« La paix de Poutine et de Trump, c’est la paix de Pétain ! »
Par Robert Duguet
2 mars

Denis Sieffert dans Politis publie le 25 février un article portant sur le nécessaire aggiornamento de la gauche dans la situation présente. Cet article publié le 25 février est encore davantage d’une brulante actualité après le clash Zelensky-Trump de vendredi dernier.
Où en est la gauche « française » sur la question de la guerre ?
Pour les opposants russes qui luttent contre Poutine, pour la gauche ukrainienne, la gauche française est globalement absente de leurs radars, ils connaissent Macron qui « formellement » soutient la résistance armée contre Poutine, mais la gauche « française », ils ne connaissent pas. A vrai dire le mouvement Insoumis qui l’a représenté à la présidentielle a été aux abonnés absents pendant trois ans, considérant que la guerre n’est pas l’affaire des peuples mais celle de la diplomatie. A cela il convient d’ajouter les positions d’adaptation au « monde multipolaire » et poutiniennes de son chef. Oui, le journaliste de Politis a raison d’écrire : « Il n’est plus temps d’implorer la paix sur un mode incantatoire, en ignorant que la paix de Poutine (et de Trump), c’est la paix de Pétain. Oui, la gauche a devant elle l’impératif d’un sérieux aggiornamento. »
Citons un fait concret :
Au salon de l’agriculture (1), Fabien Roussel, secrétaire du PCF a déclaré, sachant qu’un certain nombre de représentants syndicaux du monde agricole soutiennent le RN, que « la première menace pour les agriculteurs français, c’est l’Ukraine ». Il appelle « à entendre la demande de la Russie » de ne pas intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. Ajoutant que « pour l’agriculture, la première menace ce n’est pas les Etats-Unis, c’est l’Ukraine », l’un des principaux producteurs de céréales au monde.
Un des représentants de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche radicale, François Ruffin ajoute un petit air de flute après l’ancienne grosse caisse du stalinisme aux couleurs de la France. Roussel est bien dans cette tradition-là ! De plus lors de son passage au salon de l’agriculture, l’ex-député Insoumis François Ruffin, plutôt aujourd’hui sympathisant de l’Après, dit « non » à l’ouverture des marchés européens à l’Ukraine. Au début de la guerre en Ukraine, « on a ouvert les vannes pour les œufs, pour la volaille, pour les céréales et l’Ukraine, ne trouvant pas ses marchés qu’elle avait auparavant en Afrique du Nord, s’est retournée vers l’intérieur de l’Union européenne, ce qui a produit quand même une crise agricole ».
Précisant à l’AFP son engagement auprès des syndicats agricoles, il ajoute : « Là est en discussion le fait que, comme ça bloque sur le terrain militaire, géopolitique, diplomatique, il y ait, en compensation, une ouverture des marchés européens pour la production agricole ukrainienne. Je dis pour ma part que c’est non ». « Je dis oui à un appui diplomatique » et « politique à l’Ukraine et je dis non » à « l’ouverture des marchés européens aux fermes usines ukrainiennes », a-t-il insisté. « Sinon c’est tuer l’agriculture française ».
Sur un forum de discussion de l’Après du 66, département agricole très concerné par l’évolution du secteur vers le RN, un militant fondateur de ce mouvement commente, face aux déclarations du PCF et de Ruffin : « ce n’est que du bon sens ! »Alexis Corbières, il pense quoi sur cette question ? Et son mouvement ?
La question politique de l’heure n’est pas d’opposer les agriculteurs français aux ukrainiens : ça c’est le poison du nationalisme. C’est le produire « français » de Georges Marchais, continuité de Maurice Thorez. Cela conduit à la capitulation devant le couple infernal Trump-Poutine, telle qu’il apparait depuis vendredi soir dans sa crudité odieuse. L’aggiornamento de la gauche ne se fera qu’en redonnant une perspective internationaliste, celle du combat contre le néo-libéralisme, celle des Etats Unis socialistes d’Europe, seule réponse nécessaire et possible contre une nouvelle guerre inter-impérialiste mondiale. On ne renvoie pas dos à dos Zelensky et Trump, parce qu’ils exprimeraient l’un et l’autre des intérêts impérialistes spécifiques. Comme hier il était intolérable de renvoyer dos à dos Churchill et Hitler. Poutine est l’agresseur et Trump le soutient. Comme l’expliquait Léon Trotsky en 1940, combattant le pacifisme au sein de la IVème Internationale, notamment dans sa section américaine, le SWP, à propos de l’occupation nazie en France : « de toutes les formes de dictature, la dictature totalitaire d’un conquérant étranger est la plus intolérable ».
Aujourd’hui l’Ukraine résistante est la ligne de défense des peuples européens.
L’histoire bégaie ! Dans les années 1930, la gauche de notre pays a été confrontée à un dilemme : nul repli sur un quelconque Aventin n’était possible. Des secteurs importants de la gauche officielle de l’époque, SFIO, PCF et dans les syndicats passent du côté du fascisme. Déat, Doriot sont des fantômes qui hantent encore la mauvaise conscience de la gauche française. Déat n’était-il pas à la veille de la prise du pouvoir par les nazis en janvier 1933, le dauphin pressenti de Léon Blum à la direction de la SFIO ? Doriot n’était-il pas en 1934 contre le cours ultra-gauche de la ligne Thorez, celui qui chercha à unifier, avec le courant Pivert et les trotskystes, le mouvement ouvrier contre le fascisme ? Et pourtant !
On y est à nouveau. Sieffert a raison de sortir Pétain du placard. Aujourd’hui, on est collabos ou résistants !
Toutefois la conclusion de l’auteur s’enferme dans les limites permises par les Institutions d’une Vème République pourrissante en affirmant : « LFI a évidemment raison de demander d’urgence un débat au Parlement. » LFI maintient l’illusion que ce parlement reste un parlement. LFI reste l’obstacle majeur à la recomposition d’un mouvement politique anticapitaliste, construit démocratiquement par sa base.
(1)L’ensemble des citations de Roussel et de Ruffin sont tirées de l’édition du 26 février de l’Indépendant, journal régional des Pyrénées Orientales.
Le nécessaire aggiornamento de la gauche, par Denis Sieffert
Denis Sieffert, politis du 25 février 2025
© Gayatri Malhotra / Unsplash
Nous avons tous rêvé d’une paix désarmée, et de démocraties européennes pacifiées, davantage préoccupées de justice sociale et de lutte contre le réchauffement climatique que de dépenses militaires. Nous avons tous dénoncé les ventes d’armes à destination de pays en guerre, de préférence lointains. Cela, c’est la gauche. Mais les temps changent, et les engins de mort se rapprochent dangereusement. On peut toujours se bercer d’illusion, comme Macron de retour de Washington. Le président français a dit devant Trump ce qu’il aurait voulu entendre de la bouche de Trump : par exemple, que les États-Unis seraient prêts à participer avec les Européens à la sécurisation des frontières ukrainiennes. Mais Trump ne l’a pas dit.
La gauche sort douloureusement de ses rêves. Il n’est plus temps d’implorer la paix sur un mode incantatoire.
Pire, au même moment, à l’ONU, les États-Unis affichaient leur soutien à Moscou, votant avec la Russie, la Hongrie et la Corée du Nord. Nous voilà donc face à une problématique guerrière qui n’est pas notre terrain de prédilection. Nous savons depuis Jaurès que si la gauche ne doit pas s’associer à des guerres impérialistes ou colonialistes, elle ne peut rester l’arme au pied dans l’hypothèse d’une guerre défensive. Nous ne sommes pas loin de cette posture aujourd’hui, pris en étau par deux impérialismes. C’est un partage des dépouilles que Trump propose à Poutine : à toi la Crimée et le Donbass, à moi les métaux rares de la steppe. Et à nous deux ce morceau d’une Europe aux mœurs décadentes qu’il faut rééduquer et rechristianiser ! En attendant plus.
Voilà que les deux mastodontes militaires sont à présent sur le même plateau de la balance. Sur l’autre plateau, la fragile Europe, hésitante et divisée. Devant de tels périls, la gauche a devant elle l’impératif d’un sérieux aggiornamento. Mais aggiornamento ne veut pas dire mea culpa. Elle a souvent eu raison par le passé, quand elle a dénoncé le dépeçage de l’ex-URSS par l’Occident. Elle a eu raison chaque fois qu’elle a combattu un libéralisme européen qui a fait perdre à l’Europe son identité sociale et découragé les peuples. Je dis « la gauche »,chacun reconnaîtra les siens… L’autre faute historique qu’une partie de la gauche a dénoncée, à juste titre, c’est le lien « à la vie à la mort » que les Européens ont scellé avec Washington.
Il y a plusieurs gauches, et l’Ukraine n’est pas la moindre des pommes de discorde.
La chute du mur de Berlin aurait pourtant dû apprendre à nos responsables que rien n’est éternel et que le plus improbable n’est jamais impossible. La gauche « non socialiste »a eu raison de souhaiter il y a vingt ans la sortie de l’Otan. Même si l’alternative d’une défense européenne n’a pas été affirmée, et si la tentation d’un rapprochement avec Poutine planait dangereusement. Mais il n’est plus temps aujourd’hui de faire l’inventaire des occasions perdues. La gauche sort douloureusement de ses rêves. Il n’est plus temps d’implorer la paix sur un mode incantatoire, en ignorant que la paix de Poutine (et de Trump), c’est la paix de Pétain. Oui, la gauche a devant elle l’impératif d’un sérieux aggiornamento.
Quelle position adopter face à l’augmentation des budgets militaires ? Quelle position face à la défense européenne, et à l’envoi de troupes aux frontières ukrainiennes, le moment venu ? Quelle attitude face au périmètre de l’Union européenne quand le loup hongrois ou slovaque est dans la bergerie ? La prise de conscience est là, timide encore. Marine Tondelier parle de « sécurité
nationale ». Olivier Faure dit espérer que les accords de Munich de 1938 servent de miroir aux Européens. Mais il y a plusieurs gauches, et l’Ukraine n’est pas la moindre des pommes de discorde. LFI, par la voix de Bastien Lachaud, ne lève pas complètement l’ambiguïté quand il déplore que l’on n’ait pas négocié plus tôt avec Poutine, puisqu’on savait que l’Ukraine ne pouvait pas gagner cette guerre…
Un raisonnement qui pourrait nous mener loin chaque fois que le dictateur russe se lancera à l’assaut d’un voisin. Cela dit, LFI a évidemment raison de demander d’urgence un débat au Parlement. Mais cela n’exonérera pas la gauche de dire où elle est dans cette situation sans se contenter de chercher l’angle d’attaque contre Macron pour rebondir le plus vite possible en politique intérieure. Sa voix est indispensable pour que les augmentations de défense ne se fassent pas aux dépens du social, de l’environnemental, des services publics. Plus que jamais, les fameux 3 % du traité de Maastricht sont obsolètes. On attend une parole neuve, claire et audible d’une gauche unie. La situation l’exige.