Isaak I. Roubine : Essais sur la théorie de la valeur de Marx
Je voudrais signaler en premier lieu, que ce livre est relativement facile d’accès. Il nous dévoile un peu de la richesse des recherches marxistes dans les années révolutionnaires du vingtième siècle. La nuit stalinienne provoquera, au delà des crimes, l’effondrement de la recherche et de la pensée.
Ma présentation, très partielle, est forcement subjective, en essayant de souligner quelques éléments, qui me semble au centre de la nécessité de venir ou de revenir à la critique de l’économie politique, contre les réductions économiques. Une invitation à découvrir les thèses de ce livre.
Isaak Roubine commence par nous rappeler que « la théorie marxienne du fétichisme de la marchandise n’a jamais occupé la place qui lui revenait dans le système économique marxiste.»
L’auteur explicite cette théorie « Marx a vu des rapports entre les hommes sous les rapports entre les choses et il a révélé l’illusion de la conscience humaine qui prend sa source dans l’économie marchande et qui attribue aux choses des caractéristiques qui ont leur origine dans les rapports sociaux dans lesquels entrent les hommes au cours du procès de production », ou pour le dire autrement « les rapports sociaux de production prennent inévitablement la forme de rapport entre les choses et ne peuvent être exprimés autrement qu’au travers de choses » dans ce mode de production, particulier et historiquement déterminé (le capitalisme).
Au de la critique de l’économie politique, cette présentation devrait inciter à réfléchir sur les problématiques de dénonciation, de dévoilement ou de conscience. Sur ce sujet, je rappelle l’ouvrage d’Antoine Artous (Le fétichisme chez Marx – Le marxisme comme théorie critique, Editions Syllepse, Paris 2006).
Isaak Roubine analyse la base objective du fétichisme de la marchandise, le mouvement de réification des rapports de production, la personnification des choses et leurs caractéristiques sociales particulières, les rapports de production et les catégories matérielles. Le chapitre 4 « L’objet et sa fonction (ou forme sociale) » me parait particulièrement important. Pour l’auteur, l’objectif de Marx était de « découvrir les lois de l’origine et du développement des formes sociales que revêt le procès de production matériel-technique à un niveau donné de développement des forces productives ».
La nouveauté de « la formulation méthodologique » est de ne pas confondre les conditions matérielles servant de base avec les différentes formes socio-économiques. « Les catégories économiques expriment donc les différents rapports de production entre les hommes et les fonctions sociales qui leur correspondent, ou la forme socio-économique des objets. Ces fonctions ou ces formes ont un caractère social parce qu’elles sont inhérentes non aux objets en tant que tels, mais aux objets en tant qu’ils appartiennent à un cadre social défini, en l’occurrence aux objets par lesquels les hommes entrent dans des rapport de production mutuels déterminés. »
La seconde partie du livre traite de la « théorie marxienne de la valeur-travail »
« Dans la société marchande-capitaliste, les rapports que nouent les hommes à l’occasion de l’activité de production acquièrent la forme de la valeur des objets et ne peuvent apparaître que sous cette forme matérielle. Le point de départ de la recherche n’est plus alors la valeur, mais le travail ; ce n’est plus les transactions de l’échange marchand en tant que tel, mais la structure de production de la société marchande, l’ensemble des rapports de production entre les hommes. »
L’auteur va montrer que la valeur est un rapport social entre les êtres humains qui prend une forme matérielle et qui est lié au procès de production. Mais ce n’est pas le travail en lui-même qui peut donner de la valeur au produit c’est « seulement ce travail qui est organisé sous une forme sociale déterminée ».
Je souligne l’insistance de Marx sur la dimension sociale et historique des formes. Nous sommes bien loin des versions économistes que de nombreux vulgarisateurs ont imposé que se soit dans la deuxième ou la troisième internationale.
Et l’auteur de poursuivre dans un niveau d’abstraction supérieur « Le travail abstrait est un concept social et historique. Le travail abstrait n’exprime pas une égalité psychologique de diverses formes de travaux mais une égalisation sociale de différentes formes de travaux qui se réalise sous la forme spécifique de l’égalisation des produits du travail. »
Dans les chapitres 9 à 11, Isaak Roubine examinera de manière approfondie la valeur sous trois aspects : grandeur, forme et substance. Ou pour le dire autrement, la valeur sera étudiée « comme régulateur de la répartition quantitative du travail social, comme expression des rapports sociaux de production entre les hommes et comme expression du travail abstrait. »
Je signale aussi le dernier chapitre sur le « Travail productif » qui nous montre que le travail est considéré, chez Marx, comme productif ou improductif « non pas du point de vue de son contenu, c’est à dire du caractère de l’activité de travail concrète, mais du point de vue de la forme sociale de son organisation, de sa cohérence avec les rapports sociaux de production qui caractérisent l’ordre économique qui règne dans la société ».
L’ouvrage est précédé d’une introduction Antoine Artous inscrivant la première publication de ce livre en français dans les débats des années soixante, en référence aux marxistes des années vingt. Sa présentation insiste sur les concepts de travail abstrait « qui désigne une qualité (une substance) non pas naturelle mais sociale », de « subsomption réelle du travail par le capital » Et si la marchandise est une chose sociale « chose »sensible suprasensible », alors les catégories idéelles qui l’accompagnent ne sont pas une simple »expression », mais une dimension constitutive de son objectivité. » Un débat à poursuivre…
Isaak I. Roubine : Essais sur la théorie de la valeur de Marx
Éditions Syllepse, Paris 2009, 335 pages, 24 euros
Didier Epsztajn
Article paru en avril 2010, légèrement corrigéhttps://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2010/04/09/le-marxisme-nest-pas-un-economisme/