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A propos du « Parrain rouge », livre sur Pierre Lambert.

par JACQUES KIRSNER.

Consacré à Pierre Lambert, le livre de François Bazin est de bonne facture. Il a travaillé sérieusement : consulté les archives, les textes, rencontré de très nombreux témoins… sauf ceux qui, comme Glukstein, ont refusé. C’est un travail honnête, de surcroît talentueux. Il ne règle pas de compte, et même au fil de la plume, manifeste une certaine estime pour son personnage. Bref, une biographie réussie…

Lorsqu’il est venu me voir, je lui ai conseillé l’excellent travail de Pierre Salvaing (1). Comme Vincent Présumey, Pierre fut un dirigeant de l’OCI, puis animateur du groupe de Stéphane Just jusqu’à sa mort et même après… Il est naturellement marqué comme chacun d’entre nous par cette histoire. Ce n’est pas le cas de l’ancien rédacteur en chef du Nouvel Observateur qui a entrepris de raconter la saga militante d’une génération dans les pas de Lambert. Le plus souvent, les journalistes se moquent, dénigrent les organisations de la IVe Internationale.

Au contraire, François Bazin a essayé de « suivre » sans a priori la trajectoire de Lambert. Pierre Salvaing, Vincent Presumey qui critiquent le travail procèdent d’un autre point de vue à partir de leur vécu militant.
C’est le point de vue d’anciens trotskystes n’ayant pas renoncé à penser le socialisme. François Bazin ne se situe pas sur ce terrain. Il a fait un très bon travail en racontant la trajectoire du jeune Lambert rejoignant les rangs – déjà divisés – de la IVe Internationale se hissant progressivement à la tête du groupe portant son nom sans oublier de relier cette histoire… à la situation internationale.

Rappelons les grandes lignes du « pronostic » politique de Trotsky à la veille de son assassinat …
De la guerre naitront des révolutions qui modifieront l’ordre mondial au profit du prolétariat. – La bureaucratie stalinienne sera chassée en URSS par la classe ouvrière, la révolution politique restaurera les conditions du socialisme.

Rien de tel n’a eu lieu.
C’est l’impérialisme américain et… Staline qui sont sortis victorieux de la guerre, le système capitaliste conforté, les incendies révolutionnaires étouffés.
C’est dans ces conditions autrement moins favorables que Lambert et les autres militants entreprirent de résister et construire. Pour faire court, disons que le mouvement trotskyste français dans sa globalité, sa diversité, n’est jamais parvenu à se rassembler pour former un parti démocratique comme section du parti mondial de la Révolution.

« La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». (Programme de Transition) Répété à satiété la « crise de la direction révolutionnaire » n’a jamais été surmonté positivement. Le « national troskysme » l’a emporté. Lorsque je travaillais à Cuba, j’ai rencontré le grand écrivain Padura, l’auteur de « L’homme qui aimait les chiens ». Je croyais qu’il avait une culture trotskyste. Pas du tout. Il m’expliqua qu’il avait travaillé plus de deux ans à lire, essayé de comprendre les œuvres de Trotsky et les textes des organisations, leurs discussions, leurs divergences, la ronde des scissions. Il me rappela le départ de la IVe de la femme de Trotsky… jugeant les espoirs de son mari caducs. J’avais oublié cet évènement qui n’est pas anecdotique…

Vincent et Pierre insistent sur l’importance du combat international de P. Lambert. C’est très discutable : ni lui, ni les dirigeants anglais, argentins, américains, boliviens, belges and co n’avaient la conception d’un parti mondial de la révolution. Chacun traitait pour son… propre pays. Dans les années 60, avec Claude et Xavier, j’ai participé à la commission jeune franco-anglaise à l’époque des amours – déjà difficiles – entre l’OCI et la SLL. Chacun d’entre nous avait pour mandat de proposer des initiatives communes mais sans jamais mettre en discussion l’orientation politique… dans notre propres pays…

Comment expliquer la dégénérescence politique de Lambert et de l’organisation ?
D’abord avant tout, répétons-le, l’absence de démocratie, de débat démocratique. Des échanges existaient au BP, presque jamais au CC mais même dans ces instances, la discussion était encadrée par un non-dit qui nous liait tous : attention de ne pas faire éclater la maison. Le passé du mouvement fait de divisions, scissions pesait sur nous.

Souvent Lambert rappelait ce danger. Puis la corruption politique et organisationnelle, financière, s’est progressivement développée. La création d’un corps de permanents, à l’initiative de Lambert, a joué un rôle majeur. Au Comté central, ne siégeaient, à part Broué et Stéphane Just, que des « professionnels ». La défense « de l’emploi » jouait un rôle majeur… De même, l’affirmation « la crise conjointe de l’impérialisme et la bureaucratie du Kremlin » écrasait politiquement l’organisation : la « rapidité » des processus annoncés qui allait conduire à la révolution comme une certitude, pesait sur l’activité militante, au premier chef sur la direction qui, selon Lambert, « oscillait » en permanence puisque la plupart des objectifs n’étaient pas atteints… La révolution s’annonçait et nous risquions de ne pas être prêt ! Le parti des « 10.000 » devait absolument voir le jour…. Le diagnostic théorique était totalement faux : nous avons été des révolutionnaires… sans révolution.

La démocratie n’est pas une décoration, une nécessité parmi d’autres : c’est le cœur vivant d’une organisation, l’organe essentiel. Ce n’est pas par hasard que les acquis théoriques de Rosa Luxembourg sur cette question étaient écartés. Par contre, la religion de « l’organisation » pour appliquer la méthode « objectif – résultat » portée au pinacle, a étouffé réflexion et discussion. La course, l’activisme pour atteindre les objectifs, ont épuisé les militants. L’intérêt du livre de Bazin, comme des textes de Pierre et Vincent, permet d’avancer dans l’analyse de l’OCI à cette période. Et puis nous disposons maintenant du recul nécessaire pour réfléchir à ces problèmes, sans polémiques inutiles.

Plus l’organisation s’est développée et plus Lambert s’est rapproché de l’appareil confédéral de FO jusqu’à devenir l’un de ses « rouages ». Soit la fin du combat antibureaucratique au profit des manœuvres syndicales. L’explosion de la FEN provoquée notamment par le passage des militants OCI à FO puis la rupture, le départ des cadres étudiants chez Mitterrand apportant au Parti Socialiste, l’UNEF, sont les évènements majeurs qui marquent le début de la fin de l’OCI… Les trotskystes n’interviennent plus dans les syndicats en fraction politique, défendant les intérêts des salariés mais comme groupe de pression sur et… avec l’appareil. Enfin, ceci explique cela, Lambert liquide le travail politique dans la jeunesse (l’AJS, l’AER) au profit de l’UNEF.

Mais dans le livre sur Lambert comme tous ceux publiés sur l’OCI, manque un élément international majeur : la création du PT algérien par Louisa Hanoune en étroite collaboration avec Lambert. Ce parti est d’emblée conçu, construit en lien direct avec les sommets du FLN et de l’UGTA, c’est-à-dire du président Bouteflika ! Le groupe parlementaire du PTA était « élu »… dans le bureau… du ministre de l’Intérieur algérien ! Cette opération politicienne pourrie concentre la dégénérescence2 de l’activité de Lambert (2).
Évidemment, cela s’est fait en collaboration étroite avec la direction de FO.
À de nombreuses reprises, l’OCI et le Parti Algérien ont à Alger, organisé des « conférences internationales », saluées par les dirigeants du FLN et de l’UGTA…

Les jours de fête et les dimanches, Lambert affirmait une politique « trotskyste » pour, en semaine, pratiquer une politique néo réformiste. Il suffit d’évoquer sa candidature à l’élection présidentielle… François Bazin rappelle que cette candidature a pour objectif de protéger Lambert des fourches de la justice dans une « affaire » qui a éclaté à la Sécurité Sociale… Plus l’OCI recrutait, du moins sur le papier, moins il rassemblait des électeurs…

Pierre Lambert avait évidemment du talent. Au bout du bout, il a été le « Guy Mollet » du trotskysme. Une catastrophe humaine, politique, militante…

Après sa mort, l’OCI a rapidement éclaté en deux formations, chacune se réclamant du « Lambertisme » ! L’OCI « canal historique » a rallié les Insoumis, plus précisément JL Mélenchon, abandonnant toute activité politique indépendante, toute critique théorique, par exemple sur « l’agonie de la Ve République » annoncée depuis… 1968 ! Il faut dire que Dan, Shapira, Schiappa n’ont jamais brillé par leurs lumières théoriques. Du côté du PT animé par Glukstein, on a repris l’activisme et la méthode « d’objectif – résultats ». Bon courage.

En somme, le livre sur Lambert permet de réfléchir au passé en nous interrogeant sur l’actualité pour la construction d’un parti révolutionnaire, d’une Internationale ? À dire vrai, je confesse que je ne crois plus, depuis longtemps au concept même de Parti Révolutionnaire. Le siècle nouveau appelle d’autres réponses. Il faut réfléchir aux problèmes politiques que les militants doivent aborder : comment lier la lutte de masses contre les multinationales pour sauver l’humanité de la crise écologique ? Comment aborder la lutte contre les guerres impérialistes ? Et comment définir avec les salariés un programme d’urgence sociale ? Et le couple démocratie – liberté ?

Nous vivons une nouvelle phase du néo-libéralisme. Aux États-Unis, en Argentine, Hongrie, Russie, Israël, Italie, c’est l’ère des gouvernements dictatoriaux plus ou moins affirmés, penchant souvent vers un fascisme new look. Le ministre de la défense vient de publier un livre titre : « Vers la guerre ». Pour l’heure, la classe ouvrière recule, la jeunesse est entrainée par la société de consommation…

Les plus récentes découvertes sont mises en œuvre par le Capital pour « gagner la guerre économique ». L’IA va amplifier l’offensive contre la classe ouvrière internationale mais aussi d’intellectuels, « moderniser » l’utilisation des armes (3) de destruction massive… Trump va mettre en œuvre son programme : protéger son marché par tous les moyens, expulser en masse les « étrangers », porter atteinte aux libertés, tout mettre en œuvre pour faire exploser l’Europe, rester « l’Arsenal » du monde et bien sûr, réorganiser son dispositif militaire international contre la Chine. Pour la première fois aux États-Unis, des grands capitalistes se retrouvent au gouvernement ! Dans l’automobile, les ports de la côte Ouest, chez Boeing, de grandes grèves ont éclaté. Les salariés n’ont pas gagné, mais… ils n’ont pas perdu. C’est nouveau.

La mobilisation, la lutte des classes va-t-elle se poursuivre, s’amplifier ? Nul ne le sait. Les articles édités dans la revue « l’Adresse » notamment sur les États-Unis donnent à réfléchir. Espérons que les rédacteurs trouveront des correspondants dans les principaux pays européens pour nous aider à élargir le champ de la discussion politique.

Crises politiques en France, Pologne, en Belgique, éclatement du gouvernement allemand, révolte du peuple en Catalogne face à l’incurie des gouvernements. La crise des sommets est indiscutable. «L’aggravation plus qu’à l’ordinaire de la misère et de la détresse des classes opprimées » et « l’accentuation de l’activité des masses » caractérisent selon Lénine une situation révolutionnaire. Nous n’y sommes pas. Nous en sommes loin. Espérons que nos discussions permettront d’avancer.

Jacques Kirsner, 14/11/2024.

(1) Pierre que j’ai connu plus inspiré caractérise le journaliste de « petit bourgeois ». Sans doute
Pierre fait-il allusion à sa position « prolétarienne »…

(2) Décidément l’Algérie n’a jamais réussi à Lambert…

(3) Israël utilise l’IA pour définir les objectifs à bombarder à Gaza et au Liban…