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Lettre des étudiants au peuple de Serbie

Certes, cette lettre date du 9 mars soit une semaine avant la formidable manifestation à Belgrade mais elle est importante car elle montre quel est le niveau de conscience et la volonté politique des étudiants « bloqueurs ».ML

Nous, les étudiants, bloquons nos facultés à travers la Serbie depuis près de quatre mois. Les revendications des manifestants n’ont toujours pas été satisfaites, et plus nous exerçons de pression sur les institutions pour qu’elles fassent leur travail, plus nous subissons de pression. En raison de la participation croissante des citoyens et d’autres secteurs de la société, les manifestations se sont étendues du niveau étudiant à l’échelle nationale. Notre société s’est unie comme jamais auparavant – d’abord pour pleurer la tragédie, puis immédiatement dans la lutte pour la justice. Cependant, la question qui préoccupe tout le monde reste : quelle est la prochaine étape ?

Tout ce que nous, les étudiants, avons accompli jusqu’à présent est le fruit de l’auto-organisation selon les principes de la démocratie directe et des séances plénières. Un plénum est un forum ouvert à tous les membres d’un collectif, où chacun propose de manière égale des points à l’ordre du jour, en discute et prend des décisions sur la base d’un vote à la majorité simple. Contrairement au modèle établi de démocratie représentative, où tout le pouvoir et toute la responsabilité sont laissés aux représentants élus qui façonnent notre destin à notre place, dans la démocratie directe, chacun est interrogé de manière égale et responsable de ce qui le concerne.

Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis, comme le garantit l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 2 de la Constitution de la République de Serbie nous dit que : « Aucun organe d’État, aucune organisation politique, aucun groupe ou individu ne peut usurper la souveraineté des citoyens. » L’article 67 de la loi sur l’autonomie locale dispose : Les formes de participation directe des citoyens à l’exercice de l’autonomie locale sont : l’initiative citoyenne, l’assemblée citoyenne et le référendum. La même loi, dans son article 69, stipule : L’Assemblée des citoyens discute et fait des propositions sur les questions relevant de la compétence de l’unité d’autonomie locale. L’assemblée des citoyens adopte les demandes et les propositions à la majorité des voix des présents et les transmet à l’assemblée ou aux différents organismes et services de l’unité d’autonomie locale.

Ainsi, ce qu’est un plénum pour les étudiants, une assemblée citoyenne l’est pour le peuple. Cependant, en raison de la centralisation prononcée et de la corruption du système, les gouvernements locaux, et avec eux les communautés locales, ont été tendancieusement négligés. La force du mouvement étudiant réside dans la démocratie directe qui, contrairement à la démocratie représentative, n’est pas sujette à la manipulation et à la corruption. La démocratie représentative est clairement incapable de résoudre la crise sociopolitique de notre pays qui dure depuis des décennies, alors que le modèle de démocratie directe, basé sur notre expérience, a de bonnes chances.

Les étudiants ne sont pas, ne veulent pas et ne peuvent pas être le reflet de la volonté généraleLes réponses aux questions étatiques et sociales les plus générales qui se posent actuellement ne concernent pas exclusivement les étudiants et ne doivent donc pas reposer uniquement sur nos épaules. Tous les citoyens, détenteurs irrévocables de la souveraineté en vertu de notre Constitution, devraient être inclus dans la discussion et la prise de décision sur la crise actuelle. Nous vous exhortons donc à vous tourner vers les gouvernements locaux et à vous organiser de manière indépendante selon le modèle de la démocratie directe, par l’intermédiaire de l’organe légalement prévu de l’assemblée citoyenne.

Ceux qui sont concernés posent des questions et décident – et c’est le cas de nous tous.

9 mars 2025

 Commentaire de Robert  Duguet :

Comment faut-il caractériser le déferlement populaire qui a lieu en ce moment en Serbie. Il y a quelques mois l’effondrement d’un abri de bus provoquant la mort de plusieurs personnes, due à l’impéritie d’un gouvernement face aux obligations qui sont les siennes d’entretenir le bien commun, aurait sans doute provoqué des protestations populaires. Mais un mouvement d’une telle ampleur, certainement pas. Cela arrive à un moment précis de la guerre du régime fasciste de Poutine contre l’Ukraine. De plus, il y a une différence de nature entre un mouvement soigneusement encadré par les appareils syndicaux, comme celui sur les retraites chez nous, et la question de l’auto-organisation que pose l’appel des étudiants, qui bloquent l’université depuis 4 mois. Ils disent : « Les étudiants ne sont pas, ne veulent pas et ne peuvent pas être le reflet de la volonté générale ». Ils se placent sous la protection des larges masses qui se mobilisent contre l’impéritie gouvernementale et la corruption du système mais en leur enjoignant de s’auto-organiser dans des Assemblée Populaires qui décident souverainement de ce qu’il convient de faire. C’est un événement nouveau dans la situation générale des Balkans, de fait c’est la naissance d’une dualité de pouvoir. Ce sont des événements de nature révolutionnaire. « L’intervention des masses en un lieu où se règle leurs propres destinées », écrivait Trotsky à propos de Février 1917 dans le climat de la grande boucherie de la première guerre mondiale. L’histoire nous enseigne que l’impasse de la guerre pour la civilisation libère les Révolutions. La Nation serbe rassemblée par les masses en mouvement ouvre t’elle une période nouvelle où pointe cette menace contre la sainte alliance Trump-poutine ? 

Hier chez nous en France c’était le 18 mars 1871 : dans l’état de délitement dans lequel sont les forces politiques se réclamant de la gauche, personne n’a fêté l’anniversaire de la Commune de Paris. Dans son adresse inaugurale la Commune, s’emparant du pouvoir face à l’incapacité de la bourgeoisie de résister à l’occupation prussienne, déclarait :

« C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. »

Le peuple serbe en lutte et convoquant ses Assemblées Populaires nous donne une grande leçon.