Les Palestinien·nes rejettent le plan de nettoyage ethnique de Trump.
Pour les habitant·es de Gaza, l’idée que les États-Unis « possèdent » la bande de Gaza n’est pas seulement absurde, elle marque aussi la dernière itération d’une campagne centenaire visant à effacer l’existence des Palestinien·nes.
Khaled Al-Dawoodi est assis sur le sol d’une pièce bondée de la maison de son voisin, dans le sud de la bande de Gaza, et regarde un écran de télévision granuleux. Un générateur ronronne en arrière-plan et une odeur de kérosène flotte dans l’air. Le journal télévisé diffuse un extrait du président Donald Trump se tenant aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et déclarant : « Nous allons prendre le contrôle de la bande de Gaza. Elle nous appartiendra. »
Al-Dawoodi secoue la tête. Sa maison a été bombardée il y a plusieurs mois par l’armée israélienne et, depuis, il a été contraint de se déplacer d’un abri à l’autre avec sa femme et ses trois enfants. Il laisse échapper un rire sec. « Reprendre Gaza ? Ne l’ont-ils pas déjà fait ? »
Les paroles de Donald Trump, prononcées avec la nonchalance qui le caractérise, ont suscité le choc et l’indignation dans le monde entier. Certain·es considèrent que sa proposition n’est qu’un simple effet de manche. D’autres mettent en garde contre les conséquences plus profondes pour la stabilité régionale. Les groupes de défense des droits des êtres humains estiment qu’il s’agit d’une violation flagrante du droit international.
Pourtant, à Gaza, la plupart des gens ont à peine sourcillé. Quinze mois de bombardements et de siège israéliens incessants ont laissé la bande de Gaza en ruines. La faim est omniprésente. Le système de santé s’est effondré. Même avec le cessez-le-feu, il y a toujours une grave pénurie d’eau potable et de carburant, et il n’y a pas d’issue.
En outre, les Palestinien·nes entendent ce genre de discours depuis des générations : des déclarations de dirigeants israéliens et occidentaux qui considèrent notre terre et nos vies comme quelque chose qui doit être négocié, qui doit nous être enlevé ou qui doit être rayé de la carte. L’idée de « posséder » Gaza n’est pas seulement une déclaration politique absurde, mais représente la dernière itération d’une campagne centenaire visant à effacer l’existence des Palestinien·nes.
D’un point de vue juridique, les propos de M. Trump s’inscrivent dans un contexte plus large de violations du droit international par les États-Unis et Israël. Le transfert forcé d’une population civile est un crime de guerre, tandis que les expert·es juridiques affirment que les actions d’Israël au cours des 15 derniers mois – bombardement de maisons, poussée de la population vers la frontière sud, restriction de l’aide pour imposer une famine – répondent déjà aux critères de nettoyage ethnique et de génocide.
Les États-Unis jouent depuis longtemps un rôle décisif dans le conflit israélo-palestinien en tant que principal soutien d’Israël. Au cours de sa première présidence, Donald Trump a poussé ce soutien à de nouveaux extrêmes : il a déplacé l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, réduit l’aide aux réfugié·es palestinien·nes et reconnu la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan.
Depuis son retour au pouvoir il y a moins de trois semaines, il a levé les sanctions américaines contre les colons israéliens violents, a demandé un milliard de dollars supplémentaires pour les ventes d’armes américaines à Israël et a fait pression pour que les États-Unis cessent définitivement de financer l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), la principale agence d’aide aux réfugié·es palestinien·nes. Aujourd’hui, il annonce une nouvelle Nakba.
Nous sommes toujours là. Dans les rues de Gaza, les Palestinien·nes ont réagi aux propos de Donald Trump avec un mélange de colère, d’épuisement et d’humour noir. Beaucoup de celles et ceux qui ont parlé à +972 y voient une nouvelle preuve que les puissances mondiales considèrent leurs vies comme jetables. D’autres craignent qu’une telle rhétorique n’ouvre la voie à des déplacements encore plus importants.
Mahmoud Al-Shurafa, un pêcheur de 43 ans de la ville de Gaza, s’appuie sur son bateau endommagé et regarde la mer. « Prendre le contrôle de Gaza ? Nous ne pouvons même pas emmener nos bateaux à plus de quelques kilomètres sans nous faire tirer dessus par la marine israélienne » », dit-il. La pêche était autrefois le gagne-pain de sa famille, mais les restrictions imposées par Israël – même avant le 7 octobre – l’ont rendue presque impossible à maintenir. « Ils contrôlent déjà tout : notre eau, notre terre, notre air. Que veulent-ils de plus ? »
Lina Al-Safadi, une étudiante de 21 ans dont les rêves d’études à l’étranger ont été anéantis par la guerre, considère que les propos de Donald Trump renforcent l’idée que les Palestinien·nes n’ont aucune influence sur leur propre destin. « Nous ne sommes pas un bâtiment abandonné dont quelqu’un peut revendiquer la propriété. Nous sommes des personnes. Nous appartenons à cette terre. »
À Rafah, Umm Ayman regarde ses enfants jouer dans la poussière à l’extérieur de leur tente de fortune. Elle a déjà été déplacée trois fois depuis le début de la guerre. « Je suis née réfugiée, et maintenant mes enfants le seront aussi », dit-elle. L’idée d’être forcée de quitter Gaza la terrifie. « Où irions-nous ? L’Égypte ne veut pas de nous. Israël ne veut pas de nous. Trump pense qu’il peut décider de notre sort ? Nous ne partirons pas. »
Pour Abu Saleh, propriétaire d’un magasin, la survie économique est devenue une bataille quotidienne. « Gaza a toujours été en proie à des difficultés, mais aujourd’hui, la crise a atteint son paroxysme », explique-t-il. « Il n’y a pas d’électricité, pas d’approvisionnement, pas d’emplois. Et ils pensent qu’ils peuvent «posséder» Gaza comme s’il s’agissait d’un bien immobilier ? Nous ne sommes pas à vendre. »
Ali Al-Hendi, un journaliste local, voit dans la proposition de Trump l’aboutissement du génocide israélien dans le territoire. « Ce ne sont pas que des paroles en l’air », affirme-t-il. « Cela fait partie d’une stratégie : bombarder Gaza, affamer sa population, la rendre invivable, puis faire comme s’il nous faisait une faveur en la reprenant. Il ne s’agit pas de sécurité. Il s’agit d’effacement ».
Dans un camp de réfugié·es à Khan Younis, un vieil homme nommé Abu Samir est assis à l’extérieur de sa tente et se souvient de la Nakba de 1948, au cours de laquelle environ 750 000 Palestiniens·ne ont été expulsé·es de leurs maisons par les milices sionistes. « J’étais enfant lorsque nous avons été chassé·es de notre village », raconte-t-il. « Nous pensions que c’était temporaire. Aujourd’hui, je suis un vieil homme et nous sommes toujours des réfugié·es. Ils parlent de prendre Gaza comme si nous n’étions rien. Mais nous sommes toujours là. Nous sommes toujours des Palestinien·nes. »
« J’ai déjà tout perdu, mais je ne partirai pas »
Les remarques de M. Trump étaient absurdes et choquantes, mais elles n’étaient pas sans précédent historique. Comme le souligne Mamdouh Jarada, historien et chercheur à Gaza, « l’idée de dépeupler Gaza est à l’ordre du jour d’Israël depuis des années. Nous l’avons vue dans des documents et des discussions politiques. La différence aujourd’hui, c’est qu’un président américain l’exprime à haute voix. »
« Pour quiconque connaît l’histoire palestinienne, ce n’est pas nouveau : c’est une autre version de la Nakba », explique-t-il. « Ce que Trump suggère – supprimer une population entière et reconstruire Gaza sans ses habitant·es – s’inscrit parfaitement dans le projet d’effacement en cours qui a échoué pendant le génocide. »
Pour de nombreuses et nombreux habitants de Gaza, la proposition de Trump reflète une incapacité à comprendre le refus des Palestinien·nes d’abandonner leur patrie à n’importe quel prix. Mohammed Abu Alabed, 44 ans, a perdu sa maison et deux de ses enfants – Ahmed, 6 ans, et Basma, 13 ans – dans les frappes aériennes israéliennes, mais il rejette toujours l’idée de Trump selon laquelle les Palestinien·nes quitteront volontairement Gaza comme une illusion. « J’ai déjà tout perdu, mais je ne partirai pas », affirme-t-il.
« Gaza est ma maison », poursuit M. Alabed. « C’est là que mes enfants et moi-même avons fait nos premiers pas, sommes allés à l’école et avons construit notre vie. Comment pourrais-je abandonner cela ? Aujourd’hui, les tombes de mes enfants se trouvent ici aussi, sur cette terre. Israël a utilisé toutes les méthodes d’oppression contre nous – en bombardant nos maisons, en nous coupant les vivres et l’eau, et en tuant nos proches – mais rien ne nous forcera à quitter Gaza. Ils veulent que nous disparaissions, mais nous ne le ferons pas ».
D’autres, comme Saeed Farahat, un habitant de la ville de Gaza, sont tout simplement indifférents aux dernières remarques dérangées de Trump. « Nous n’avons pas le temps de suivre les nouvelles et les remarques de Trump », dit-il. « La situation à Gaza est désastreuse, la destruction est écrasante, et nous essayons simplement de sauver tout ce qui est encore vivable. Toute déclaration contre Gaza ne signifie plus rien pour nous. Tout a déjà été détruit. »
Cependant, Farahat est fermement opposé à tout plan de déplacement. « Nous n’accepterons jamais le déplacement forcé de la population de Gaza. Israël n’a réussi à imposer aucune de ses ambitions à Gaza, alors comment pourrait-il réussir à enlever toute sa population ? Personne ne l’acceptera ».
Ahmed Awaad, étudiant en médecine de 23 ans à Khan Younis, a passé les derniers mois à travailler bénévolement dans des hôpitaux de fortune au milieu du génocide israélien et a été le témoin direct de la destruction infligée à son peuple. Il rit amèrement à l’idée que Gaza devienne une destination touristique de luxe. « Ils ont bombardé mon université. Ils ont bombardé les hôpitaux, les maisons, tout. Et maintenant, ils veulent construire des hôtels pour les touristes ? C’est du délire. »
« Ils essaient de nous effacer, de prétendre que Gaza peut exister sans les Palestinien·nes », poursuit-il. « Mais nous sommes toujours là et nous ne partirons pas. Nous allons reconstruire, non pas pour les investisseurs ou les touristes, mais pour nous-mêmes, pour notre avenir. »
Depuis ma naissance, ma grand-mère me disait toujours : « En 1948, nous avons été déplacé·es d’Al-Majdal [un village palestinien dépeuplé, situé dans ce qui est aujourd’hui la ville d’Ashkelon, dans le sud d’Israël]. Un jour, nous devrons y retourner », ajoute Awaad. « Ils nous ont déjà volé nos maisons d’origine, et maintenant ils veulent aussi nous effacer de Gaza ? Cette terre est dans notre sang. Si ce n’est pour retourner à Al-Majdal, je ne quitterai jamais Gaza ».
Raji Sourani, avocat spécialisé dans les droits des êtres humains et directeur du Centre palestinien pour les droits des êtres humains à Gaza, ne mâche pas ses mots lorsqu’il réagit aux propos de M. Trump. « Ce que Trump suggère est une violation flagrante du droit international. »
« L’idée de « prendre le contrôle » de Gaza et de déplacer sa population est un exemple classique de nettoyage ethnique, interdit par les conventions de Genève » explique M. Sourani. « Elle va également à l’encontre du principe d’autodétermination, pierre angulaire du droit international qui garantit aux peuples le droit de se gouverner eux-mêmes et de rester sur leurs terres. »
M. Sourani souligne que les propos du président ne sont pas seulement incendiaires, ils sont dangereux. « Lorsqu’un dirigeant mondial, en particulier d’un pays comme les États-Unis, fait ce genre de déclaration, il envoie le signal que les déplacements forcés sont acceptables. Cela enhardit celles et ceux qui cherchent à effacer la présence et les droits des Palestinien·nes », affirme-t-il. « Cela indique également au monde que les nations puissantes peuvent redessiner les frontières et déplacer les gens à leur guise. Ce n’est pas seulement une menace pour les Palestinien·nes, c’est une menace pour la stabilité mondiale ».
Il note qu’historiquement, « ce type de langage a été utilisé pour justifier les prises de contrôle coloniales et les occupations militaires. Le fait qu’il soit utilisé aujourd’hui montre à quel point nous nous sommes éloigné·es de toute prétention à ce que [les États-Unis] soutiennent une paix juste et durable ».
D’un point de vue géopolitique, les remarques de Trump pourraient déstabiliser davantage une région déjà volatile. « Cette déclaration donne essentiellement le feu vert aux actions d’Israël à Gaza », explique Omar Shaban, un analyste politique basé à Gaza. Elle renforce l’idée que Gaza est un « problème » qui doit être résolu par la force plutôt que par le dialogue. Elle sape également ce qui reste de la crédibilité des États-Unis en tant qu’intermédiaire neutre dans le conflit israélo-palestinien. Si les États-Unis sont perçus comme approuvant la prise de contrôle du territoire palestinien, ils s’aliéneront leurs alliés arabes et alimenteront le sentiment anti-américain dans toute la région ».
Reham Owda, une analyste politique de Gaza qui étudie actuellement en Malaisie, décrit la proposition de Trump comme « plus une proposition commerciale de quelqu’un qui a des ambitions immobilières à Gaza qu’une déclaration politique d’un chef d’État cherchant une résolution juste du conflit israélo-palestinien » Elle ajoute que si M Trump souhaite réellement déplacer les habitant·es de Gaza afin de reconstruire l’enclave, « la solution logique serait alors de les déplacer temporairement vers les vastes terres de la Cisjordanie – plutôt que de permettre à Israël de continuer à y étendre ses colonies ».
Pour M. Sourani, la communauté internationale est désormais confrontée à un choix simple : permettre l’effacement des droits des Palestinien·nes ou défendre la justice. « Le silence est synonyme de complicité », souligne-t-il. « Le monde doit décider s’il permet à ce type de rhétorique de devenir réalité ou s’il se bat pour un avenir où tout le monde, y compris les Palestinien·nes, peut vivre dans la liberté et la paix. »
Pour l’heure, les habitant·es de Gaza continuent de résister par leur présence même sur leur terre. « Nous sommes toujours là », déclare Ahmed, l’étudiant en médecine, d’une voix ferme. « Et nous n’irons nulle part. »
Ibtisam Mahdi a également contribué à cet article.
Mahmoud Mushtaha
Mahmoud Mushtaha est journaliste et militant des droits des êtres humains à Gaza. Il poursuit actuellement une maîtrise en communication et médias mondiaux à l’université de Leicester, au Royaume-Uni. Il a récemment publié son premier livre en espagnol, « Sobrevivir al genocidio en Gaza ».
https://www.972mag.com/gaza-trump-ethnic-cleansing-refusal/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)