Crise de régime, crise de la 5e République, dissolution, motion de censure, démission du gouvernement et/ou du président. C’est dans ce contexte que se profilent les élections municipales se profilent. Et à cette occasion, il y a un impératif : changer de politique, changer la ville et donner une perspective mobilisatrice à la fois unitaire et transformatrice. Peut-on se contenter de réclamer l’unité, des listes unitaires ? C’est effectivement une bataille centrale, mais il faut également un projet. La lecture d’un article venu d’Espagne (Alicia Muñoz Sánchez, Apuntes para soñar en colectivo: el modelo municipal) et publier sur le site Trasversales me semble tracer quelques pistes de réflexion. Ce n’est évidemment pas à prendre au pied de la lettre mais… P.S.
[…] Des concepts émergent que nous n’avons pas abordés auparavant ou que nous avions oubliés depuis longtemps, et ils acquièrent une nouvelle force pour donner un sens aux débats qui émergent, pour les remplir d’un potentiel révolutionnaire.
L’un de ces concepts est le municipalisme. Cependant, dans certaines localités, cela fait plus de dix ans que ce mot d’origine libertaire a resurgi pour donner un sens à une nouvelle réalité : la conquête du droit à la ville. Henri Lefebvre [1] définit ce droit comme le droit de chacun à créer des villes qui répondent aux besoins humains. Le droit à la ville ne se réfère pas seulement à tout ce qui se trouve déjà à l’intérieur de la ville, mais aussi, selon David Harvey [2], à sa transformation.
Les banques alimentaires, les plateformes contre les expulsions, l’organisation de familles pour occuper [squat], les actions pour marquer les maisons vides en vue d’une éventuelle occupation, les groupes de consommateurs, les activités organisées dans les centres sociaux autogérés, ou encore la famille qui met sa résidence secondaire à la disposition de tous ceux qui en ont besoin, la voisine qui s’occupe de nos filles ou de nos grands-mères pour que nous puissions aller travailler, ou les voisins qui choisissent de faire leurs courses dans les magasins du quartier […]]. Ce sont tous des exemples de municipalisme, de communautés qui s’organisent de manière solidaire pour répondre aux besoins de leurs membres sans attendre que leur conseil [municipal] le fasse.
Mais cela ne garantit pas que les besoins de chacun seront satisfaits. S’il y a une chose qui justifie l’existence d’un État et son administration au niveau local, c’est bien d’être le garant des droits et de veiller sur tous les citoyens. Si nous supposons un contrat social, c’est pour que le bien-être commun et le développement des droits publics ne dépendent pas du travail bénévole des voisins, qui n’ont généralement pas la capacité de financer ces activités.
Il est donc temps d’institutionnaliser ce qui se passe déjà dans les rues : faire du municipalisme une force de changement institutionnel. Ne nous affolons pas, cette expérience n’est pas nouvelle. Dans tout le pays, de la Marinaleda du collectif andalou d’unité ouvrière aux candidatures catalanes d’unité populaire, il y a des exemples de municipalités dont le modèle de gestion augmente universellement la participation des habitants [j’ajouterai l’expérience de Porto Alegre au Brésil]. Sans parler des précédents : le processus constituant initié lors des élections municipales de 1931, ou le mouvement cantonaliste et la Commune libre sont des exemples clairs dans notre histoire démocratique. L’idée a toujours été aussi simple que révolutionnaire : l’autogestion et la radicalisation démocratique par le bas, à partir de la base. La participation de tous à la définition du modèle de ville dans lequel nous voulons vivre. Ni plus ni moins que des femmes et des hommes libres qui décident de s’organiser.
Est-ce le retour des hommes et des femmes en tant qu’animaux politiques ? Nous avons des villes [où] la capacité de leurs habitants à y faire de la politique a été détournée par divers mécanismes tels que la subordination des économies publiques aux cycles du capitalisme – visible dans nos villes sous la forme de projets de développement urbain -, la corruption et la marchandisation des droits publics, l’esclavage par la dette, les réglementations qui transforment la participation des quartiers en une pantomime et les lois qui dépouillent de ses pouvoirs l’administration la plus proche des citoyens.
Les villes, comme tout produit de l’organisation sociale, sont construites selon le modèle dominant. Et la ville qui est le fruit du capitalisme patriarcal n’est pas accueillante et ne permet pas le bien-être de tous ses habitants, mais perpétue les structures d’inégalité. […]
C’est là qu’apparaît le premier besoin que nous voulons résoudre par le biais du municipalisme : définir ce qu’est une ville et quel est son objectif. La ville est aujourd’hui un ensemble de blocs de béton dans lesquels vivent des consommateurs qui sont essentiellement liés par des relations commerciales ou professionnelles. Mais nous n’avons pas rassemblé des centaines, des milliers ou des millions d’êtres dans un même espace pour vivre dans la solitude, pour être exploités dans un travail, pour flâner dans les centres commerciaux pendant le temps libre dont nous disposons et pour mourir dans la solitude. Cette vie vaut la peine d’être vécue par de moins en moins de personnes. En ce qui concerne la définition, je propose pour le débat de partir de la définition [suivante]: la ville est un écosystème de coopération communautaire. Quant au but, à la mission de la ville, prenons la définition de Lefebvre : satisfaire les besoins humains. La manière de les satisfaire dans le système marchand consiste à commercialiser ces besoins sous forme de services. Comment y répondre d’un point de vue municipaliste ? La ville doit être la base du développement d’une communauté solidaire, dans laquelle tous ses membres prennent soin les uns des autres, se protègent mutuellement et tentent de réaliser le bonheur collectif à partir de la dignité individuelle.
La tâche de chaque voisin est de décider, par une délibération collective, des caractéristiques de la ville dans laquelle nous pouvons tous être heureux. Fixons un cadre inébranlable de lignes rouges pour ce débat et commençons à les tracer. Je propose ce qui suit. Nous devons penser à une vie digne d’être vécue par chacun. Il faut mettre fin à toutes les formes d’oppression pour décider librement et universellement. Personne ne doit être exclu de la prise de décision concernant la transformation de la ville, ni de la possibilité d’y atteindre le bonheur et le bien-être [4]. En outre, la solidarité entre les peuples devrait être un principe fondamental. La nécessité d’une responsabilité collective en matière de soins doit également être assumée.
L’Observatoire métropolitain [5] a déjà avancé quelques premières notes pour un Manifeste municipaliste, qui comprend les mesures suivantes : audit de la dette, récupération des biens publics et communs expropriés, dénonciation de la collusion de l’ancienne classe politique avec les oligarchies municipales, séances plénières ouvertes, transparence totale et publicité de toutes les décisions, contrôle des élus, mise en place de mécanismes de prise de décision directe dans les principaux domaines de compétence des municipalités, reconnaissance légale et garantie des biens communs publics, développement d’un tissu d’entreprises municipales gérées de manière coopérative et sous contrôle citoyen, promotion d’espaces d’autogestion et création de médias communautaires sans tutelle ni contrôle politique.
À ces propositions, j’aimerais ajouter ce qui suit.
L’organisation de la ville doit garantir à tous un logement décent à un prix abordable. Il n’y aura pas d’expulsion pour défaut de paiement d’un logement privé sans solution de relogement, ni pour les familles avec enfants mineurs ou personnes dépendantes.
La ville est une intrusion humaine dans un écosystème naturel qu’elle doit respecter, et développer ses activités productives et économiques en harmonie avec lui. L’aménagement urbain favorisera la mobilité non polluante et l’utilisation des transports publics.
Le travail ne doit pas nécessairement être digne, mais il doit toujours l’être. La ville doit le garantir et peut promouvoir les secteurs qui apportent une réelle valeur écologique et sociale. Rentabiliser l’agriculture qui approvisionne la ville – par exemple avec des incitations pour les entreprises qui s’engagent dans la production locale -, favoriser le commerce de proximité par rapport aux grandes surfaces, professionnaliser les soins, promouvoir des industries comme la fabrication de panneaux solaires ou soutenir les laboratoires qui développent des remèdes à nos maladies sont autant d’idées qui peuvent transformer la ville et enrichir la vie de ses travailleurs.
Mais il n’y a pas que la production et les services qui sont du travail. Le travail reproductif est fondamental pour assurer l’avenir de la société et n’a jamais été évalué à sa juste valeur. Le modèle municipal doit comprendre le travail qu’elles impliquent et faciliter au maximum leur conciliation avec d’autres activités. La mise en place de subventions pour l’éducation des enfants et de crèches publiques en nombre suffisant et à un prix social ne serait qu’un bon début.
La ville doit également promouvoir le droit à la culture, à une culture libre et non consumériste à laquelle tous les citoyens ont accès.
Nous voulons des villes diversifiées et accessibles. Nous avons besoin de villes dans lesquelles personne, pour quelque raison que ce soit, n’est exclu ou ne peut jouir de la sécurité. La ville doit être accessible et diversifiée. L’accès des personnes présentant une diversité fonctionnelle à toutes les informations et à tous les espaces publics doit être garanti.
Il est impératif que l’aménagement urbain réponde à ce besoin, mais aussi qu’il garantisse qu’aucune femme ne se sente en danger lorsqu’elle se promène seule.
Nous devons changer radicalement les processus de gentrification que connaissent nos villes et le modèle qui distribue le travail de manière inégale entre les territoires.
Un autre enjeu municipal clé devrait être de récupérer les places, les parcs et les rues en tant qu’espaces de socialisation, de rencontre et de jeu. Nous voulons des places avec de l’ombre, des fontaines et des bancs pour s’asseoir et parler, flâner et débattre en assemblée, et non de grands espaces de béton lisses et ouverts, préparés pour accueillir des événements publicitaires de grandes entreprises ou des patinoires.
Toutes les approches rassemblées et présentées ici sont des idées à débattre par une ou plusieurs personnes, mais dans la construction municipaliste, personne ne peut être absent. Portons le débat sur les places, dans les assemblées et sur les lieux de travail. Rêvons ensemble de la ville dans laquelle tous les gens pourraient être heureux et prenons en charge les institutions pour en faire une réalité.
Notes
1. Lefebvre (Henr), Le droit à la ville. 1968.
2. Harvey (David), Villes rebelles : le droit de la ville à la révolution urbaine, Akal, 2013.
3. Capellín (María José), Seminario por una Ley Vasca de Atención a la Dependencia, Bilbao, 2005.
4. Inspirée par les lignes établies par Pérez Orozco, Amaia. Subversión feminista de la economía. Aportes para un debate sobre el conflicto capital-vida, Traficantes de Sueños, 2014.
5. Observatorio Metropolitano, La apuesta municipalista : La democracia empieza por lo cercano, Traficantes de Sueños, 2014.
Alicia Muñoz Sánchez, Apuntes para soñar en colectivo: el modelo municipal)