Ivanna Vynna, membre du groupe féministe ukrainien Bilkis, a participé, le 27 mars, à l’atelier sur les luttes féministe en Ukraine lors de la conférence de Bruxelles organisée par le réseau européen de solidarité avec l’Ukraine. Nous publions ci-dessou le texte de son intervention.

Si la Russie ne s’est pas encore battue contre vous sur le champ de bataille, elle le fait, mais dans le domaine de l’information, influençant les élections dans votre pays, diffusant la désinformation et promouvant la propagande. Elle nie l’existence des Ukrainiens en tant que membres d’une nation distincte et refuse de reconnaître les politiques impérialistes comme criminelles. Elle détruit les nations qui aspirent à la décolonisation, menace les femmes de violences sexuelles (ce qui est devenu sa stratégie militaire), kidnappe des enfants et diabolise les personnes homosexuelles. Même ses voix soi-disant libérales ne servent qu’un seul but : justifier et normaliser la Russie. L’Ukraine est accusée : elle est « à blâmer », elle a « provoquée », elle se « laisse à en faire trop », avec d’autres rhétoriques souvent appliquées à ceux qui subissent des violences. Par conséquent, nous devons nous rappeler que la faute incombe toujours à ceux qui ont pris les armes et franchi une frontière internationalement reconnue (y compris une frontière qu’ils ont eux-mêmes reconnue).
En ce moment, pour nous, Bilkis, il est important de participer aux transformations de l’Ukraine en amplifiant la voix des femmes et des personnes queer, en abordant les violences et les inégalités, et en promouvant l’inclusion. Nous avons réalisé des progrès significatifs dans ces domaines: la fin des professions interdites aux femmes, la mise à jour des règles d’orthographe pour l’utilisation des formes féminines, les lois contre les crimes haineux, l’éducation sexuelle et la lutte contre les violences sexistes. L’Ukraine se développe malgré toutes les épreuves de la guerre.
La société ukrainienne prend de plus en plus conscience des questions portant sur l’égalité des sexes et de la nécessité de la décolonisation. Il s’agit de la suite logique de notre tradition culturelle et intellectuelle, interrompue par l’occupation soviétique. Notre mouvement féministe est étroitement lié au mouvement d’indépendance vis-à-vis des empires (à l’époque, les empires russe et austro-hongrois). Cependant, la résistance à la colonisation russe reste une question de survie, comme pour de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Car si l’Ukraine ne résiste pas, elle sera la prochaine victime. Les propagandistes russes en parlent ouvertement aux heures de grande écoute à la télévision.
En ce qui concerne les activités de l’organisation Bilkis, nous sommes unies par cinq valeurs fondamentales :
– Féminisme (la lutte pour les droits des femmes)
– Horizontalité (absence de hiérarchies et de domination, prise de décision collective, communication ouverte, égalité des voix)
– Égalité sociale (nous nous soucions des droits des groupes vulnérables, de la justice sociale et du développement d’outils d’influence publique)
– Décolonisation (nous nous opposons aux politiques coloniales et aux guerres d’agression, nous défendons l’indépendance et le développement des nations anciennement colonisées)
– Intersectionnalité (on parle de discrimination en gardant à l’esprit la multiplicité des inégalités et des relations de pouvoir qui la provoquent).
Nous avons débuté nos activités en 2019 en collectant et en publiant des récits de violences faites aux femmes. Cette tradition annuelle perdure : nous faisons appel à des illustratrices et photographes locales pour partager des publications sur les réseaux sociaux et diffuser les histoires de femmes ukrainiennes afin de créer un espace de condamnation des violences et de soutien mutuel.
En novembre 2024, nous avons lancé le ciné-club « FemObjective » où nous nous réunissons deux fois par mois pour des projections de films féministes, des conférences et des débats. Parmi les films que nous avons projetés : « Le Journal d’une adolescente », « Persepolis », « Blink Twice », « Disclosure » et bien d’autres. Le 8 mars de cette année, nous avons organisé la projection du film « When the Trees Fall » de la réalisatrice ukrainienne Marysia Nikitiuk, et la cinéaste elle-même a donné une conférence sur la sexualité féminine au cinéma.
Nous avons également un projet YouTube, « Dear Diary », qui propose des essais vidéo sur la société, le cinéma et la culture populaire à travers le prisme du féminisme intersectionnel. À ce jour, huit épisodes ont été diffusés et notre chaîne compte plus de 5 000 abonnées. Les sujets abordés dans les vidéos incluent l’hétérosexualité compulsive, la culture du viol, la tolérance toxique et bien d’autres.
La plupart des participants à Bilkis sont véganes. Pour nous, il est important de prendre soin de l’environnement, de résister au consumérisme inconsidéré et d’offrir à chacun la possibilité de se débarrasser du superflu et de recevoir gratuitement le nécessaire. En 2022, nous avons lancé notre projet social « Space of Things ».
Nous avons également publié deux zines. Les versions électroniques sont disponibles dans la description de notre profil Instagram. Le premier, intitulé « Activiste », raconte l’histoire de femmes militantes qui nous protègent en première ligne, apportent une aide humanitaire ou aident l’Ukraine à survivre par d’autres moyens. Le second, auto-édité, « Les Autres sont comme nous », est un recueil de récits sur la vie de femmes sans-abri. Il s’agit de réflexions sur l’expérience féminine du sans-abrisme et sur les moyens de renforcer la solidarité.
Bien sûr, nous organisons également des actions de rue. Le 8 mars dernier, nous avons co-organisé l’action « Demandons justice, pas les femmes » à Lviv et avons placardé des affiches contre les violences faites aux femmes à Kyiv. Quelques jours plus tard (le 30 mars), nous avons prévu une action à Lviv pour la Journée de visibilité transgenre.
Notre profil Instagram est un projet à part entière. Nous y publions régulièrement des informations sur les droits des femmes et des personnes LGBTQI+ en Ukraine. Il s’agit notamment de textes sur la misogynie dans divers domaines (médecine, histoire, etc.), de recommandations de livres et de films féministes et queer, d’annonces d’événements, et bien plus encore. Notre page Instagram est consultée plus de 230 000 fois par mois. Nous comptons actuellement plus de 6 500 abonnés, et il s’agit que de nos chiffres propres à notre page.
Nous recherchons actuellement des ressources financières, car le financement des programmes d’égalité des sexes a été considérablement réduit en raison du virage à droite. Nous avons besoin de fonds pour soutenir nos projets actuels et en créer de nouveaux. Par exemple, nous souhaitons commencer à traduire des ouvrages féministes de gauche en ukrainien, car il en existe actuellement très peu. Nous aimerions également créer un projet d’entretiens avec des femmes de diverses professions.
Nous apprécierions grandement tout soutien financier ou informationnel pour notre organisation !
Nous participons à des événements internationaux pour rappeler au monde que la guerre russo-ukrainienne se poursuit. Et que la Russie en est l’agresseur, tout comme elle l’a été en Tchétchénie, en Moldavie et en Géorgie. Elle commence par russifier de force, détruisant la culture et les intellectuels locaux, puis prétend qu’il en est ainsi depuis toujours. La culture aux mains d’un empire est une arme d’appropriation, de dévalorisation et de destruction. Pour contrer ce phénomène, et pas seulement en Ukraine, nous prévoyons de nous concentrer davantage sur la défense des questions internationales à l’avenir. Nous trouvons très utile de chercher des points de connexion, dans nos expériences et nos cultures, avec les pays qui nous soutiennent, afin de créer des projets d’information communs et d’amplifier mutuellement nos voix.
Bruxelles
27 mars 2025 Nona – Bilkis
Traduction PLT
https://drive.google.com/file/d/1rhYk7rw5EciZFzq5P8VBoIHqDIBsLLFH/view?usp=sharing