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Manifeste pour une nouvelle Syrie

Après plus de cinq décennies de tyrannie, de répression féroce et de corruption, le régime assadien est tombé, laissant un lourd héritage de destructions matérielles et morales, dont l’extrême pauvreté et la marginalisation qui affectent de larges secteurs du peuple syrien, la détérioration catastrophique des services publics, des tensions ethniques et communautaires délibérément entretenues par l’ancien régime, ainsi qu’un vide politique dû à l’interdiction imposée à deux ou trois générations de débattre librement des questions publiques. Tout cela place notre pays face à des défis majeurs pour sa reconstruction politique, économique, sociale, culturelle et psychologique, ainsi que pour la mise en place de garanties contre la tyrannie et toute tentative, d’où qu’elle vienne, de monopoliser le pouvoir et de s’en servir abusivement.

Convaincus que notre peuple est aujourd’hui appelé à participer activement à la détermination de son présent et de son avenir, nous, soussignés, mettons l’accent, dans cette déclaration, sur un ensemble de principes fondamentaux destinés à immuniser la nouvelle Syrie, à encadrer la période de transition et à contribuer à l’établissement du système politique pour lequel le peuple syrien s’est soulevé sous la bannière de la liberté et de la dignité, et pour lequel sont morts des centaines de milliers de ses fils et de ses filles.

1 – Nous affirmons que tous les citoyens et citoyennes, quelles que soient leurs origines ethniques et confessionnelles, sont égaux devant la loi en termes de droits, de devoirs, de dignité et de respectabilité sociale.

2 – Nous appelons à la restauration des libertés publiques fondamentales, en particulier la liberté de réunion, de manifestation, d’expression et de croyance, incluant les libertés politiques, telles que le droit de fonder des partis, des journaux, des plateformes et des forums, ainsi que les libertés sociales, notamment le droit de créer des syndicats et des associations indépendants des appareils d’État. Dans cet esprit, l’État ne saurait intervenir, ni positivement ni négativement, dans les usages alimentaires ou vestimentaires ou tout autre aspect de la vie quotidienne.

3 – Nous insistons sur la nécessité d’adhérer sans réserve aux traités et pactes internationaux garantissant les droits de l’homme civils, politiques, sociaux et économiques, ainsi qu’à ceux assurant le respect du droit humanitaire international et la poursuite des auteurs de violations.

4 – Nous exigeons l’adoption de lois encadrant la justice transitionnelle par des instances constitutionnelles élues, afin que les personnes accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité répondent de leurs actes, selon des procédures équitables, sans représailles, et cela concerne toutes les parties impliquées, quelle que soit leur affiliation. Ces lois devront garantir la justice pour les victimes, les droits de la défense et la présomption d’innocence, tout en prévoyant des mesures visant à révéler le sort des disparus, à préserver les documents, à empêcher la dégradation des charniers et à permettre aux Syriens d’accéder à la vérité, seule voie vers le pardon et la réconciliation nationale.

5 – Nous insistons sur l’unité du territoire syrien, dans ses frontières internationalement reconnues, ainsi que sur son indépendance et sa souveraineté sur l’ensemble de ses ressources.

6 – Dans la nouvelle Syrie à laquelle nous aspirons, une solution juste à la question kurde doit répondre aux revendications légitimes, culturelles, linguistiques et politiques, de nos concitoyens kurdes, dans le cadre d’une décentralisation administrative négociée.

7 – Enfin, nous appelons à la construction d’une armée et de services de sécurité fondés sur une base nationale inclusive, représentant toutes les composantes du peuple syrien sans discrimination. Nous exigeons que le port d’armes soit strictement limité aux institutions étatiques chargées de la défense des frontières du pays et de la sécurité des citoyens. Il faut rigoureusement interdire aux services de sécurité toute pratique arbitraire, notamment la détention sans fondement légal et la torture, qu’elle soit physique ou psychologique.

L’ère de la tyrannie est révolue, et les Syriens n’accepteront plus jamais de revivre les souffrances du passé. Les forces vives du pays, en Syrie même et dans la diaspora, doivent s’unir et exprimer leur volonté de façon responsable et sans entraves, afin que la Syrie puisse traverser cette période de transition dans la paix, la sécurité, la fraternité et la confiance. Cette transition doit mener à l’élection d’une assemblée constituante, selon une loi électorale équitable, et à l’adoption d’une nouvelle constitution garantissant à tous les citoyens et toutes les citoyennes leur liberté et leur dignité.

Voir les premier·es signataires sur le site de Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/030325/manifeste-pour-une-nouvelle-syrie