Idées et Sociétés

Liberté sans aucune condition ni réserve pour Boualem Sansal ! 

par Robert Duguet, animateur du réseau Samizdat 2, la voix de l’opposition russe, membre de la Ligue des Droits de l’Homme.

« Jouant les ingénus le père de Candide,

Le génial Voltaire, en substance écrivit

Qu’il souffrait volontiers – complaisance splendide –

Que l’on ne se conformât point à son avis :

« Vous proférez, Monsieur, des sottises énormes,

Mais jusqu’à la mort, je me battrai pour qu’on

Vous les laissât tenir. Attendez-moi sous l’orme ! » (1)

Je ne résiste pas au plaisir de citer ces quelques vers d’une chanson posthume de ce cher Brassens, qu’il n’a pas eu loisir d’interpréter puisque la Camarde nous l’a arraché à l’âge de 60 ans. Ils reprennent ce principe fondamental de la philosophie des Lumières exprimé par Voltaire qui inspira la génération qui a fait 1789. Il faut le rappeler avec force dans une période où le régime poutinien désigne la cible à détruire, la Révolution française et ses valeurs. Liberté absolue de pensée, donc droit d’écrire ou d’utiliser par toute autre forme artistique ce que l’on pense face au régime bonapartiste algérien, soumis aux pressions de l’islamisme radical, qui n’accepte pas la critique et la mise en cause de sa propre histoire. Toutes les révolutions du XXème siècle ont été trahies : quand le colonel Boumediene prend en main l’Algérie, commence une contre-révolution. 

Mais nous sommes dans une période, où, semble-t-il, ceux et celles qui représentent la gauche ont du mal à se décrasser de l’héritage du stalinisme, de la prison hexagonale de la Vème République et de revenir aux principes. Rosa Luxemburg aimait à dire : « la liberté, c’est d’abord la liberté de celui qui pense autrement ». J’appartiens à une culture politique qui est dans cette continuité : lorsque les militants de ma génération combattaient dans les années 1968-1981 pour la liberté à l’Est comme à l’Ouest, nous avons fait une campagne internationale pour sauver l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne. Dans un texte intitulé « les droits de l’écrivain », lettres adressées à l’Union des Ecrivains Soviétique, il revendiquait son droit de critique absolu du régime. Et pourtant, nous savions fort bien que Soljénitsyne écrivait déjà que Staline était déjà dans Lénine, Lénine dans Marx, et Marx dans la Révolution Française, laquelle est responsable de tous les malheurs du monde. Soljenitsyne a fini dans le retour à la sainte Russie des tsars et des popes. Gageons que s’il vivait aujourd’hui avec les popes qui bénissent les avions partant bombarder l’Ukraine, il ferait la paire avec Poutine ; l’ex-officier du KGB. Le sommeil de la raison engendre toujours les monstres. C’est ainsi. Et pourtant à l’époque il fallait sauver Soljenitsyne parce, au-delà des convictions de l’homme, nous défendions la première des libertés fondamentales, penser et écrire, contre le monstrueux régime stalinien et son goulag. C’était en URSS le temps du Samizdat 1.

Rappelons les faits : Boualem Sansal est propriétaire d’une maison à Boumerdès, dans les environs d’Alger. Régulièrement il fait des allers-retours entre la France et l’Algérie, sans avoir été inquiété depuis des années par le gouvernement algérien. Suite à un entretien accordé au média français Frontières proche de l’extrême droite, il reprend une revendication de l’Etat marocain qui considère qu’une partie de son territoire a été séparé du Maroc sous la colonisation française. Ce qui est la stricte vérité. Par ailleurs les indépendantistes algériens s’étaient prononcés en 1950, selon Sansal, pour rendre ces territoires à l’Etat marocain. Exact ! Il quitte Perpignan le 16 novembre et à son arrivée à l’aéroport d’Alger, il est arrêté et interrogé par la sécurité algérienne. Il est accusé d’« atteinte à l’intégrité et à l’unité nationale et aux institutions de l’État ». En « droit » algérien c’est un acte de « terrorisme » qui peut entrainer une condamnation à perpétuité. L’affaire Sansal n’est pas unique, elle met en lumière qu’actuellement 228 détenus pour délit d’opinion, journalistes, manifestants ou citoyens qui échangeaient leurs critiques sur les réseaux sociaux, sont actuellement en prison pour la même raison. 

Je découvre un article du Matin d’Algérie, du mercredi 4 décembre dénonçant un véritable lynchage médiatique contre l’écrivain. Ce média numérique francophone a été fondé le 19 septembre 1991 par des journalistes du PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste, scission d’Alger républicain). Trois de ses journalistes furent assassinés lorsque le FIS était au pouvoir. La journaliste Samia Naït Iqbal rappelle les propos de l’ancien garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, que dans un Etat de droit, fondé sur la séparation des pouvoirs : « La justice ne se rend pas dans la rue, ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias et l’honneur des hommes pas plus aujourd’hui qu’hier ne mérite d’être jeté aux chiens ». Ce que fait le pouvoir algérien. Ne reculant devant rien, la chaine Ennahar TV, fait parler les habitants de son village natal pour salir la mémoire de ses parents et grands-parents. L’enquête de Médiapart fait allusion de son côté au fait que sa famille faisait partie des partisans de Messali Hadj, véritable père du nationalisme algérien. C’est une allusion, mais le journaliste ne développe pas. On va le faire à sa place. Osons rappeler que le parti majoritaire de la gauche française, le PCF et un certain nombre d’intellectuels du type Sartre-Janson a soutenu, avec d’ailleurs une aile de la hiérarchie catholique, la fraction qui dirigeait le FLN et ses méthodes. Dans le combat armé pour l’indépendance de l’Algérie, le FLN a fait massacrer les maquis messalistes. Les messalistes c’était le prolétariat et les petits paysans. Messali était partisan de l’action de masse, des manifestations pour le triomphe des libertés démocratiques, de la grève générale insurrectionnelle. Une des formations qu’il a créées s’appelait le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Faut-il rappeler que le PCF a condamné l’insurrection de la Toussaint 1954. Faut-il rappeler que François Mitterand, garde de sceaux pendant la guerre d’Algérie a, d’une part refusé l’abolition de la peine capitale et autorisé les exécutions d’une cinquantaine de nationalistes algériens. 

Le droit d’inventaire n’est pas de mise à gauche. Les uns sont silencieux en regardant leurs godasses. D’autres disent, certes cela n’est pas acceptable que cet écrivain soit en prison, mais … (tout est dans le mais et les trois points de suspension), quand même… ses positions politiques personnelles sont contestables. Autrement dit, c’est le cas de Médiapart : ils se donnent tous les moyens de ne pas engager de campagne. Ce serait l’honneur de la gauche de renouer avec sa tradition de défense des droits de l’Homme, avec laquelle elle a rompu depuis qu’elle a pris en charge les institutions de la Vème République, et ce dès l’année 1982 et suivantes. Ils s’opposent en fait au combat pour la libération de Boualem Sansal, au nom d’une argumentation sur l’évolution et les prises de position du citoyen, proche à Perpignan du courant inspiré par son ancien maire de droite, Jean Marc Pujol. C’est de bonne guerre, la gauche n’est plus la gauche, alors les « algérianistes » utilisent Sansal pour défendre l’œuvre civilisatrice de la France en Algérie, gommant au passage le système colonial, dans une ville où il y a une forte implantation depuis la fin de la guerre des nostalgiques de l’Algérie française.

Quand la gauche n’est plus elle-même, alors, dans la question sociale comme dans celle des droits de l’Homme, c’est l’extrême droite qui est aux portes du pouvoir. On y est !

Nous soulignons la position prise par Gallimard, éditant Sansal depuis Le Serment des barbares il y a 25 ans, appelant et s’engageant pour la libération immédiate de l’écrivain. L’éditeur de l’œuvre littéraire de Boualem Sansal depuis la parution du Serment des barbares il y a vingt-cinq ans, exprime sa très vive inquiétude à la suite de l’arrestation de l’écrivain par les services de sécurité algériens et appelle à la libération immédiate de l’écrivain. L’éditeur écrit :

« Voilà que la littérature se trouve être à nouveau la victime toute désignée des régimes autoritaires, qui font toujours du mensonge et de l’oubli un instrument d’oppression. Réunis il y a quelques jours au siège de nos Éditions dans la joie de l’attribution du prix Goncourt à Houris, les deux amis Boualem Sansal et Kamel Daoud paient aujourd’hui très cher leur liberté d’écrivains. »

Liberté sans aucune condition ni réserve pour Boualem Sansal !

(1) Texte posthume de Georges Brassens, Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons ! Poèmes et chansons de Georges Brassens, Editions musicales 57, 1987.