Idées et Sociétés, International

Le rôle des manifestations étudiantes dans la mobilisation contre les régimes autoritaires 

Le cas de la Serbie entre le milieu des années 90 et le milieu des années 2020

Depuis trois mois, les étudiant.es serbes ont initié un vaste mouvement contre la corruption à la tête de l’Etat suite au mortel accident de la gare de Novi Sad. Le premier ministre a dû démissionner et la lutte s’amplifie et s’étend encore ( voir l’article sur le mouvement auto-organisé publié sur le site le 5/2). Il est important alors de revenir vers l’histoire et d’interroger le rôle du mouvement étudiant. ML

L’hiver 1996/1997 a été aussi glacial que celui-ci dans les rues de Belgrade. Pourtant, comme il y a 28 ans, les étudiant·es de la capitale serbe sont de nouveau descendu·es dans la rue pour réclamer la justice et l’État de droit. Utilisant les bâtiments de leurs universités comme espaces sécurisés, ces étudiant·es sortent chaque jour à 11h52 exactement, occupant les rues de toute la Serbie pendant 15 minutes, en mémoire des 15 personnes tragiquement tuées à Novi Sad le 1er novembre 2024, lorsque l’auvent de la gare s’est effondré. Les manifestations de masse hebdomadaires devant les institutions gouvernementales et sur les grandes places des villes intensifient encore leur voix, car les étudiant·es, rejoints par d’autres citoyen·nes, font pression pour que leurs demandes soient satisfaites. 

Ce n’est pas la première fois que les étudiant·es sont à l’avant-garde du changement social et de la justice. Cet héritage remonte à 1968, année où le mouvement mondial de la jeunesse, mené par la Nouvelle Gauche, a secoué Belgrade pendant six jours en juin. Les turbulentes années 1990 ont vu une résurgence des protestations menées par les étudiant·es, lorsque de fréquentes manifestations anti-guerre et anti-régime ont vu le jour dans les villes et villages de Serbie. Parmi celles-ci, les plus longues et les plus résolues ont éclaté en novembre 1996, déclenchées par des fraudes électorales. Pendant trois mois, des milliers d’étudiant·es ont occupé les rues de Belgrade (ainsi que d’autres villes serbes), réclamant la démocratisation, qui avait été introduite avec la transition dans d’autres pays d’Europe (du Sud) de l’Est. Bien que des élections aient été organisées en Serbie depuis l’effondrement du régime communiste, et de la Yougoslavie d’ailleurs, les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées, principalement en ce qui concerne les institutions confisquées et les médias saisis, ne ressemblaient pas à celles d’une véritable société démocratique. Depuis 1991, l’opposition politique, unie dans un objectif commun indépendamment de sa position idéologique, les citoyen·nes et les étudiant·es ont publiquement affiché leur frustration à l’égard de la politique de Slobodan Milošević, désireuses et désireux de montrer au monde que le public serbe n’était pas uni pour soutenir l’agenda du régime, ce qui était particulièrement pertinent pendant les guerres en Croatie et en Bosnie (1991-1995). 

Au cours des manifestations de 1996/1997, les étudiant·es ont défilé devant les institutions de l’État, les ministères, les tribunaux, ainsi que devant les principaux bureaux des médias pro-régime, mettant en scène différents spectacles, insistant pour obtenir une réponse à la violation de leurs droits fondamentaux de citoyen·nes. D’autre part, la télévision d’État a rendu compte de la prétendue perturbation de la vie quotidienne dans la ville que les manifestations de « quelques centaines de personnes » ont causée, en recueillant les déclarations d’individu·es qui se sont opposé·es aux manifestations, en contemplant la prétendue violence dans les rues et en répétant d’autres mantras sur les étudiant·es qui coïncident avec le récit des fonctionnaires de l’État et des médias contrôlés par le régime. Le journal du soir de la télévision d’État a également diffusé des déclarations d’agriculteurs, soulignant le dur labeur qu’ils accomplissent, en comparaison avec les étudiant·es « paresseux » qui, comme il a été dit, devraient s’occuper de leurs propres affaires et laisser la politique aux politiciens. En descendant dans la rue, les étudiant·es et l’opposition ont tenté de briser la dissemblance d’informations créée par les médias pro-régime, un scénario qui se répète 28 ans plus tard. Bien qu’en tant qu’historien·nes, nous ne puissions pas affirmer que l’histoire se répète, le fait que les étudiant·es serbes soient aujourd’hui contraint·es de mener les mêmes batailles que leurs parent·es indique sans aucun doute que la société serbe ne prend pas ses leçons d’histoire au sérieux. Au cours des années 1990, Aleksandar Vučić était dans les plus hauts rangs du Parti radical serbe dirigé par le criminel de guerre Vojislav Šešelj et a été ministre de l’information entre 1998 et 2000. Les mêmes forces politiques qui ont isolé la société serbe dans les années 1990 à l’intérieur et à l’extérieur, économiquement, politiquement, culturellement et de toute autre manière, dirigent à nouveau le pays. Cela ne diminue pas les efforts et les actions des étudiant·es au milieu des années 90, étant donné que dans leurs propres circonstances historiques, ces protestations ont été une victoire. Mais cela nous laisse un goût amer, le sentiment que la société s’est retrouvée dans un cercle vicieux où elle mène les mêmes batailles, ou du moins des batailles similaires.

Le climat politique et social des années 1990 en Serbie, gravement marqué par les guerres et les sanctions internationales, était très différent des circonstances actuelles. En outre, les partis d’opposition et les étudiant·es en 1996/1997 étaient, au moins sur le plan déclaratif, soutenu·es par la communauté internationale (ce qui n’est certainement pas le cas aujourd’hui). Le soutien des acteurs et actrices internationaux a sans aucun doute eu un impact sur Milošević, faisant pression sur lui pour qu’il réponde aux demandes des manifestant·es et introduise une lex specialis reconnaissant la victoire de l’opposition à Belgrade et dans de nombreux autres lieux d’élection locaux. Bien que les manifestations de 1996/1997 n’aient pas mis fin au régime autoritaire de Milošević, elles restent un jalon important dans l’histoire de la Serbie au cours de la dernière décennie du XXe siècle. Ces manifestations n’ont pas seulement servi à prouver les malversations politiques du régime, mais ont rappelé également que la Serbie disposait d’une masse critique qui s’opposait à la politique du régime en place. Les étudiant·es qui étaient à l’avant-garde de ces manifestations portaient une bannière qui proclamait : Belgrade est le monde (Beograd je svet). Ce slogan reflétait leurs aspirations qui allaient bien au-delà de la question immédiate des élections locales ; il symbolisait un désir plus large pour la Serbie de rejoindre la communauté mondiale et de sortir de l’isolement imposé par la politique de Milošević. Dans un contexte historique quelque peu différent, nous assistons aujourd’hui aux mêmes aspirations des étudiant·es serbes.

Compte tenu du contexte politique, social et économique des années 1990 et d’aujourd’hui, il convient de garder à l’esprit que la fin de la guerre froide a jeté les bases structurelles de la montée en puissance des régimes autoritaires dans les Balkans et en Europe de l’Est. Le creusement rapide des écarts entre les classes et autres inégalités, associé à la diminution de la cohésion sociale et du contrôle institutionnel, a créé les conditions parfaites pour l’établissement progressif des nouvelles « alliances des élites » entre celles et ceux qui se sont retrouvés en position de pouvoir financier et politique. La transition néolibérale a provoqué l’accumulation d’animosités profondes qui, dans certains cas, ont temporairement manqué d’agenda politique, alors que dans d’autres cas, elle a poussé les personnes à céder à la misère et à renoncer à une participation active à la dimension politique de leur réalité sociale fracturée. À un moment donné de l’histoire récente, dans des circonstances étonnamment différentes, presque tous les pays de la région ont vu une coalition démocratique fragile s’effondrer sous le poids de sa propre corruption et de son inefficacité. En Serbie, le régime autoritaire qui l’a remplacée a commencé à s’approcher lentement d’un pouvoir constitutionnellement incontrôlé et, dans la pratique, apparemment illimité. 

Bien qu’ils soient en passe d’atteindre un contrôle quasi absolu sur toutes les institutions de l’État et, par la suite, sur tous les aspects de la vie quotidienne de leurs citoyen·nes, les régimes autoritaires sont devenus vulnérables à certains moments critiques, qui surviennent tôt ou tard et entraînent une ère de remise en question. Ce point critique est toujours à un moment atteint ; que le régime autoritaire s’appuie sur le populisme nationaliste et les idées d’extrême droite renaissantes pour articuler les animosités croissantes créées par les insécurités économiques ; ou qu’il offre au contraire une croyance en l’utopie fukuyamiste – où tout ira bien une fois que nous aurons abandonné notre culture orientale de l’informalité et que nous commencerons à mettre en pratique la législation européenne qui n’est qu’une lettre vide sur le papier.

Enfin, il pourrait s’agir des deux, comme dans le cas du régime serbe d’aujourd’hui. Enivrés par l’idée qu’ils sont irremplaçables, les représentants de l’oligarchie politique et financière oublient qu’ils devront un jour apporter au moins une réponse à la question suivante : que se passe-t-il lorsque la déception, accumulée sur une longue période, rencontre une cause capable de surmonter les différences définies par les intérêts et les croyances dominantes de groupes sociaux de plus en plus éloignés les uns des autres ? 

« Il n’y a pas de Dieu capable d’arrêter un être humain affamé » – comme le dit le vieux dicton latin. Les régimes autoritaires le découvrent toujours lorsque leurs constructions idéologiques hybrides, ainsi que leurs systèmes clientélistes – jusqu’à présent presque parfaitement maîtrisés – s’effondrent face aux nombreuses personnes n’ayant rien à perdre en manifestant leur indignation face à une réalité qu’on leur a imposée.

Dans certains cas, c’est une terrible tragédie qui fait prendre conscience aux personnes qu’ellse ont finalement été mis au pied du mur par un régime autoritaire qui s’efforce de normaliser tous les décès dus à son insatiable cupidité. Lorsque le toit d’une gare de Novi Sad s’est effondré sous le poids des années marquées par un mépris total de la sécurité des personnes et par les machinations de fonctionnaires et d’entreprises corrompus, de nombreuses et nombreux contemporains ont compris la signification d’un slogan, bientôt lancé par les étudiant·es révolté·es de nombreuses universités de Serbie : « il y a une plaque de béton au-dessus de toutes nos têtes ». Cette catastrophe a été la dernière goutte d’eau dans le verre de la rage justifiée, la dernière vague d’un fleuve de sang qui a suivi l’administration serbe actuelle sur la voie d’une prise de contrôle qui rendrait envieux de nombreux régimes totalitaires du siècle passé. 

Du nombre croissant d’accidents du travail ayant entraîné la perte de vies humaines à la première fusillade dans une école de l’histoire de la Serbie, en passant par les meurtres horribles commis par des gangs en coopération avec le régime et le massacre de Mladenovac, le message du gouvernement est resté le même : « C’est tout à fait naturel pour un pays en plein développement économique, cela arrive, il faut s’y habituer… ». Après que la corruption et la négligence ont coûté la vie aux 15 dernières victimes de cette transition à répétition, les étudiant·es serbes ont collectivement décidé qu’elles et ils ne s’y habitueraient jamais. Iels ont décidé qu’iels préféraient tout risquer plutôt que de vivre dans un pays où la menace constante de la mort est considérée comme une conséquence normale de l’industrialisation, et où personne n’est tenu responsable des soi-disant accidents qui peuvent arriver à chacun·e d’entre nous demain. Jusqu’à présent, le régime considérait la jeunesse serbe comme une génération éloignée de la politique et des autres, une nouvelle « génération perdue », qui acceptera silencieusement le rôle qui lui est assigné dans les notes de bas de page de la glorieuse histoire nationale écrite par Aleksandar Vučić et ses partisan·es. Maintenant, le régime est forcé de prendre en compte le fait qu’il fait face à une génération entière de personnes moulées dans la résilience par ses propres actions.

Par le nombre de participant·es, les effets politiques obtenus et sa durée, ce mouvement étudiant est le plus important et le plus réussi de l’histoire de la Serbie. Jamais auparavant un mouvement étudiant n’avait réussi à bloquer l’ensemble de l’université de Belgrade, ainsi que les universités de Novi Sad, Kragujevac et d’autres grandes villes. Les étudiant·es ont rapidement été rejoint·es par leurs collègues du secondaire et de nombreuses et nombreux homologues des écoles d’art, d’artisanat et d’autres professions spécialisées. Par la suite, un blocus presque complet de l’ensemble du système d’enseignement supérieur a été mis en place, démontrant un degré de solidarité collective et d’empathie jamais atteint auparavant parmi les jeunes générations de Serbes. Le caractère collectif du mouvement étudiant en est une preuve éclatante. Les étudiant·es ont décidé de ne pas désigner d’individu·es comme dirigeant·es de la protestation, afin d’éviter qu’iels soient pris·es pour cible par le régime. Comme il n’y a pas de visages connus de la résistance à persécuter, à faire chanter, à soudoyer ou à intimider, les étudiant·es peuvent s’organiser sans craindre que des forces loyales au gouvernement n’infiltrent leur mouvement. Un autre précédent historique a été créé lorsque les étudiant·es se sont engagé·es à prendre toutes les décisions nécessaires par un vote collectif à de nombreux niveaux de représentation du groupe, réalisant ainsi une forme de démocratie directe avec des milliers de participant·es ensemble, un phénomène unique en soi. En pratiquant la démocratie directe à la lettre les étudiant·es s’opposent aussi directement à l’autoritarisme, ouvrant la voie à la démocratie mieux que n’importe quel politicien avant elleux.

Une autre caractéristique de ce nouveau mouvement qui semble contraster avec les traditions passées des manifestations étudiantes en Serbie est le succès sans précédent des étudiant·es dans la mobilisation de divers groupes sociaux pour soutenir et participer aux manifestations. La comparaison la plus proche de l’actuel mouvement étudiant serbe en termes de notoriété internationale est le mouvement étudiant de 1968, qui n’a toutefois pas eu l’impact souhaité sur l’élaboration des politiques dans la Yougoslavie socialiste. En effet, les étudiant·es, malgré leurs nombreuses tentatives, n’ont jamais réussi, du moins dans la mesure où cela aurait pu faire la différence, à intégrer les ouvrier·ezs de l’industrie, les paysan·nes et les soldats de l’armée populaire yougoslave dans un mouvement plus large. Les archives des services secrets yougoslaves témoignent de nombreuses tentatives d’étudiant·es de pénétrer dans les usines et les casernes, qui se sont soldées par des altercations physiques entre les manifestant·es et les ouvrier·es ou les soldats, qui avaient en fait à peu près le même âge que les étudiants rebelles. D’une part, il était en effet très ambitieux d’espérer qu’en 1968, la première génération de l’histoire yougoslave à considérer l’éducation élémentaire comme une norme comprendrait les idéaux apparemment abstraits de jeunes universitaires de gauche, extrêmement bien versé·es dans les théories marxistes. Les rébellions étudiantes de la fin des années 1960 se sont produites en plein âge d’or de l’économie yougoslave et de l’expansion des politiques sociales ; il aurait donc été difficile de s’attendre à ce que les personnes, qui voyaient leur pouvoir d’achat et leur niveau de vie augmenter chaque année, se rebellent contre le système qui n’a créé que relativement récemment une égalité sans précédent, une éducation gratuite, des soins de santé, etc. 

Cependant, la réalité sociale est radicalement différente un demi-siècle plus tard, pendant l’« âge d’or » autoproclamé de Vučić. Les manifestations étudiantes ont fourni un programme à travers lequel toutes les animosités existantes à l’égard d’une position quasi désespérée, partagée par le grand nombre de citoyen·nes serbes, pouvaient enfin être exprimées. Lorsque les rues de Belgrade se sont remplies de dizaines de milliers de personnes défilant en soutien au mouvement étudiant, il est apparu clairement que de nombreuses et nombreux citoyens serbes ne croyaient plus en la promesse d’un « avenir meilleur pour nos enfants » qui avait aidé le Parti progressiste serbe à vaincre la coalition démocratique en 2012 (qui ouvrait un « avenir européen radieux » à côté de la mort de la classe ouvrière serbe). Au cours des 13 dernières années, la promesse d’un « avenir meilleur » a été constamment renforcée par le réseau toujours plus étendu et désormais omniprésent des médias contrôlés par l’État. Aujourd’hui, il est enfin clair pour tous ceux et toutes celles qui observent notre Armageddon depuis les pays de l’UE et le reste du monde, que la jeunesse serbe descend dans la rue pour empêcher qu’on lui vole son avenir. En outre, leurs familles les soutiennent dans leur lutte pour rejeter l’avenir de travailleurs et travailleuses manuelles bon marché dans des mines polluantes appartenant à des sociétés étrangères véreuses, des travailleuses et travailleurs sous-payés et régulièrement humiliés qui meurent souvent dans des accidents de travail soudains, ce qui est le seul avenir que ce régime ait jamais voulu leur donner. 

Les étudiant·es ont également réussi à combler le fossé entre les générations, les idéologies et les groupes sociaux de plus en plus différenciés dans un pays qui, jusqu’à présent, était considéré comme le foyer d’une société dépourvue de sens d’elle-même et irrémédiablement brisée. Mais les étudiant·Ês ont prouvé que cette hypothèse était fausse et ont réussi à faire renaître l’idée d’une solidarité collective entre des personnes qui vivent toutes en Serbie, mais qui viennent de mondes radicalement différents, enfermées dans des époques historiques différentes, avec des valeurs et des cultures différentes. On pourrait dire que les sociétés occidentales de l’ère néolibérale se particularisent en relâchant le lien entre l’individu·e et la société, tandis que les sociétés pauvres, autrefois collectivistes et caractérisées par une pauvreté intégrée, se fragmentent elles aussi, uniquement en fonction de leur propre cercle social immédiat, dont les limites sont, dans une large mesure, prédéterminées par la classe sociale de chacun·e, mais aussi par les traditions familiales, la culture dominante d’une région ou d’une école, etc. En conséquence, celles et ceux qui se sont levés pour soutenir les étudiant·es en grève ont tous des idées différentes sur les principaux problèmes de ce pays et sur l’avenir que nous devrions nous efforcer de réaliser, une fois la tyrannie renversée. Il semble que, pour la première fois depuis les années 1990, toutes ces personnes, indépendamment de leurs croyances individuelles, sont convaincues, principalement en raison des actions audacieuses des étudiant·es, que tout pont imaginaire peut être franchi ou évité à l’avenir, tant que nous nous occupons du régime d’Aleksandar Vučić avant qu’il ne devienne une dictature totalitaire directe, auquel cas, il n’y aura pas d’avenir. 

Le mouvement étudiant a réussi à unifier (un peu) la société serbe en changeant les cadres présumés de l’activisme politique et social. Outre le refus de briser le mouvement collectiviste en faveur d’une protestation organisée de manière conventionnelle, les étudiant·es se sont abstenu·es de confondre et d’opposer des parties du public, en insistant pour définir l’idéologie du mouvement, ce qui a été la plus grande faiblesse stratégique de la rébellion de 1968, mais un avantage pour celles de 1996/1997. Plus important encore, les étudiant·es ont formulé une demande cruciale que presque tout le monde peut soutenir – elles et ils exigent simplement que les institutions fassent leur travail. Lorsque Aleksandar Vučić a tenté de s’adresser aux étudiant·es rassemblé·es, il a échoué de la même manière que Ceausescu, lorsque celui-ci avait tenté de calmer les manifestant·es par sa présence « divine ». Les étudiant·es ont déclaré qu’elles et ils ne s’intéressaient pas à l’opinion du président (étant donné qu’il n’est pas, ou plus précisément, ne devrait pas être en charge du pouvoir judiciaire), exigeant la réaction du procureur général, du pouvoir judiciaire indépendant et d’autres institutions dont le travail consiste en fait à enquêter sur la mort des 15 personnes tuées à Novi Sad. Les étudiant·es ont créé un précédent historique de la plus haute importance pour le cheminement de la Serbie vers un pays régi par la démocratie et l’État de droit. Le futur gouvernement, succédant à l’appareil d’Aleksandar Vučić, devra gérer le fait que le peuple ne reconnaît plus l’autorité personnelle d’un aspirant dictateur, mais exige au contraire des institutions responsables qu’elles agissent en fonction de leurs responsabilités présumées et conformément à la notion de bien-être commun.

Katarina Beširević et Luka Filipović

https://commons.com.ua/en/rol-studentskih-demonstracij-u-mobilizaciyi-narodu