L’espoir au milieu des ruines de la Syrie post-Assad
Récit et analyses de Kevin B. Anderson
Quelques mois après la chute historique de la dictature Assad, la Syrie reste en mouvement. Il ne pouvait en être autrement après 53 ans d’étranglement de la vie civile et politique sous l’un des régimes les plus meurtriers au monde. Néanmoins, il est possible de discerner les grandes lignes de l’évolution de la Syrie.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de savourer le moment présent. Tout d’abord, la chute de Bachar al-Assad (qui a gouverné de 2000 à 2024, succédant à son père Hafez Assad, 1971-2000), constitue un tournant historique majeur pour la région et même pour le monde. Elle montre surtout que l’esprit et la réalité des révolutions arabes de 2011 couvaient souterrainement depuis toutes ces années. Cela ne devrait pas rassurer les dirigeants locaux qui ont étouffé les révolutions de 2011 dans leurs sociétés, en particulier celles d’Égypte et de Tunisie.
Deuxièmement, l’effondrement soudain du régime syrien, en l’espace de quelques jours, montre le caractère fragile et instable de la domination des classes politiques en général. Les marxistes ont souvent répété que, malgré son accumulation sans précédent de richesses, le capitalisme est intrinsèquement instable, un système où « tout ce qui est solide se fond dans l’air », comme l’ont écrit Marx et Engels (Manifeste communiste, MECW 6, p.487). Nous l’avons vu lors de l’effondrement économique de 2008. Mais c’est également vrai pour l’État capitaliste, aussi solide et inexpugnable qu’il puisse paraître dans un contexte particulier, même à notre époque de capitalisme d’État. Nous l’avons vu en 2011 dans le monde arabe, lorsque les gouvernements tunisien et égyptien sont tombés aux mains de la jeunesse et des travailleurs et des travailleuses révolutionnaires en l’espace de quelques jours, et nous l’avons vu en Syrie aujourd’hui. (En 2023, nous avons vu comment un autre État « fort », Israël, a été pris par surprise non pas par un soulèvement de masse, mais par une attaque déterminée à travers l’une des frontières les plus étroitement surveillées du monde).
CLR James a souligné, sur la base d’un passage des Cahiers philosophiques de Lénine, que les changements radicaux se caractérisent par des « sauts » et des ruptures plutôt que par la gradualité (Notes on Dialectics : Hegel-Marx-Lénine, Westport : Lawrence Hill, 1986 [1948], p.99). Les années 2023-25 au Moyen-Orient en sont certainement l’illustration. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité, car l’État et le capital ont tous deux une existence profonde et structurelle, et de tels moments d’effondrement ou de rupture sont assez rares. Comme Marx l’a dit après que l’ordre ancien se soit réaffirmé avec force après la défaite des révolutions de 1848 : « La tradition de toutes les générations mortes s’étend comme un cauchemar sur le cerveau des vivant·es » (Dix-huitième Brumaire, p. 104).
Le déploiement du nouveau
Gardant tout cela à l’esprit, examinons ce qui est nouveau dans la Syrie post-Assad. Peu de gens l’ont remarqué il y a un an et demi, lorsque le peuple syrien est descendu dans la rue pour la première fois depuis des années avec des slogans contre le régime et en faveur de la révolution, en ciblant la catastrophe économique et la corruption. La ville de Suweida, à majorité druze, s’est notamment jointe au mouvement en août 2023, rompant ainsi avec la tactique du régime consistant à opposer les minorités ethno-religieuses à la majorité arabe sunnite. Les manifestant·es ont scandé : « Un, un, un, le peuple syrien est un ». Dans un certain nombre de villes, « les drapeaux des communautés druze et kurde ont été hissés aux côtés du drapeau de la révolution [de 2011]. Et il y a eu de nombreuses manifestations de solidarité avec la résistance ukrainienne » (blog de Leila Al-Shami, « Syrie : la révolution renaît », 29 août 2023).
[NDT – De cette autrice : « Les Syrien·nes se réjouissent lorsque des généraux russes, impliqués dans des crimes de guerre en Syrie, sont tués en Ukraine ». Entretien avec Leila Al-Shami,
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/07/31/les-syrien·nes-se-rejouissent-lorsque-des-generaux-russes-impliques-dans-des-crimes-de-guerre-en-syrie-sont-tues-en-ukraine-entretien-avec-leila-al-shami/
Préface à l’édition française du livre de Leila Al-Shami & Robin Yassin-Kassab : Burning Country. Au cœur de la révolution syrienne,
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/03/25/preface-a-ledition-francaise-du-livre-de-leila-al-shami-robin-yassin-kassab-burning-country-au-coeur-de-la-revolution-syrienne/
L’anti-impérialisme des imbéciles,
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/03/20/lanti-imperialisme-des-imbeciles/%5D
L’été dernier encore, de nombreux pays de l’UE, dont l’Italie, le Danemark, la Pologne et l’Autriche, cherchaient à mettre fin au boycott du régime d’Assad, à reprendre les relations avec lui et, surtout, à expulser les centaines de milliers de réfugié·es syrien·nes qui avaient afflué hors du pays pendant la répression de la révolution. Ces pays de l’UE appellent à une politique « plus réaliste », étant donné que « Bachar el-Assad reste fermement en selle » (Jean-Baptiste Chastand, « Plusiers pays de l’UE veulent renouer avec la Syrie », Le Monde, 25 juillet 2024).
En décembre 2024, lorsque le régime de 53 ans est tombé après une offensive de six jours menée par une petite force islamiste de l’enclave d’opposition d’Idlib, dans le nord du pays, beaucoup ont noté l’incapacité presque totale des forces du régime, nombreuses et bien armées, à riposter. Selon Stephen Zunes, spécialiste du Moyen-Orient :
Si ce sont les forces militaires de Hayat Tahrir al Sham (HTS) qui ont marché sur Damas alors qu’Assad et sa famille fuyaient, il semble que ce soit la résistance civile non armée menée par les comités populaires et les conseils locaux résurgents, qui sont apparus au début de la phase non violente de la révolution en 2011, qui a pris le contrôle d’une grande partie de la gouvernance locale du régime, en particulier dans les provinces de Daraa et de Suweida dans le sud (Daniel Falcone : entretien avec Stephen Zunes, « The Ousting of the Brutal Assad Regime Brings Euphoria and More Questions », Counterpunch, Dec. 11, 2024).
Dans la ville de Daraa, où le soulèvement révolutionnaire a commencé en 2011, la joie et la tristesse se mêlaient lorsque les foules se sont rassemblées pour accueillir les révolutionnaires en exil. Parmi elles et parmi eux, le cheikh Ahmad Al-Sayasna, dont le sermon avait contribué à galvaniser le « vendredi de la colère » du 1 mars 2011, après l’emprisonnement, la torture et l’assassinat de jeunes de la région. Trop âgé et trop frêle pour prononcer un discours complet, il a déclaré en quelques mots : « Nous sommes un grand peuple qui mérite la liberté et qui ne connaît pas la haine ». Dans la foule, une jeune femme s’est écriée : « La Syrie retrouve toutes ses couleurs ». Une autre jeune femme, qui a elle aussi connu l’exil, a déclaré : « Les Occidentaux sont inquiets, mais ils doivent comprendre que c’est la première fois que les décisions sont entre les mains du peuple syrien » (Eliott Brachet, « À Deraa, l’étincelle ravivée de la révolution syrienne », Le Monde, 9 janvier 2025).
Début janvier, les habitants·e de Suweida sont restés en alerte révolutionnaire, conservant les armes qu’elles et ils avaient brandies en décembre alors que le régime commençait à tomber. Alors que le régime Assad subit des pertes territoriales sous les coups des forces menées par HTS depuis le nord, Suweida se soulève à son tour. Ses réseaux armés, qui avaient survécu dans la clandestinité, ont renoué le contact avec une coalition de rebelles du sud de la Syrie, la région où le soulèvement de 2011 s’est largement répandu. « La coordination s’est faite en secret. Une fois Alep tombée, nous avons formé le réseau d’opérations [Chambre] du Sud. Puis, le 7 décembre, nous avons libéré notre région alors que nos alliés marchaient sur la capitale », a déclaré un commandant de la brigade druze de la montagne, qui revendique une force de 7 000 hommes sous les armes. Toujours à Suweida, druzes, chrétien·nes et musulman·es se sont rassemblés·e autour d’un arbre de Noël au milieu de slogans révolutionnaires, notamment « Une Syrie libre, unie, citoyenne et démocratique » (Eliott Brachet, « En Syrie, la circonspection des Druzes », Le Monde, 7 janvier 2025).
À Damas, le sentiment de reprendre les choses là où elles s’étaient arrêtées en 2011 était omniprésent. Lors d’une procession funéraire organisée le 12 décembre pour un jeune révolutionnaire assassiné en prison pendant les derniers jours du régime, un participant a déclaré : « C’est très émouvant de marcher à nouveau toutes et tous ensemble avec des citoyen·nes syrien·nes venu·es des quatre coins du pays, sur le même itinéraire que celui que nous avons emprunté au début de la révolution » (Hélène Sallon, « A Damas, les poignantes obsèques de l’opposant Mazen Al-Hamada », Le Monde, 14 décembre 2024).
Dans la Syrie nouvellement libérée, comme l’a observé la poétesse Samar Yazbek, le principal slogan répété sans cesse par les foules en liesse était : « La Syrie est une et indivisible, elle appartient à toutes et tous les Syriens et tout le monde a les mêmes droits ». Elle y voit une répudiation claire de la stratégie de division et de conquête du régime Assad, ainsi que des efforts d’Israël, de la Turquie et d’autres puissances extérieures qui cherchent à dominer la nouvelle Syrie, alors même que d’autres, comme la Russie et l’Iran, quittent la scène (« Bashar al-Assad est tombé, mais la véritable révolution des Syriens ne fait que commencer », Le Monde, 24 déc. 2024).
Ces foules révolutionnaires sont également entrées en masse dans les prisons tristement célèbres du régime, des cachots infâmes où des dizaines de milliers de personnes ont trouvé la mort au fil des décennies, en plus des 500 000 personnes tuées par Assad et ses alliés lors de la répression de la révolution de 2011. En décembre 2024, le peuple a libéré celles et ceux qui restaient et a cherché désespérément d’autres survivant·es ou des preuves de ce qui était arrivé à tous ceux et toutes celles qui avaient disparu dans ces maisons de torture.
À son retour d’exil, le célèbre intellectuel syrien Yassin al-Haj Saleh a déclaré à propos de l’effondrement rapide du régime : « C’est la meilleure chose qui pouvait arriver et cela s’est passé de la meilleure façon possible, sans destructions, sans massacres, sans beaucoup de souffrances humaines » (Hélène Sallon, « Le retour doux-amer de Yassin al-Haj Saleh en Syrie », Le Monde, 3 janvier 2025).
Certains·e intellectuel·les arabes syrien·nes ont également commencé à s’exprimer plus fermement pour défendre l’importante minorité kurde (10% de la population) que leurs homologues antérieurs comme Saleh. Pendant la guerre civile, les Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement kurdes, ont établi la zone autonome progressiste et pro-féministe de Rojava, aujourd’hui menacée par l’Armée nationale syrienne (ANS), financée par les Turcs et alliée à HTS. Comme l’écrit le jeune analyste marxiste Joseph Daher, « le soulèvement de 2011 a permis l’émergence sans précédent d’une dynamique nationale kurde profonde dans l’histoire de la Syrie ». La question kurde soulève bien d’autres questions sur l’avenir du pays, notamment la possibilité d’une identité plurielle qui ne soit pas uniquement fondée sur l’arabité ou l’islam, ainsi que la nature de l’État et son modèle social. En définitive, ce sont autant de défis intrinsèquement liés à la volonté d’une véritable émancipation des classes populaires syriennes » (« The Kurdish Struggle Is Central to Syria’s Future », New Arab, 29 décembre 2024).
Contradictions internes
De nombreux médias occidentaux ont noté la relative tolérance des communautés religieuses minoritaires de la part de l’organisation islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), dont les forces armées très réduites – probablement moins de 20 000 dans un pays de quelque 25 millions d’habitant·es – sont descendues d’Idlib, dans le nord, jusqu’à Damas, au milieu d’une opposition symbolique, alors que le régime Assad et ses forces militaires s’effondraient tout simplement. Étant donné que le HTS est issu du réseau ultra-fondamentaliste d’Al-Qaïda, bien que ces liens aient été rompus il y a environ huit ans, il y a beaucoup d’appréhension quant à son programme alors qu’il a commencé à prendre le contrôle de l’État. C’est particulièrement le cas dans les secteurs les plus laïques, de gauche et féministes de la population syrienne. Comme l’a demandé Al-Haj Saleh à son retour d’exil, « Qui sera opprimé ? Les gens comme nous, les démocrates, les libéraux, les gens de gauche ». Il ajoute que jusqu’à présent, il y a eu « une sorte d’inclusion religieuse et culturelle, mais pas politique. Je crains qu’ils n’acceptent pas le pluralisme politique », notant que le chef du HTS, Ahmed al-Sharaa, s’est entouré de personnes partageant les mêmes idées dans son administration (Sallon, « Le retour »).
Dans la nouvelle Syrie, le rôle négatif de HTS et d’autres groupes islamistes radicaux pendant la guerre civile de 2011-2013 continue d’être souligné, même s’ils semblent avoir quelque peu modéré leurs perspectives. Comme l’a récemment fait remarquer Shireen Akram-Boshar : « Les Syrien·nes de Syrie et de la diaspora se méfient du HTS. Les militant·es syrien·nes décrivent depuis longtemps Nusra et d’autres groupes islamistes comme le deuxième pôle de la contre-révolution, après le régime d’Assad. Depuis des années, les militant·es syrien·nes racontent les histoires de Razan Zeitouneh, Wael Hamada, Samira Khalil et Nazem Hammadi – quatre militant·es démocrates qui se sont opposé·es au régime Assad ainsi qu’aux groupes islamistes, et qui ont été enlevé·es et ont disparu à la fin de 2013, très probablement par une autre milice islamiste similaire » (« As Assad Regime Falls, Syrians Celebrate – and Brace for an Uncertain Future », Truthout, Dec. 11, 2024). Cela renvoie à l’une des idées dialectiques clés de Raya Dunayevskaya, selon laquelle « discerner la contre-révolution au sein de la révolution est devenu essentiel » (Philosophy and Revolution : De Hegel à Sartre et de Marx à Mao, p. 106).
La domination du HTS sur l’enclave rebelle d’Idlib au cours des sept dernières années, bien qu’elle ne soit pas empreinte de politiques réactionnaires de type taliban, n’est guère rassurante. Financé dans une certaine mesure par la Turquie, le HTS a mis en place un système autoritaire dans lequel les droits des femmes sont restreints, la vente libre d’alcool est interdite et les dissident·es sont emprisonné·es et torturé·es. Après les manifestations de 2021 contre la répression, le HTS a quelque peu relâché son contrôle.
Maintenant qu’il contrôle Damas, le HTS a nommé un ancien bureaucrate du régime Assad au poste de chef de la police nationale et a tenté de confisquer les armes de la population, en particulier des jeunes. Le HTS a pris des mesures décisives pour prendre le contrôle du système juridique, en envoyant onze de ses sous-fifres d’Idlib pour prendre en charge l’organe central des avocat·es syrien·nes. En réponse, une pétition signée par 400 Syrien·nes, dont 130 avocat·es, a exigé que les purges légitimes en cours des fonctionnaires juridiques corrompus et répressifs d’Assad ne se traduisent pas par leur remplacement « par d’autres également dépourvus de toute légitimité électorale » (Hélène Sallon, « En Syrie, des avocats s’inquiètent de la mainmise du pouvoir sur le barreau », Le Monde, 20 janv. 2025).
Les femmes syriennes ont également exprimé de graves inquiétudes quant à l’avenir. À Alep, en décembre, une manifestation de femmes a été annulée après que les organisatrices ont reçu des messages de menace. Le gouvernement dirigé par le HTS a également envoyé des signaux contradictoires. Après qu’un porte-parole du HTS a déclaré, fin décembre, que les rôles de leadership des femmes devraient être limités aux « fonctions qui correspondent à leur nature et à leur biologie », des manifestations de protestation ont éclaté dans plusieurs villes. Le chef du HTS, al-Sharaa, a exprimé publiquement une ligne quelque peu différente, en nommant Aisha al-Dibs, leader des droits des êtres humains, au bureau des affaires féminines, mais cette dernière a dénoncé le féminisme et appelé à une société basée sur la loi islamique (Céline Pierce-Magnani, « En Syrie, la méfiance des femmes face au nouveau pouvoir », Le Monde, 30 déc. 2024).
Les plus grandes inquiétudes concernant la nouvelle Syrie ont été exprimées par les Kurdes, qui ont subi la pression de la SNA soutenue par la Turquie ainsi que de l’armée et de l’armée de l’air turques. Les Kurdes ont déjà été chassé·es de certaines régions. La ville de Kobané, où les FDS et leurs unités féminines ont tenu tête à ISIS en 2014 dans une bataille légendaire qui a brisé les reins de ces réactionnaires islamistes, est à nouveau menacée par les forces de la SNA et de la Turquie. Récemment, la commandante en chef des Forces de protection du peuple (YPJ) des FDS kurdes, Rohilat Afrin, a exprimé son inquiétude quant à l’orientation de la nouvelle Syrie, tant en termes d’autonomie kurde que de droits des femmes : « Nous pensons que la guerre de Kobané était une guerre pour l’humanité, une guerre pour protéger toutes les femmes et toutes les terres. Nous sommes convaincues qu’un état d’alerte publique à l’échelle mondiale sera déclenché et que la solidarité sera assurée si Kobané est à nouveau attaquée… ». La mentalité ancrée au sein du nouveau gouvernement montre clairement qu’il n’y a pas de place pour les femmes – ou seulement une place où les femmes doivent accepter de se couvrir la tête et d’adopter une mentalité patriarcale. Pour éviter ce qui précède, il faudra beaucoup d’organisation et de lutte. Il s’agit d’un grave danger que nous devons reconnaître » (Rojava Information Center, « Syria : We cannot hand over our weapons while attacks on women and our territories continue » – An interview with YPJ Commander-in-Chief Rohilat Afrin », Links : International Journal of Socialist Renewal, 12 janvier 2025).
[NdT : Syrie : « Nous ne pouvons pas rendre nos armes tant que les attaques contre les femmes et nos territoires se poursuivent »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/14/syrie-nous-ne-pouvons-pas-rendre-nos-armes-tant-que-les-attaques-contre-les-femmes-et-nos-territoires-se-poursuivent/]
Menaces impérialistes et sous-impérialistes … et avenir de la Syrie
Le fait que le régime Assad, depuis le soulèvement de 2011, ait été soutenu par la Russie, l’Iran et les milices du Hezbollah du Liban, alignées sur l’Iran, a été démontré par la rapidité avec laquelle cet édifice vieux de cinq décennies s’est effondré lorsque ces puissances extérieures ont commencé à se retirer à la fin de l’année 2024. La Russie a alors retiré la plupart de ses forces et a refusé de faire ce qu’elle avait fait dix ans plus tôt, à savoir mener des attaques aériennes aveugles contre les rebelles et les civil·es syrien·nes. La résistance déterminée du peuple ukrainien a joué un rôle important dans l’affaiblissement de l’impérialisme russe, tandis que les drones ukrainiens ont apporté un soutien matériel réel. Le Hezbollah, affaibli par les attaques israéliennes de l’automne 2024, qui avaient pris ses dirigeants au dépourvu et les avaient assassinés d’un seul coup, n’était pas non plus en mesure d’aider le régime. Et l’Iran, ébranlé par les attaques aériennes israéliennes et s’attendant plus particulièrement à l’élection de Trump aux États-Unis, a également refusé de faire quoi que ce soit pour Assad.
Il convient également de noter que la Russie et Israël avaient un accord tacite sous Assad, permettant à Israël d’attaquer la Syrie à volonté. En outre, après la chute d’Assad et l’affaiblissement du Hezbollah et de l’Iran, certains membres des gouvernements israélien et américain ont la dangereuse illusion qu’ils peuvent maintenant réorganiser la région en renversant le régime iranien de l’extérieur.
Mais alors même que plusieurs puissances impérialistes et sous-impérialistes – la Russie, l’Iran et le Hezbollah – quittaient la scène, de nouvelles apparaissaient, ou du moins apparaissaient avec plus de force. La Turquie, dont le président Recep Tayyip Erdogan nourrit des ambitions néo-ottomanes pour l’ensemble de la région, a non seulement soutenu HTS et sa « propre » SNA, mais a également exercé une influence directe considérable sur le nouveau gouvernement. Erdogan souhaite que le nouveau gouvernement syrien lui laisse les Kurdes, à lui et à la SNA, mais il se heurte ici à d’autres forces, notamment les Kurdes elleux-mêmes, mais aussi leurs soutiens tacites au sein de l’armée américaine, qui ont vu dans les FDS un rempart contre la résurgence d’ISIS.
Israël est intervenu dans la Syrie post-Assad de plusieurs manières, en coulant la petite marine syrienne hors de l’eau, en détruisant par les airs de nombreuses bases militaires et en s’emparant d’un territoire considérablement élargi autour du plateau du Golan, qu’il occupe déjà illégalement. Les Israéliens ont donné leur alibi habituel pour leurs crimes de guerre : la lutte contre le « terrorisme ».
Toutes ces puissances, et d’autres encore, cherchent à tirer profit de la faiblesse économique de la Syrie, née d’années de guerre civile et de l’exploitation du pays par la famille Assad dans un contexte de corruption sans précédent. Ces puissances cherchent à démembrer ou à diviser la Syrie en régions et en enclaves qu’elles espèrent dominer. D’où l’appel constant des Syrien·nes d’aujourd’hui à l’unité du pays.
Certain·es à gauche, en particulier les campistes, sont allé·es jusqu’à dire que l’effondrement du régime avait été orchestré par Israël et les États-Unis et que tout cela servait l’impérialisme et la réaction, avec peu ou pas de contenu libératoire à voir. Cette logique est extrêmement discutable. En effet, comme l’a fait remarquer Gilbert Achcar, analyste marxiste de longue date de la région, au lendemain de la chute d’Assad, « certains croient que tout acteur local n’est que la marionnette d’un acteur extérieur. Ces personnes ne peuvent reconnaître aucun pouvoir aux acteurs locaux. C’est, bien sûr, une très mauvaise façon de percevoir la situation » (Stephen R. Shalom, « The Collapse of the Assad Regime : An Interview on Syria with Gilbert Achcar, New Politics Online, 13 décembre 2024).
[NdT – Gilbert Achcar : Que se passe-t-il en Syrie ?,
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/05/les-facteurs-externes-et-internes-expliquant-les-recents-developpements-en-syrie-et-autres-textes/
et Gilbert Achcar : Où va la Syrie ? (2)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/12/construire-une-nouvelle-syrie-ou-regnent-la-liberte-la-democratie-et-la-justice-et-autres-textes/]
Une telle logique échoue également au niveau humain. Qui peut défendre, excuser ou minimiser la brutalité d’un régime qui a transformé tout le pays en une gigantesque chambre de torture et un camp de la mort ? Qui peut oublier le mot d’ordre du régime pendant le soulèvement et la guerre civile : « Bachar ou nous brûlons le pays » ? Le moment venu, en décembre 2024, le peuple syrien, qui a longtemps souffert, s’est débarrassé du régime, les forces armées disparaissant tandis que les dirigeants s’éclipsaient à Moscou.
Le peuple syrien dispose désormais d’une ouverture, d’un type inédit depuis les premiers jours grisants de 2011. Espérons qu’il saura en tirer quelque chose de positif, non seulement pour la Syrie, mais aussi pour la région et le monde, qui ont tant besoin d’espoir à l’heure où l’autoritarisme et le fascisme s’abattent sur nous dans de nombreuses parties du monde. Saluons également la persévérance et la résilience du peuple syrien, qui n’a jamais baissé les bras depuis 2011, que ce soit à l’intérieur du pays ou en exil, et qui continue aujourd’hui malgré les innombrables obstacles. Que ce soit une leçon pour nous tous, partout dans le monde.
Kevin B. Anderson
Kevin B. Anderson enseigne au département de sociologie de l’université de Californie à Santa Barbara, en collaboration avec les départements de sciences politiques et d’études féministes. Il est l’auteur ou l’éditeur de plusieurs ouvrages, dont le plus récent est The Late Marx’s Revolutionary Roads : Colonialism, Gender, and Indigenous Communism (2025). Il est également rédacteur de The International Marxist-Humanist.
First published at New Politics.
https://links.org.au/after-fall-hope-amid-ruins-post-assad-syria
Traduit avec DeepL.com (version gratuite).
Transmis par D. E. Entre les lignes entre les mots.