrice ukrainienne, ancienne représentante permanente du président pour la Crimée
La Crimée n’est pas qu’une question de géographie, ce n’est pas qu’un territoire. C’est l’endroit d’où vient ma famille, l’endroit qui renferme l’histoire de mon peuple. C’est l’endroit où mon identité a été façonnée et où mon activisme civique a commencé. En raison de la déportation de 1944, je suis née à Samarkand, en Ouzbékistan, mais la Crimée est toujours restée dans mon cœur comme un point de retour et un lien profond.

Mes souvenirs personnels de la Crimée comprennent les soirées chaudes et les histoires de la déportation de 1944 vécues par mes proches. Je me souviens également des premières manifestations publiques en faveur des Criméen·nes et de l’Ukraine en Crimée, ainsi que des premières initiatives civiques qui ont eu un impact.

Depuis l’occupation de la Crimée, je n’ai pas pu rentrer chez moi pendant plus de 11 ans. Malheureusement, je ne suis pas la seule. De nombreuses et nombreux citoyens ukrainiens, militants et représentants du peuple tatar de Crimée sont, pour diverses raisons, empêchés de rentrer chez eux. Malgré cela, la Crimée reste un point de connexion interne, d’espoir et de résistance.

L’idée d’une éventuelle reconnaissance par les États-Unis de l’occupation de la Crimée par la Russie est absolument inacceptable. Sur le plan juridique, elle contredit la constitution ukrainienne, qui définit clairement la Crimée comme faisant partie de notre territoire souverain. Sur le plan politique, cela reviendrait à capituler devant le mal et à légitimer les résultats d’une agression illégale et non provoquée. Et sur le plan personnel, ce serait une nouvelle tentative d’effacer mon identité, l’histoire de ma famille et la lutte de milliers de personnes qui se sont battues – et continuent de se battre – pour une Crimée libre.

Pour les habitant·es de la Crimée, une telle attitude n’est pas seulement une trahison. Elle indique que leur douleur, la répression, les déportations, les arrestations et les humiliations n’ont soi-disant pas d’importance. Cela signifierait que celles et ceux qui ont résisté à l’occupation, qui ont refusé de collaborer avec les occupants, qui ont été emprisonné·es, ont fait tout cela pour rien. Mais ce n’est pas vrai. C’est précisément grâce à elles et à eux que la Crimée reste ukrainienne – politiquement, culturellement, dans le cœur de millions de personnes.

L’Ukraine n’échange ni son peuple ni sa terre. La Crimée ne peut pas être une « monnaie d’échange ». Quiconque pense que la reconnaissance de la Crimée en tant que territoire russe mettrait fin à la guerre se trompe lourdement. Cela créerait un précédent selon lequel l’agression et l’occupation sont acceptables. L’Ukraine ne le permettra pas.

Liza Sivets, 31 ans, travaille dans le domaine de l’histoire publique
J’ai eu la chance de naître en Crimée et d’y vivre pendant 20 ans, jusqu’en 2014, de sorte que toute mon enfance et ma jeunesse insouciante sont associées à la péninsule. J’ai grandi au bord de la mer, dans un endroit où les couchers de soleil sont les plus beaux. J’ai voyagé dans toute la Crimée avec ma famille, le groupe de voyage de mon école et mes amis de l’université. Cette région est extrêmement riche en histoire, y compris en histoire tragique et en histoire dont on parle peu, et cela a influencé ce que j’ai choisi de faire comme travail.

Mais la Crimée n’est pas seulement un souvenir pour moi. Il s’agit de personnes que la Russie a emprisonnées ou forcées à quitter leur foyer en raison de leurs convictions. Ce sont les personnes qui vivent encore là-bas, sous l’occupation et la propagande, et qui se forcent à garder le silence pour que la machine répressive russe ne frappe pas aussi leurs familles.

J’y vois une défaite de la démocratie américaine et une confirmation de l’alignement des États-Unis sur la Russie. Dans l’ensemble, je suis déçue mais pas surprise. Si cette reconnaissance a lieu, moi et d’autres habitant·es de Crimée nous sentirons encore plus trahi·es et désespéré·es.

Des milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de réfugié·es ne pourront probablement pas rentrer chez elles et chez eux, voir leurs proches ou se rendre sur les tombes de leur famille. Et les habitant·es de Crimée, qui attendent la justice et le retour de l’Ukraine, subiront une répression encore plus forte de la part de la Russie.

En fait, par cette reconnaissance, les États-Unis disent à la Russie que les crimes qu’elle commet sont acceptables, qu’elle ne sera pas punie et qu’elle peut continuer. Si Trump veut tant plaire à (Vladimir) Poutine, il pourrait tout aussi bien céder un des États américains à la Russie.

Khrystyna Burdym, 35 ans, travailleuse dans le domaine de la culture et des arts, commissaire de l’exposition sur la Crimée
Malheureusement, mes souvenirs remontent à l’enfance. La dernière fois que je suis allée en Crimée, j’avais environ 10 ans.

Pour moi, la Crimée est avant tout une image d’insouciance. Je l’associe à la nature, à ma famille, aux personnes avec lesquelles nous avons voyagé pendant nos vacances et aux ami·es qui vivaient sur la péninsule avant qu’elle ne soit occupée.

La Crimée, c’est aussi la santé, la cuisine tatare de Crimée et des parent·es heureuses et heureux.

Malheureusement, à l’époque, je n’avais pas pleinement saisi la profondeur, le caractère unique et l’importance de la péninsule. J’en savais beaucoup moins que je ne l’aurais souhaité sur son histoire, sa culture et les Tatars de Crimée. Nous étions encore dans les années 2000 et, à l’époque, la Crimée n’était pas aussi visible ni aussi largement discutée qu’aujourd’hui.

Mais grâce à l’exposition que nous avons organisée pour la Crimean Platform, j’ai eu l’impression de retrouver ces souvenirs, tout en entendant un nombre incroyable d’histoires d’artistes, de personnes nées en Crimée.

Cette déclaration (sur la possible reconnaissance par les États-Unis du contrôle russe sur la Crimée) est dans l’air depuis longtemps. Mais jusqu’à récemment, j’espérais qu’un pays ayant une telle influence et un tel poids ne le dirait pas tout haut.

Bien sûr, de telles choses sont troublantes. Mais j’espère que pour les Ukrainien·nes, ainsi que pour tous ceux et toutes celles qui nous soutiennent dans le monde, il ne s’agira que d’un choc temporaire après lequel nous reprendrons le combat avec encore plus de détermination.

Abstraction faite de la géopolitique, ce qui me fait le plus mal en ce moment, c’est ce qui arrive à mes ami·es, celles et ceux qui viennent de Crimée. Elles et ils n’ont pas pu rentrer chez eux depuis 2014. Certain·es d’entre elles et d’entre eux n’ont pas vu leur famille depuis des années. C’est injuste. C’est douloureux.

Et je tiens à le dire clairement une fois de plus : cette occupation est temporaire. J’y crois. Comme la plupart des Ukrainien·nes, je pense. Et beaucoup de personnes dans le monde y croient aussi.

Artiste tatare de Crimée, 40 ans (Anonyme pour des raisons de sécurité)
Moi et ma famille en Crimée avons une attitude négative à l’égard de la reconnaissance potentielle de la Crimée comme russe par Trump. Ce n’est même pas un sujet de discussion dans mes cercles familiaux. Pour eux, il est inacceptable de dire que la Crimée ne retournera jamais à l’Ukraine.

Si la Crimée devient russe, je ne peux qu’imaginer la répression et la pression supplémentaire qui s’abattront sur ccelles et eux qui ont une identité tatare de Crimée ou des opinions ne tolérent pas l’occupation de la Russie.

Il existe également un problème spécifique pour les représentant·es de la communauté tatare de Crimée qui doivent cacher leur nom parce qu’il représente une menace pour leurs proches en Crimée. Même les soldats qui se battent pour l’Ukraine, lorsqu’ils sont enterrés, ne sont pas toujours nommés publiquement. Pour nous, tout ce qui nécessite de la publicité est restreint.

Un de mes proches, un retraité (de Crimée), m’a dit : « C’est impossible, ils ne le reconnaîtront pas – le peuple ukrainien ne soutient pas cela. Tôt ou tard, la Crimée reviendra à l’Ukraine ».

Kateryna Denisova et Yuliia Taradiuk

https://kyivindependent.com/not-just-a-betrayal-what-us-recognition-of-russias-crimea-occupation-would-mean-for-ukrainians-crimean-tatars

Traduit avec DeepL.com (version gratuite)