
Le 10 mars dernier, les étudiant·es de l’Académie nationale des beaux-arts et de l’architecture (HAOMA, Kyiv) ont organisé un piquet de grève pour demander que des travaux de réparation soient entrepris dans leurs dortoirs et que les prix des services liés à leur logement soient réduits. La manifestation était le point culminant d’événements qui ont commencé en novembre de l’année dernière, lorsque, au milieu des premiers froids, les résident·es, qui n’avaient ni eau, ni chaleur dans leurs radiateurs, ont reçu des factures mensuelles d’environ 1 300 UAH. Les militants du syndicat étudiant indépendant Priama Diia ont attiré l’attention sur ces problèmes et se sont joints à la lutte pour des conditions de vie décentes.
Ce n’est pas le premier épisode de l’histoire moderne de l’académie où les étudiant·es du HAOMA se battent contre la bureaucratie de leur université. Cette dernière ne cache pas son attitude paternaliste et conservatrice à leur égard et n’hésite pas à utiliser divers instruments de pression pour maintenir le statu quo. Depuis au moins 2016, l’Académie des beaux-arts n’est pas seulement un lieu de production de connaissances au sens propre, mais aussi un espace de conflits sociaux vifs qui, dans l’enseignement supérieur, sont masqués par la dépolitisation et la dégradation des universités. Ce conflit vaut la peine d’être chroniqué et analysé comme un exemple de politique publique incohérente, ainsi que comme une source d’expérience qui nous permet de tirer des conclusions et d’aller de l’avant, en ouvrant de nouveaux domaines où la démarchandisation des connaissances et l’introduction d’une pédagogie libertaire dans l’enseignement supérieur seront à l’ordre du jour.
L’histoire de la lutte des étudiant·es à l’HAOMA, la bureaucratie locale, la politique stupide de l’État dans le domaine de l’éducation et les leçons à tirer – sont les sujets de ce texte.
Pour le changement, contre la censure, pour les élections, étudier au chaud – actions d’étudiant·es à l’Académie en 2016-2023
Tout d’abord, nous devons parler de l’HAOMA en général. Il s’agit d’une petite université basée à Kiev et contrôlée par le ministère de la culture et des communications. En novembre 2024, elle comptait environ 1 200 étudiant·es, dont une grande majorité de femmes. L’académie est située dans le vieux bâtiment d’un ancien séminaire de théologie, qui est classé monument national. Pendant les années soviétiques, un bâtiment supplémentaire a été ajouté. La plupart des locaux de l’HAOMA sont composés d’ateliers, où se déroulent les formations. Même pendant la pandémie de Covid-19, le processus éducatif est resté essentiellement en présentiel, seules les matières non essentielles et théoriques étant enseignées à distance. Les étudiant·es sont évalués sur la base de leurs travaux finaux, qu’ils et elles présentent à la fin du semestre lors des examens. Parallèlement, des journées portes ouvertes sont organisées : les murs de l’HAOMA, ses couloirs et ses salles sont tapissés d’œuvres, des masterclasses sont organisées.
En d’autres termes, l’HAOMA est un réseau d’ateliers où les étudiant·es (la plupart du temps seul·es) produisent des œuvres originales qui, aux yeux des enseignant·es et des collectionneurs, se transforment en marchandises et acquièrent une valeur d’échange. Cependant, en raison des spécificités des académies d’art, ce processus d’aliénation et de marchandisation se heurte constamment à la résistance des étudiant·es. En outre, les étudiantes achètent souvent les matériaux et les outils nécessaires à leurs étudesUkra à leurs propres frais, ce qui influe également sur leur participation à la production d’œuvres. Comme les étudiant·es travaillent à l’université, leurs conditions de travail et la qualité de leur éducation déterminent la qualité du « produit final », dans lequel elles et ils investissent beaucoup de temps et d’émotions. Et cela est vrai dans une certaine mesure pour tous les établissements d’enseignement supérieur. Mais c’est ici que la précarité du travail étudiant et la crise de l’université prennent une forme concrète, matérielle et spatiale.
L’HAOMA a une histoire mouvementée en matière de protestation. En 2016, Olan Mamay, étudiante en quatrième année, a organisé une performance intitulée « Action à la porte » devant l’entrée principale de l’Académie nationale des beaux-arts et de l’architecture. Elle a écrit un manifeste sur les panneaux de signalisation et distribué des brochures qui soulevaient un certain nombre de problèmes liés au processus académique : des expositions d’œuvres à huis clos et leur évaluation sans la participation des étudiant·es ; un petit nombre de cours auxquels les enseignant·es n’assistent pas ; une éducation qui ne prépare pas les étudiant·es aux réalités du marché de l’art. À l’époque, l’administration a réagi négativement : des agents de sécurité ont tenté d’arrêter Mamay et ont appelé la police, et le recteur de l’époque, commentant la situation, a accusé un groupe de personnes de « saper une école puissante ». Il existe peu d’informations sur ces événements dans le domaine public, mais il est mentionné qu’après la manifestation, les étudiant·es et les enseignants ont créé un département d’art contemporain et lancé un samizdat «It» consacré à la vie de l’académie.
En 2019, Spartak Khachanov, étudiant de l’HAOMA, a créé une installation anti-guerre composée de petits chars, de figures militaires et de missiles phalliques, que les médias ont surnommée la « parade des bites ». L’exposition a provoqué l’indignation de l’un des enseignants, qui a fini par détruire l’installation. Par la suite, Khachanov a subi des pressions : il a été convoqué au conseil académique, où il a été menacé d’expulsion, et après cette rencontre, l’artiste a été intimidé dans la rue par des militants d’extrême droite de l’organisation C14. La situation a été médiatisée et les étudiant·es soutenant Khachanov ont organisé deux manifestations avec les slogans « Non à la censure à HAOMA » et « Le totalitarisme est une façon de penser », au cours desquelles ils ont recueilli des signatures contre l’expulsion de l’artiste. Finalement, l’administration a laissé l’auteur de cette installation artistique tranquille.
En décembre 2020, l’HAOMA devait organiser des élections pour désigner le recteur conformément à la nouvelle législation sur l’éducation, mais à la dernière minute, le ministère de la culture les a reportées indéfiniment et a nommé par intérim l’un des candidats, Ostap Kovalchuk, à la tête de l’académie. En réaction, les étudiant·es ont organisé plusieurs manifestations pour exiger la reprise du processus électoral et ont créé une association de contrôle, Pro HAOMA. L’action a également été soutenue par le corps enseignant de l’académie, et le conseil académique a exprimé sa défiance à l’égard de Kovalchuk. Finalement, l’élection a eu lieu et Oleksandr Tsuhorka est devenu recteur.
Les étudiant·es de l’académie avaient déjà soulevé des problèmes de logement avant les événements de cette année. En 2021, l’HAOMA a été au centre d’un scandale public après que l’administration ait interdit les cours de dessin d’après nature, invoquant le froid qui régnait dans les salles de classe. En novembre 2023, alors qu’il n’y avait pas de chauffage dans les bâtiments de l’HAOMA, les étudiant·es ont organisé un piquet de grève. Le recteur a alors solennellement ouvert les robinets et le chauffage s’est mis en route.
En outre, en décembre 2023, les résident·es des dortoirs ont collectivement demandé à l’administration d’annuler les frais supplémentaires pour les services liés à leur logement, qui avaient dépassé les 1 200 UAH par mois en novembre. Dans leur déclaration, ils et elles ont fait remarquer que ces frais supplémentaires, ainsi que les frais de couchage de 800 UAH, étaient illégaux : selon les règlements et les ordonnances du gouvernement, les frais de dortoir comprennent déjà ces services. En outre, le montant maximum des frais d’hébergement dans les dortoirs des établissements d’enseignement pour les étudiant·es ne peut excéder 40% de la bourse universitaire. Une déclaration collective a été envoyée à l’administration et, le lendemain, le vice-recteur aux affaires économiques s’est rendu à un dortoir. Selon les étudiant·es, il a fait pression sur les signataires : il a réuni les anciens du dortoir et les a menacés que si de telles initiatives se répétaient, l’administration transférerait le coût des services en tant que taxe supplémentaire pour l’utilisation des appareils électriques, et qu’ils devraient payer encore plus. Cependant, la résistance des étudiant·es a porté ses fruits : ils et elles ont été autorisés à ne pas payer les services pour le mois de novembre.
«It» et «Pro HAOMA» ont disparu. L’HAOMA n’a jamais créé d’organisation permanente chargée d’accumuler et de transmettre l’expérience de la lutte étudiante. Il existe peu d’archives publiques de ces événements, et les anciens étudiant·es ont rarement partagé leurs souvenirs, ce qui explique pourquoi les réalisations et les succès des générations précédentes sont restés inconnus des nouveaux étudiant·es.
Cependant, alors que dans d’autres universités, les syndicats étudiant·es locaux et les conseils étudiants jouent généralement le rôle de « partenaire junior » de l’administration, apportant leur soutien aux autorités, à l’HAOMA, ce sont des organisations militantes indépendantes qui rassemblent des personnes prêtes à un conflit ouvert. Une situation similaire, du moins à première vue, peut être observée dans un autre établissement d’enseignement supérieur créatif, l’université nationale Karpenko-Kary de Kyiv pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Lors du scandale entourant Andriy Bilous1, le conseil local des étudiant·es s’est rangé du côté des victimes et a organisé une réunion au cours de laquelle, après une longue discussion, l’administration a accepté de suspendre le professeur. En conséquence, un groupe de travail conjoint avec les étudiant·es a été mis en place pour résoudre les problèmes de cette université.
L’activisme étudiant à l’HAOMA est basé non seulement sur les spécificités des études à l’académie, mais aussi en raison de l’opposition systématique par laquelle l’administration répond aux initiatives étudiantes. La direction ne considère pas les étudiant·es comme des sujets égaux et utilise des pratiques paternalistes et patriarcales dans la gestion de l’université. Si la célèbre déclaration de David Graeber s’applique à une académie, c’est bien à l’HAOMA :
« En fait, le système universitaire moderne est probablement la seule institution, à l’exception de la monarchie britannique et de l’Église catholique, qui ait survécu de façon plus ou moins intacte depuis le Haut Moyen-Âge. Cela conduit à vraiment agir comme un anarchiste dans un environnement rempli de doyens, de vice-recteurs et de personnes en robes bizarres se rendant à des conférences dans des hôtels de luxe…
Cela signifie au moins remettre en question la structure de l’université d’une manière ou d’une autre. »
Je vais donner quelques exemples qui démontrent clairement les discours dominants dans cette institution. Le 13 décembre 2024, avec un autre militant de Priama Diia, Mykhailo, et les résident·es des dortoirs, je me suis rendu au bureau du recteur pour savoir où se trouvait le bureau du vice-recteur par intérim pour les activités éducatives et les questions financières et administratives, Volodymyr Bondarchuk. La première vice-rectrice par intérim, Tamara Kasyanenko, nous a immédiatement conduits dans son bureau, a appelé Bondarchuk, et celui-ci a commencé à expliquer pourquoi les dortoirs avaient des radiateurs froids et imposaient des prix élevés pour les services de logement. Au cours de la conversation, Bondarchuk a répété dix fois : « Vous êtes nos enfants, nous prendrons soin de vous ». Kasyanenko, quant à elle, a déclaré que nous devions nous rendre compte qu’il y avait une guerre dans le pays, et que les étudiant·es devaient donc être uni·es et souffrir un peu. En outre, l’administration a accusé les étudiant·es d’utiliser de manière excessive des appareils électriques, ce qui, selon eux, a provoqué un manque d’électricité dans les dortoirs.
Nous avons ensuite convenu d’une nouvelle réunion le lundi, au cours de laquelle nous devions apporter la liste des dortoirs dont les fenêtres et les radiateurs posaient problème. Le 16 décembre, je me suis rendu chez le vice-recteur par intérim avec cinq autres résident·es des dortoirs. Lorsque nous avons remis la liste susmentionnée, Kasyanenko a évité de répondre à la question concernant le calendrier des réparations. Après cela, l’un des étudiant·es s’est indigné et a commencé à se plaindre que ces problèmes duraient depuis des années et que l’administration ne faisait pas ce qu’elle avait promis. Le premier vice-recteur, dans la meilleure tradition du discours monolingue dominant, a réprimandé l’étudiant : « Pourquoi parlez-vous la langue de l’occupant pendant la guerre ? Vous vous rendez compte à quel point c’est un manque de respect pour les soldats ? ». Lorsque les mêmes plaintes ont été réitérées, cette fois dans la langue de l’État, Mme Kasyanenko a commencé à se justifier en disant qu’elle n’était en poste que depuis six mois et que l’académie était médiocre. Finalement, nous avons convenu verbalement que nous recevrions une réponse à nos demandes et un calendrier des réparations pour le 20 décembre. Le 20 décembre est passé, mais nous n’avons toujours pas reçu de réponse.
Le 30 décembre, avec d’autres membres du syndicat Priama Diia, ainsi que l’un des résidents du dortoir, nous avons découvert la réponse de l’administration. La journée a été très conflictuelle : on ne voulait pas nous laisser entrer, le doyen local par intérim de la faculté des beaux-arts et de la restauration, Ihor Melnychuk, a vérifié nos documents et a menacé d’appeler mon université. Pour notre part, ,nous n’étions pas convaincus que l’académie était fermée pour les vacances et qu’il n’y avait personne, car une exposition ouverte avait été annoncée officiellement par l’Académie nationale des arts. Finalement, nous avons été autorisés à entrer dans le rectorat, où nous avons été accueillis par une Kasyanenko en colère, un papier à la main. Elle a déclaré que « seul Remizovsky » serait informé de la réponse, car la demande avait été faite en mon nom. Je l’ai donc accompagnée. On m’a conduit dans un bureau exigu où le doyen par intérim, le vice-recteur par intérim et le directeur des dortoirs étaient confortablement assis dans des fauteuils, et on m’a donné une chaise en bois.
– S’il vous plaît, asseyez-vous a dit Melnychuk.
– Merci, je vais attendre ai-je répondu, car je n’avais pas l’intention de rester longtemps, d’autant plus qu’on m’avait fait entrer comme pour obtenir une réponse.
– Non, non, asseyez-vous.
– Non, merci beaucoup, je me sens plus à l’aise ainsi debout.
– Si vous voulez parler, la voix du doyen est devenue très froide, asseyez-vous.
Je me suis assis. Le désir non dissimulé de l’administration de me traiter comme un « mauvais élève » dans le bureau du directeur de l’école semblait si absurde que j’avais envie de rire. Pendant environ 40 minutes, Kasyanenko m’a lu à haute voix un mémo dans lequel l’administration prétendait que tous les problèmes avaient déjà été résolus et m’accusait de tout, de la « construction d’une carrière de leader étudiant » en raison d’un prétendu « intérêt personnel » pour les étudiantes. Pour une raison quelconque, les bureaucrates avaient décidé que j’étais la personne principale dans ce processus et ont essayé de faire pression sur moi pour obtenir le consentement des étudiant·es vivant dans des conditions insatisfaisantes de déménager. J’ai répondu que de tels problèmes devaient être résolus directement avec les résident·es, et j’ai donc proposé d’organiser une réunion dans le dortoir. Le premier vice-recteur a réagi vivement : « Ne vous avisez pas de nous imposer vos conditions ». Finalement, la conversation s’est terminée en queue de poisson et nous sommes sortis dans le couloir.
En février, lorsque les étudiant·es sont rentrés de vacances dans un dortoir froid, l’administration, consciente de leur mécontentement, a organisé une réunion. Nous n’avons pas été autorisés à y assister, bien que les étudiant·es aient insisté pour que des représentant·es de notre syndicat soient présents. Melnychuk a répondu à leurs arguments d’un ton paternel et sévère : «Nous avons nos propres avocats. Ils vous conseilleront. Ne faites-vous pas confiance à la direction de l’académie ? » Je ne peux m’empêcher d’ajouter qu’il a reçu alors une réponse négative unanime. Mais l’essentiel dans cette histoire est que le doyen ait pu poser une telle question, et qu’il l’ait fait comme si la méfiance à l’égard de la direction de l’académie était une sorte de crime.
Cela rappelle la réflexion de Sigmund Bauman sur la bureaucratie spécialisée, où les objets (dans notre cas, les étudiant·es) restent sous le contrôle d’une structure bureaucratique spécifique dont l’influence ne peut être contournée La bureaucratie fait de son mieux pour donner à son « public cible » l’impression que « tout appel à des centres de pouvoir extérieurs à la bureaucratie est futile ou inefficace ». Parfois, les bureaucrates définissent ces tentatives d’évitement comme des violations des règles informelles qu’ils ont eux-mêmes établies et commencent à « punir » en abusant de leurs pouvoirs2. Cela crée une atmosphère de peur qui vise à faire croire aux étudiant·es qu’il est plus facile d’obéir aux règles bureaucratiques que de se battre pour leurs droits.
Pour l’HAOMA, ce paternalisme administratif est plutôt une tradition. Andrii Chebykin, le prédécesseur de Tsuhorka, qui a dirigé l’académie pendant trente-deux ans d’affilée, utilisait une rhétorique similaire. Ici, l’administration considère l’académie comme une extension de son propre « corps », constamment menacé de l’extérieur et qu’elle a « fait grandir » toute seule. Pour la direction, les étudiant·es ne sont pas des travailleur·euses qui oeuvrent avec elle dans les ateliers, mais des poulets qu’elle élève dans des couveuses. En même temps, ils et elles peuvent aussi être facturés pour divers services dont la demande est créée arbitrairement et artificiellement par l’administration.
Par exemple, jusqu’en février 2022, les dortoirs disposaient d’un service de blanchisserie gratuit – les résident·es achetaient des machines à laver et permettaient à tout le monde de les utiliser. Cependant, en février 2022, l’administration a interdit l’utilisation des machines à laver personnelles et a obligé qu’elles soient enlevées, ne laissant que celles fournies par la société Postiraika. En septembre de la même année, une taxe supplémentaire pour les services du logement a été introduite, les résidents payant l’électricité à un tarif, qui était 1,5 fois plus élevé que le tarif normal pour les consommateurs. En octobre 2022, la chaudière à gaz reliée à l’alimentation centrale a été démontée et remplacée par une chaudière électrique moins puissante, ce qui a eu pour effet de réduire le chauffage du bâtiment et d’obliger les résident·es à se chauffer avec leurs propres appareils électriques. La volonté de maximiser les profits a également conduit à la fermeture de la cantine de l’université au second semestre 2024, en partie parce que le recteur avait doublé le loyer de l’entrepreneur. Et en 2025, les étudiant·es ont pris connaissance d’un projet de services supplémentaires, selon lequel ils et elles allaient devoir payer pour l’utilisation des réfrigérateurs qu’elles et ils avaient, dans la plupart des cas, acheté eux-elles-mêmes.
Dans ce contexte, la HAOMA est une illustration vivante de la manière dont le contrôle et la commercialisation vont de pair, et l’université, en utilisant un modèle de gestion «command-and-control», devient un capitalisme d’État en miniature. Si l’administration souhaitait réellement remplacer, par exemple, les vieilles fenêtres en bois du dortoir, qui, selon elle, ne peuvent être rénovées rapidement en raison d’un manque de financement et d’obstacles bureaucratiques, elle pourrait au moins réduire le prix par dortoir, de sorte que le montant total des sommes perçues ne couvre que les coûts nécessaires du dortoir. Les résident·es pourraient alors investir les économies réalisées dans des réparations. Les dirigeants de l’HAOMA pourraient également s’adresser publiquement au ministère de la culture et, avec les étudiant·es, chercher à augmenter le financement et à simplifier les procédures bureaucratiques. Cependant, de telles démarches mettraient en péril les profits que l’administration tire de son monopole juridique sur les infrastructures. Cela remettrait également en cause la pertinence de sa revendication de pouvoir absolu à l’université : pourquoi existe-t-elle si les étudiant·es eux-mêmes résolvent les problèmes de l’académie ? Le besoin de penser et de justifier sa position de pouvoir est à l’origine d’une rhétorique de l’administration telle que : « Vous êtes nos enfants », « Des ennemis veulent détruire l’école ».
Qu’en est-il de l’État ? Toujours la même chose : « Pas de moyens »
La commercialisation dans les universités n’aurait pas été aussi répandue sans la politique générale du gouvernement. Le paradoxe du financement public de l’enseignement supérieur est que, bien que l’État ait plafonné le prix du logement en résidence universitaire pour les étudiant·es, il ne garantit pas de compensation pour la différence par rapport au prix du marché, se contentant de trouver des fonds « au fond des tiroirs ». De nombreuses universités, comme l’Académie nationale des arts de Lviv, paient les services publics à partir d’un fonds spécial, c’est-à-dire de l’argent provenant des frais de scolarité contractuels ou d’autres services payants. Cependant, dans certains cas, les universités manquent de fonds, ce qui entraîne des arriérés. Un exemple frappant est celui de l’Université de l’aviation de Kyiv (anciennement NAU), où, en raison de dettes importantes, l’administration a décidé de procéder à un déménagement à grande échelle des étudiant·es pour l’hiver et a fermé la moitié des dortoirs parce qu’elle n’avait pas les moyens d’en assurer l’entretien. Il convient toutefois d’ajouter que le fait de facturer aux étudiant·es des frais supplémentaires pour les services publics – et à un taux plus élevé – est une pratique unique de l’HAOMA. D’autres universités, même si ce n’est pas sans difficulté, respectent la loi et trouvent de l’argent pour les réparations.
Bien que les ministères conservent de nombreuses fonctions de contrôle en vertu de la loi, ils évitent en pratique d’intervenir dans les situations de violation des droits des étudiant·es de l’enseignement supérieur, en invoquant « l’autonomie des universités ». Par exemple, lorsque des étudiant·es de l’université de foresterie ont demandé au ministère de l’Education et de la Science (MES) de procéder à une inspection et de prendre des mesures en raison des conditions insatisfaisantes dans leur dortoir, le MES a simplement transmis leur plainte « comme il convient » à l’administration de l’université. Parallèlement, lorsqu’il s’agit de réorganiser les établissements d’enseignement supérieur dans le cadre de la réception d’une tranche de crédit de la Banque mondiale, le gouvernement cesse soudainement de se soucier de « l’autonomie des universités » et de la légalité de ses propres décisions. Cela est particulièrement évident dans le cas de l’Académie de droit d’Odessa, dont la réorganisation a été partiellement suspendue par un tribunal.
Tout en se déclarant exempté de la responsabilité de contrôler le bon respect des droits des étudiant·es dans les universités, le gouvernement ne leur a fourni aucun outil de protection. Lorsque les représentants de l’autonomie étudiante se sont plaints au vice-ministre de l’éducation Mykhailo Vynnytskyi, lors d’une réunion, que l’administration ne leur fournissait pas les fonds garantis par la loi, il a répondu :
« Vous pouvez soit accroître la confrontation, et vous avez peu de chances d’atteindre votre objectif, soit accroître la coopération, atteindre votre objectif (d’allocation de fonds) et renforcer votre propre communauté universitaire. Si des fonds ne sont pas alloués, il y a des raisons à cela, analysez ces raisons. Le ministère n’a aucun moyen de contraindre le MES à allouer ces fonds ».
Cette situation soulève la question suivante : comment garantir la mise en œuvre des dispositions progressistes de la loi ukrainienne sur l’enseignement supérieur ? À mon avis, sans garantie du droit de grève des étudiant·es, les organes d’autogestion des étudiant·es et les syndicats ne peuvent défendre leurs droits que devant des tribunaux sous-financés, où les affaires traînent pendant des années. Cela s’explique en partie par le fait que les manifestations dans les universités font peur à l’administration, en particulier pendant les examens – les bureaucrates ont l’impression de ne pas contrôler les étudiant·es et que leur autorité n’est pas reconnue. La crainte que les étudiant·es cessent d’assister aux cours et bloquent leurs études à l’université peut modifier considérablement l’équilibre des pouvoirs et contribuer au développement la «subjectivité étudiante» dont le vice-ministre aime à parler.
Résultats. Leçons pratiques tirées de la lutte des étudiant·es
La lutte au sein de l’HAOMA est loin d’être terminée, mais en tant qu’activiste, j’ai déjà tiré un certain nombre de leçons importantes que j’aimerais partager.
1. Les conseils d’élèves et les syndicats officiels ne sont pas tous «jaunes». À l’HAOMA, nous avons rencontré des représentant·es de conseils très combatif·ves et courageu·ses qui ne sont pas indifférent·es aux problèmes de leur académie, et ils et elles ont besoin d’alliés. N’hésitez pas à prendre contact avec les représentant·es des conseils étudiants, cela vous permettra au moins de mieux comprendre la situation de l’université.
2. Plus les gens participent aux discussions avec l’administration, qui n’est pas disposée à travailler, plus les gens se rendent compte que les négociations ne fonctionnent pas et qu’il faut agir. Nos rencontres avec l’administration en décembre ont été rares, et lorsque nous avons rencontré les résident·es des dortoirs en février, la plupart d’entre eux et elles voulaient «un round de plus». Mais du coup, après la réunion suivante, la question « Êtes-vous sorti pour protester ? » est devenue « Quand allons-nous manifester ? »
3. S’il y a des problèmes dans votre université, n’hésitez pas à chercher des alliés à l’extérieur et ne restez pas silencieux. Si Priama Diia avait su ce que les étudiant·es des dortoirs envisageaient en 2023, la situation aurait été résolue positivement bien plus tôt. Très souvent, en raison de la nature locale de nos universités, nous ne pensons même pas que quelqu’un d’autre peut nous aider, ce qui fait le jeu des bureaucrates.
4. Affichez vos victoires. L’administration prétend souvent que les actions des étudiant·es n’ont aucune incidence, que tous les changements se produisent à son initiative. En réalité, c’est l’activisme des étudiant·es qui les fait bouger. Il est très important que cela soit compris non seulement par les participant·es direct·es au mouvement, mais aussi par les observateurs extérieurs. Il est nécessaire d’accumuler et de partager l’expérience des victoires – cela aidera à briser le stéréotype parmi les étudiant·es selon lequel les piquets de grève ne mènent à rien de bon.
Enfin, les dirigeants locaux ont beau se faire passer pour des aristocrates terriens, leur capital repose sur le travail des étudiant·es, des enseignant·es et du personnel technique. Ce sont ces groupes qui forment la base des relations de travail à l’université, bien que l’administration tente de donner une autre impression en contrôlant le processus éducatif, l’infrastructure et en imposant son régime bureaucratique. Si les étudiant·es remettent en question ce pouvoir, elle commence à réagir de manière hystérique – avec des déclarations, des menaces – mais finit par s’effondrer et la bureaucratie doit battre en retraite.
La lutte des étudiant·es du HAOMA pour le droit à une participation égale à la gouvernance universitaire se poursuit. Mais la même lutte se poursuit dans d’autres universités – même là où, à première vue, il semble y avoir une dépolitisation complète.
Artem Remizovsky, 20 mars 2025
Spécialiste des études dans le domaine de la culture, chercheur sur les jeux et miitant du syndicat étudiant indépendant Priama Diia.
Publié par Commons.
Illustration : Katya Gritseva.
Traduction : Patrick Le Tréhondat.
1 Accusé de harcèlement sexuel par de nombreuses étudiantes et actrices de théâtre. NdT.
2Зиґмунт Бауман. Модерність і Голокост. Дух і літера, 2022. С.178-179. (Sigmund Bauman. La modernité et l’Holocauste. Dukh i Litera, 2022. p.178-179).